Madame et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,

Permettez-moi d’abord de vous remercier chaleureusement, Monsieur le Président, cher Rémi Caron, d’avoir bien voulu accepter la lourde tâche, pour un sujet à la sensibilité particulière, de présider ce comité consultatif pour la promotion des langues régionales. Votre connaissance en profondeur de notre pays, de nos territoires, les fonctions que vous avez exercées dans plusieurs régions en qualité de préfet, votre expertise juridique compte tenu de vos fonctions au Conseil d’Etat, vous prédisposaient à l’assumer : je vous en suis très reconnaissante.

Notre République, nous la voulons politiquement une mais culturellement diverse avait pu l’écrire l’écrivain occitan Félix Castan ce qui m’amène très directement au sujet qui nous réunit aujourd’hui.

Je remercie également les parlementaires et les élus, qui malgré leurs nombreuses obligations, nous ont fait l’honneur de rejoindre ce comité, et chacune et chacun d’entre vous, qui avez bien voulu accepter de nous éclairer de vos conseils et de vos expertises. Je salue également les ministères de l’éducation nationale, de l’Outre Mer, de la Fonction publique, de s’être joints à nos travaux.

Comme vous le savez, le Président de la République a exprimé sa volonté que la France puisse ratifier la « Charte européenne des langues régionales ou minoritaires », ouverte à la signature par le Conseil de l’Europe en 1992 et signée par la France le 7 mai 1999, sous le gouvernement de Lionel Jospin.

Il faut voir dans cette volonté présidentielle le souhait de donner enfin aux langues de France - c'est-à-dire aux langues parlées historiquement sur notre territoire, aux côtés du français - un droit de cité, au sens profond du terme.

Ce n’est pas que l’on ne puisse les parler : il existe heureusement dans notre pays, depuis la Déclaration des droits de l’homme, un principe qui l’emporte sur tous les autres, et qui est la liberté d’expression.

Mais elles ont été longtemps négligées, pour certaines dépréciées, dévalorisées sous le nom de « patois », et d’autres malmenées par une idéologie qui confondait la nécessité de parler une langue commune - le français, langue de la République - avec l’obligation de parler une langue unique.

Attendue depuis de longues années par tous ceux qui militent pour donner un espace d’expression accru aux langues régionales dans notre pays, la ratification de la Charte peut contribuer à clarifier le statut de ces langues, et à faire vivre la pluralité linguistique interne de la France, en favorisant l’application des mesures auxquelles la France a souscrit en signant la Charte il y a maintenant près de quatorze ans.

Cette volonté est conforme à l’exigence d’égalité qui nous anime. Car il ne faut pas cesser de le rappeler : si les langues s’inscrivent dans des hiérarchies, selon leur « poids » respectif, selon leur statut et selon leur emploi, elles sont toutes égales en dignité ; elles peuvent toutes, chacune à leur manière, être les vecteurs de la création artistique, exprimer la réalité du monde et lui donner un sens, c'est-à-dire permettre de nous y orienter. Et comme les cultures qu’elles expriment, elles portent en elles toutes une part d’universel.

Cependant, il ne vous aura pas échappé, Madame et Messieurs les Parlementaires, que la ratification pose un problème d'ordre constitutionnel, qu'il nous faut au préalable résoudre. Sa solution ne sera pas l’objet de ce comité, mais vous me permettrez de m’y attarder un instant, sans entrer ici dans le détail du débat, pour éclairer la mission que je souhaite vous confier.

En signant la Charte, en 1999, le gouvernement avait choisi, sur les 98 mesures que comporte la Charte, de retenir 39 « engagements » afin de valoriser les langues régionales ou minoritaires, le document européen lui enjoignant d’en retenir un minimum de 35. Or si ces engagements ont été jugés conformes à notre loi fondamentale par le Conseil constitutionnel, il n'en va pas de même d’autres dispositions contenues dans la Charte, et notamment de celles qui reconnaissent à chaque personne « un droit imprescriptible » de « pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique » (je cite ici le préambule de la Charte) , ou qui semblent conférer des droits spécifiques à des « groupes » de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l'intérieur de « territoires » dans lesquels ces langues sont pratiquées.

Le Conseil constitutionnel avait estimé, en 1999, que la Charte « portait atteinte aux principes constitutionnels d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français ». En d'autres termes, ce n'est pas seulement l'article 2 de la Constitution qui est en cause, selon lequel « la langue de la République est le français », ce sont les principes eux-mêmes sur lesquels tout notre édifice législatif est fondé. C’est ainsi une haute montagne, si ce n’est infranchissable, qui est devant nous.

A cet égard, l'introduction, en 2008, dans le titre XII de la Constitution consacré aux collectivités territoriales, d'un article 75.1 - qui pose implicitement un principe de responsabilité partagée entre l’Etat et les collectivités, et selon lequel « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » - n'a pas changé fondamentalement la donne.

Tel est le cadre contraignant dans lequel doit être envisagée la ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Elle suppose que l’on modifie, d’une manière ou d’une autre, notre loi fondamentale.

Mais quelle que soit la solution retenue pour résoudre cette question constitutionnelle, la France sera amenée à dresser la liste des langues parlées sur le territoire de la République qui répondent aux critères retenus par la Charte, et d’indiquer non seulement les mesures qu’elle entend mettre en œuvre en leur faveur - ce sont a priori les 39 engagements retenus en 1999 - mais aussi la manière dont elle entend les appliquer.

Ce faisant, elle tracera nécessairement les grandes lignes d’une politique publique en faveur de la diversité linguistique, qui nous a fait défaut jusqu’ici, et que - au-delà même de la ratification - je souhaite contribuer à définir.

