Cher Cristian Mungiu

Enfant chéri et prodige du Festival de Cannes, on peut dire de vous que vous êtes né à Cannes, à la Quinzaine des Réalisateurs où vous présentez en 2002 votre premier long-métrage, Occident. Depuis ce premier coup de maître, tous vos films ont la faveur du festival.

Après avoir reçu de Cannes récompenses et acclamations, vous mettez, cette année ; votre immense talent au service du festival, en qualité de jury. Passant pour ainsi dire de l’autre côté du miroir, c’est avec un œil averti que vous jugerez les films présentés en compétition officielle cette année.

Après avoir étudié la littérature anglophone à l’Université de Iasi, vous vous lancez dans des études de cinéma. De cette double formation, vous gardez une attention particulière portée à l’écriture : « mon travail consiste à chercher la meilleure façon de raconter » aimez-vous à dire.

Vos premières armes, vous les faites auprès de Bertrand Tavernier que vous rencontrez en Roumanie sur le tournage de Capitaine Conan en 1996 mais aussi de votre compatriote Radu Mihăileanu. Vos qualités et votre remarquable énergie vous rendent vite indispensable et vous devenez deuxième assistant réalisateur du film. Attentif au parcours fulgurant de celui qu’il a vu opérer sous ses yeux, Bertrand Tavernier ne tarit pas d’éloge : «Chaque film de Cristian Mungiu est un choc, un miracle».

Puis Cannes vous ouvre grand les portes du 7ème art. Après un premier long métrage remarqué à la Quinzaine des Réalisateurs en 2002, vous revenez 5 ans plus tard en Compétition officielle, avec 4 mois, 3 semaines, 2 jours, un drame à la banalité tragique, couronné de la Palme d’or. La critique et le public vous réservent un accueil à la hauteur de l’intensité et de la justesse du film. Fort de ce succès, vous présentez, deux ans plus tard en exclusivité pour Un certain Regard, Contes de l’Age d’Or, une œuvre collective sur les dernières années du régime de Ceausescu. Le Festival vous consacre à nouveau l’an dernier puisque vous recevez le prix du scénario pour Au-delà des collines où passion mystique et amour profane s’opposent en de surnaturels enchevêtrements. Les remarquables prestations de Cosmina Stratan et Cristina Flutur, les deux protagonistes, sont récompensées du Prix d’interprétation féminine.

D’année en année, de film en film, vous avez su séduire les sélectionneurs, les jurys et le public cannois grâce à votre cinéma âprement réaliste, qui donne à voir l’absurdité tragique de réalités sociales et politiques que dénonce impitoyablement l’ironie mordante de votre regard

Votre renommée internationale fait de vous le chef de file de la nouvelle génération de cinéastes roumains. Aux côtés de Cristi Puiu ou Corneliu Porumboiu, vous êtes déterminé, à tourner définitivement la page du cinéma roumain hérité de Ceausescu. Si cette révolution cinématographique est éminemment esthétique, elle est aussi politique et sociale. Engagé contre un système de financement dont vous dénoncez l’injustice, vous luttez pour permettre aux jeunes cinéastes de trouver les fonds nécessaires pour tourner leurs films, afin d’assurer ainsi la vitalité et la diversité du cinéma roumain de demain.

De même, parce que vous avez notamment su être un Président bienveillant au sort des productions européennes montrées au dernier festival des Arcs, je vous sais attentif et aussi engagé que possible, pour que soit préservée l’exception culturelle en Europe, combat difficile que nous menons actuellement. Nos convictions sont donc partagées.

Cinéaste de talent et de conviction, scénariste et producteur,

c’est donc avec beaucoup de plaisir que je vous rends hommage en plein cœur de l’effervescence cannoise.

Cher Cristian Mungiu, au nom de la République française nous vous remettons les insignes d’Officier de l’Ordre des Arts et des Lettres.

Chère Caroline Champetier,

 Pour distinguer la virtuose de la lumière que vous êtes, on n’aurait pu imaginer plus parfait décor que cette luminosité cannoise qui inspira tant d’artistes. Que ce bleu de la croisette que Matisse coucha sur toutes ses toiles.

Cette année encore, Cannes vous tend les bras. Après Holy Motors de Leos Carax et des Hommes et des Dieux de Xavier Beauvois, vous revenez cette année pour présenter, hors compétition, le Dernier des Injustes de Claude Lanzmann. Celui auprès de qui vous faites vos premières armes en travaillant deux ans sur Shoah.

C’est aux côtés de William Lubtchansky, directeur de photographie des plus grands cinéastes, que vous vous familiarisez avec les contrastes de lumière et leur violence. Durant les 9 ans de cette fructueuse collaboration, vous cultivez cette mémoire du cinéma qui caractérise votre approche de la photographie cinématographique.

Vous signez la photographie des plus grands, Jacques Rivette pour La Bande des quatre en 1988, André Téchiné, 10 ans plus tard, pour Alice et Martin. Nombreux sont les réalisateurs qui, film après film, vous sollicitent pour votre œil et votre virtuosité : vous collaborez à plusieurs reprises avec Philippe Garrel, Anne Fontaine, Arnaud Desplechin, mais aussi avec Jacques Doillon et Jean-Luc Godard. Avec Benoît Jacquot, surtout, dont vous illuminez 8 films, dont Villa Amalia en 2008.

Ce talent à mettre en lumière vous fait connaître à travers le monde : vous travaillez avec Amos Gitaï, pour Promised Land Hotel en 2004 et Plus tard tu comprendras en 2007, ainsi qu’avec le Japonais Nobuhiro Suwa pour H Story en 2001 puis Un couple parfait en 2005.

Votre très grande sensibilité et votre œil averti vous valent la reconnaissance de vos pairs. Intuitive, vous êtes attentive à la lumière et à ses jeux subtils. La lumière c’est le cinéma, dites-vous souvent, et vous en connaissez tous les effets et toutes les nuances. Présidente de l’Association Française des directeurs de la photographie Cinématographique (AFC) pendant trois ans, vous maîtrisez aussi tous les enjeux de l’image et devenez ambassadrice de ce savoir-faire si précieux au 7ème art

C’est avec Des Hommes et des Dieux que vous connaissez la consécration. Votre rencontre avec Xavier Beauvois est également décisive, puisque vous collaborez sur plusieurs films dont Le petit Lieutenant en 2004. Et il se tourne à nouveau vers vous en 2009 et cette année ! Caméra à l’épaule vous filmez les personnages Des Hommes et des Dieux au plus près, apprivoisant la lumière qui baigne les visages des 7 moines, comme autant d’autoportraits de Rembrandt. La grâce du film tient à ce talent extraordinaire que vous avez d’imprimer sur le film la lumière naturelle. Récompensé du Grand Prix du Jury, au Festival de Cannes en 2010, le film vous vaut le César de la meilleure photo en 2011.

C’est encore à vous que l’on doit le choc visuel qui bouleversa Cannes l’an dernier. Pour le très salué Holy Motors, Leos Carax vous impose une incroyable contrainte esthétique et technique : tourner l’essentiel du film à l’intérieur d’une limousine.

Mais, pour le dire comme Baudelaire, « parce que la forme est contraignante, l'idée jaillit plus intense ! » Et vous rivalisez d’ingéniosité et d’imagination pour présenter au public un véritable enchantement pour les yeux, et ainsi contribuer à ce film, qui d’une certaine façon rend hommage à l’incroyable puissance imaginaire et à l’histoire du cinéma !

Parce que vous êtes douée d’un savoir-faire et d’une sensibilité artistique que le monde entier nous envie, vous portez haut la créativité et l’expertise de notre industrie cinématographique. Parce que comme vous le dites si justement, « le cinéma c’est la lumière qui impressionne la pellicule », c’est avec beaucoup de plaisir et une très grande fierté que je rends hommage aujourd’hui à celle qui, depuis plus de 30 ans, met en lumière les films des plus grands cinéastes et réalise aujourd’hui sa propre création comme avec Berthe Morisot.

Chère Caroline Champetier, au nom de la République française, nous vous faisons Officier de l’Ordre des Arts et des Lettres.