Quelles langues ? Quelles mesures ? et, subsidiairement, quelle mise en œuvre ? : Ce sont les points sur lesquels je souhaite, si vous le voulez bien, que porte prioritairement votre réflexion. Pour donner toutes les chances de réussite à l'engagement présidentiel et répondre de façon opérationnelle à l'attente de très nombreux élus et acteurs de terrain, il m’a paru souhaitable, en effet, de mettre en place un comité consultatif mobilisant les différentes compétences susceptibles d'être sollicitées sur ces questions complexes.

Complexe, la question des langues l’est assurément, compte tenu de leur nombre, de leur diversité, de leur « poids » respectif, - culturellement ou selon que l’on regarde le nombre de leur locuteurs -, de leur dispersion sur des territoires parfois éloignés, je pense à l’outremer. La liste sur laquelle se fonde le ministère de la culture pour mener son travail de valorisation et de promotion des langues de France constitue un bon point de départ, bien qu’elle n’ait aucun caractère officiel, aussi demande-t-elle sans doute à être « revisitée ».

La question des mesures à retenir et surtout de la manière de les mettre en œuvre n’est pas plus facile, tant sont divers leurs domaines d’application : l’enseignement et les médias, bien sûr, qui sont aujourd’hui les deux principaux vecteurs de la transmission des langues régionales, mais aussi la création culturelle et artistique (puisque ce sont les œuvres de l’esprit qui « portent » les langues et contribuent à leur rayonnement), la socialisation des langues dans l’espace public, dans la vie économique ou dans les échanges transfrontaliers… Il ne faut pas s’en étonner : par définition, les langues ne se laissent ignorer d’aucun secteur de la vie sociale.

Mais toutes les mesures proposées n’ont pas à l’être pour toutes les langues. Il faut en la matière être pragmatique et se donner la latitude de faire des propositions à géométrie variable.

Si j’ajoute qu’il vous faudra évoquer le rôle des collectivités locales dans leur application, et leur modulation selon les territoires, cela vous donnera une idée de l’ampleur de la mission que vous avez eu peut-être l’imprudence d’accepter mais dont je souhaite à nouveau vous remercier.

Pour la conduire, vous pourrez vous appuyer, bien entendu, sur la délégation générale à la langue française et aux langues de France, qui sera en permanence à vos côtés. Son délégué général, Xavier North, participera activement à vos réunions. Et le rapporteur de votre comité, Benoît Paumier, Inspecteur général des affaires culturelles, rendra compte fidèlement de vos travaux.

Si vous le permettez, j’ajouterais un dernier mot. Votre comité, je l’ai dit, n’a pas vocation à se prononcer sur la réforme constitutionnelle, mais à éclairer le gouvernement sur les modalités de mise en œuvre des 39 engagements pris par la France en signant la Charte européenne, et plus généralement à formuler des recommandations visant à valoriser la pluralité linguistique interne à notre pays.

Car la ratification de la Charte n'est pas une fin en soi et ne saurait constituer à mon sens le seul horizon de notre politique en faveur de la diversité linguistique. Elle ne prend son sens que dans une ambition plus vaste : penser et organiser dans notre pays une politique du multilinguisme, qui soit à la hauteur des enjeux sociaux, économiques et culturels liés à la maîtrise de plusieurs langues.

Il nous faut rompre une fois pour toutes avec l'idée qu'apprendre une langue implique d'en désapprendre une autre. Et renouer avec l'idée selon laquelle c'est une pluralité de langues qui, au côté du français, peut donner à notre pays son vrai visage, une nation ouverte sur le monde, confiante dans la richesse de son patrimoine, qui fait de son histoire une clé pour s'adapter aux défis de l’avenir.

Apprendre et pratiquer une langue régionale, ce n'est pas s'enfermer dans un territoire : c'est au contraire se mettre en rapport avec une mémoire, une culture. C'est aussi, on l'ignore trop souvent, se donner des atouts pour apprendre d'autres langues. C’est en effet un moyen d’ouvrir l’esprit et de renforcer les capacités cognitives des enfants.

Les langues des citoyens issus de l'immigration constituent aussi une richesse qu'il conviendrait d'exploiter davantage dans nos entreprises et nos services. Il y a là un gisement insoupçonné pour notre économie.

Je pense aussi aux grandes langues de culture de nos partenaires européens - à l'allemand, bien sûr qui constitue en Europe notre partenaire politique et économique privilégié. Mais aussi aux langues romanes - italien, espagnol, portugais, roumain, catalan - qui entretiennent une proximité naturelle avec le français et dont le recul - à l'exception notable de l'espagnol - devrait être enrayé. Et je pense aussi à l'arabe, qui dans ses formes dialectales, est parlé par plusieurs millions de citoyens en France, alors qu'il n'est enseigné dans notre système éducatif qu'à quelques milliers d'élèves.

Ma conviction est que la pluralité des langues est une chance pour notre pays. En faire le constat, ce n'est en rien méconnaître le rôle que joue la langue française dans la construction de la nation et pour les individus et citoyens qui la constituent, ni nier la nécessité de promouvoir son emploi et d'œuvrer pour sa maîtrise. C'est tout le contraire : au côté du français - l'indispensable outil de notre cohésion et de notre rayonnement, le bien commun sur lequel nous entendons exercer une vigilance particulière - nous devons créer les conditions d'exercice dans notre pays d'une véritable pluralité linguistique, qui peut contribuer puissamment à l’émancipation des individus et à l'essor économique et culturel de notre pays.

Je compte sur vous pour nous y aider et je vous remercie par avance de votre concours.