Cher Anurag Kashyap,

« Que j’aie dû foisonner beaucoup et me retourner en tous sens, projetant ainsi des ombres bigarrées ». Ce vers de L’Offrande Lyrique du grand poète Rabîndranâth Tagore, dont nous devons la traduction à André Gide, est une belle métaphore de votre présence à Cannes cette année. Avec 5 films en sélection, vous n’avez en effet pas ménagé votre peine pour faire vivre cette 66ème édition aux couleurs de l’Inde.

Alors que le Festival fête le centenaire du cinéma indien, vous êtes un des invités d’honneur de cette édition 2013 avec Ugly, votre dernier long-métrage, que vous présentez à la Quinzaine des réalisateurs mais aussi Bombay Talkies en Sélection Officielle. Sans oublier The Lunchbox de Ritesh Batra que vous produisez ainsi que Monsoon Shootout de Amit Kumar et The Congress de Ari Folman, que vous coproduisez.

Votre passion du cinéma commence dès le plus jeune âge. Elle ne vous quitte plus et souvent vous dites vivre et respirer le cinéma. C’est donc très naturellement que vous réalisez un des quatre courts-métrages de Bombay Talkies, le magnifique hommage rendu au cinéma indien par sa jeune génération de cinéastes. Gangs of Wasseypur, présenté l’an dernier à la Quinzaine des réalisateurs, faisait déjà référence à la riche histoire du cinéma indien. Car dans ce remarquable drame familial mu par la vengeance, Bollywood joue un rôle décisif dans la vie des protagonistes qui portent en un ce cinéma centenaire.

C’est en tant que scénariste que vous faites vos premiers pas avec Satya de Ram Gopal Varma. Puis vous vous emparez du format court avec Last Train to Mahakali en 1999. Votre premier long-métrage, Paanch, censuré et extrêmement controversé, devient le film culte de toute une génération de cinéphiles. C’est avec Black Friday que vous gagnez l’année suivante la reconnaissance internationale. Vous incarnez alors aux yeux du monde la nouvelle génération du cinéma indien qui rompt avec les codes de Bollywood.

Chef de file de la nouvelle vague du cinéma indien, vous contribuez à la naissance d’un cinéma urbain et novateur, socialement et politiquement engagé. Vous en êtes aussi un des plus ardents défenseurs.

La place singulière que vous occupez dans le paysage du cinéma indien doit beaucoup à votre style audacieux, à cette signature visuelle qui vous caractérise. Du vert de votre premier film au rouge de Black Friday en passant par le jaune de The Girl with Yellow Boots et le rose de Dev D.

Figure emblématique de la nouvelle génération de cinéastes indiens, vous entretenez avec la France une relation privilégiée. Cette passion française est personnelle car cultivée avec votre épouse Khalki, d’origine franco-indienne, mais aussi culturelle. Fervent cinéphile, vous êtes un fidèle ambassadeur du cinéma français en Inde. Cette relation privilégiée se manifeste aussi par de fructueuses collaborations, comme pour The Lunchbox, une coproduction française, que vous soutenez avec Guneet Monga que je salue.

Cette passion, la France vous la rend bien. Gangs of Wasseypur, acclamé par la critique, a reçu un accueil très enthousiaste du public français. Le Festival de Cannes aussi vous aime : pas une édition qui ne présente un de vos films, que vous les réalisiez, les produisiez ou en écriviez le scénario.

Scénariste, réalisateur, producteur et même acteur, vous êtes, cher Anurag Kashyap, un homme de talent et de passion, engagé au service d’un cinéma indépendant que vous défendez sans relâche. C’est donc avec grande joie que je vous distingue aujourd’hui. A travers moi, c’est le public français et le public cannois qui vous rendent hommage.

Cher Anurag Kashyap, au nom de la République française, je vous remets les insignes de chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres.

Cher Hua Guo,

A la croisée de deux cinémas, le cinéma français et le cinéma chinois, vous êtes un passeur qui nourrit continuellement le dialogue de nos deux cultures. Tel un ambassadeur du cinéma chinois en France, vous êtes, en Chine, un acteur majeur du rayonnement du patrimoine cinématographique français.

Cannes vous accueille avec d’autant plus de plaisir que c’est grâce à vous que les cérémonies d’ouverture et de clôture du festival sont retransmises à la télévision chinoise. Habitué des festivités, vous organisez depuis 2008 la soirée d’ouverture du Marché du film, consacrée au cinéma chinois.

Votre passion du cinéma français ne doit rien au hasard. Vous la nourrissez au cours de brillantes études de langue et de littérature françaises à l’Institut des Langues étrangères de Shanghai puis à l’Université de Montréal. De la littérature au cinéma, il n’y eut pour vous qu’un pas. Une « continuité souterraine » pour le dire comme Marguerite Duras qui a vu dans le cinéma un moyen de donner une dimension nouvelle à l’acte littéraire.

C’est en tant que responsable du cinéma français que vous prenez vos fonctions au sein de la China Movie Channel en 1995, afin dites-vous de « faire partager [votre] amour du cinéma français au public chinois ». Aujourd’hui directeur adjoint du département international, vous êtes, avec plus d’un millier de films français diffusés sur votre chaîne, un des plus fidèles professionnels francophiles de notre cinéma en Chine.

On vous doit la diffusion de chefs-d’œuvre de notre patrimoine cinématographique comme Le dernier métro de François Truffaut, Mon oncle d’Amérique d’Alain Resnais ou d’œuvres plus récentes comme Potiche de François Ozon.

C’est pour mieux partager votre amour du cinéma français que vous apportez votre soutien au Panorama du Cinéma français en Chine. Ce remarquable festival sillonne la Chine, pour présenter à Pékin et à Shanghai, mais aussi dans des villes de différentes provinces, à Chengdu, Shenzhen, Canton ou Nankin, une sélection de films français. Cette année, le public chinois pourra ainsi voir ou revoir la Palme d’or de la dernière édition du festival cannois, coproduction franco-germano-autrichienne, le bouleversant Amour de Michael Haneke.

Vous êtes aussi un acteur essentiel pour la promotion du cinéma chinois en France. Et de la même manière que vous soutenez le Panorama du Cinéma français en Chine, vous vous êtes associé au Festival du Cinéma chinois en France pour porter le cinéma chinois au plus près du public français. Et après avoir parcouru la France, de Paris à Lyon, en passant par Toulouse, la 3ème édition de ce festival prometteur recevra à son tour les honneurs de la croisette.

Alors que le cinéma chinois est de retour à Cannes avec trois films, dont Touch of sin de Jia Zhangke en compétition officielle, c’est pour moi un très grand plaisir de vous distinguer aujourd’hui en plein cœur du festival.

Le Président de la République française, lors de son déplacement en Chine au mois d’avril a exprimé le souhait de la France que les quotas de diffusion en salle de cinéma, des films français soit augmenté. J’en profite pour saluer Jean-Paul Salomé, le Président d’Unifrance.

Sur petit ou sur grand écran, mais aussi lors de certains festivals, la diffusion des œuvres françaises et chinoises renforcera ainsi davantage la connaissance par nos concitoyens, de nos cultures respectives. J’en suis pleinement convaincue.

De même, sur mon initiative, le Gouvernement français a facilité en tout début d’année, l’obtention de visas de tournages pour les productions étrangères dont celles de la Chine ; permettez-moi ainsi de saluer l’action de FilmFrance.

Ces rapprochements entre nos pays sont donc possibles grâce à la volonté politique, grâce à la passion que nous éprouvons envers nos cinémas et grâce à de talentueux professionnels comme Hua Guo.

Parce que vous contribuez au rayonnement de nos cinémas et ainsi à favoriser les liens entre nos cultures, entre nos publics ; parce que vous êtes un des précieux interprètes du dialogue cinématographique et culturel entre nos deux pays, c’est avec un très grand plaisir que je vous adresse, cher Hua Guo, les hommages de la République.

Cher Hua Guo, au nom de la République française, nous vous remettons les insignes de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres.