Monsieur le président de la société des gens de lettres, cher Jean-Claude
Bologne,
Monsieur le président du syndicat national de l'édition, cher Vincent Montagne
Mesdames et messieurs les sociétaires, chers consoeurs et confrères,
C'est véritablement pour moi un très grand plaisir de clôturer cette année encore le forum de la société des gens de lettres. C’est un rendez-vous important car il nous permet, ensemble, de porter un regard sur les enjeux de la création.
Le thème que vous avez retenu cette année : Auteurs et éditeurs, de nouvelles
relations, résonne tout à la fois comme une évidence et comme une promesse.
Une évidence, parce que la nature de ces relations est en passe d'être
fondamentalement bouleversée par l'accord historique qui a été signé au
ministère de la culture le 21 mars dernier. Une promesse, parce que l'ampleur des
enjeux qui affectent aujourd'hui le secteur du livre, je pense notamment au
phénomène de l’autoédition qui a fait l’objet de différents éclairages lors de la
récente foire de Francfort, impose aujourd’hui aux acteurs de la création de parler
d'une seule voix.
L’histoire littéraire est riche de cette relation entre l’auteur et l’éditeur dont vous
avez fait le thème de ce Forum. Elle consacre certaines de ses plus belles pages
à ce lien si précieux qui les unit et à ce dialogue sans cesse renouvelé qui fait
vivre la littérature.
Dans la correspondance entre Gallimard et Paulhan, on peut lire leur admiration
commune pour Aragon ou Jouhandeau, leur divergence, au sujet des Thibault de
Martin du Gard. Ces échanges témoignent d’une vie au service de la littérature et
de ses auteurs. Signe fort de l’influence de l’éditeur sur l’auteur et de la
réciproque, ce roman que Jean Echenoz consacrait à Jérôme Lindon, cet
« homme très intimidant qui [lui] parlait de [s]on roman avec enthousiasme ».
Cette réciprocité j’ai pu en mesurer tout la force depuis mon entrée en fonction au
ministère de la culture.
Depuis mon arrivée rue de Valois, la convergence entre les auteurs et les
éditeurs, encouragée par mon ministère, a permis des avancées considérables et
novatrices pour le secteur. Et cela à non moins de deux reprises : d'une part, dans
le cadre de la loi sur les livres indisponibles et d'autre part, dans le contexte de
l'accord-cadre historique sur le contrat d'édition à l’ère numérique.
Depuis le 21 septembre dernier, les droits numériques de plusieurs dizaines de
milliers de livres indisponibles sont entrés en gestion collective. En ce moment,
les éditeurs historiques de ces livres, s'ils sont encore en activité, se voient
proposer par la Sofia une licence exclusive et préférentielle pour donner à ces
oeuvres une nouvelle circulation numérique.
Il est temps, maintenant, d'entreprendre le grand projet industriel de numérisation
et de nouvelle diffusion qui permettra d'accroître considérablement l'accès de nos
concitoyens à ces oeuvres du passé.
Le Ministère, qui reconnaît la dimension patrimoniale du projet, y prend sa part
puisqu’il participe à son financement. En revanche, la dimension économique de
cette aventure doit, à mon sens, être prioritairement portée par l'interprofession, et
en premier lieu par les éditeurs. Je sais que des discussions se poursuivent à ce
sujet entre le Cercle de la librairie et le Commissariat général à l'investissement et,
connaissant l’engagement des uns et des autres, et je ne doute pas que sur les
pas des succès que nous avons connus ensemble, la finalisation de ce
financement aboutira très bientôt.
En ce qui regarde l'accord-cadre du 21 mars sur le contrat à l’ère numérique, je
sais combien le monde du livre est impatient de connaître sa traduction législative.
Je suis moi-même favorable à ce qu’une loi d’habilitation permette d’intégrer les
dispositions de cet accord par voie d’ordonnance dans le code de la propriété
intellectuelle. Le projet de loi relatif à la création que je présenterai en conseil des
ministres au 1er trimestre 2014 permettra d’inscrire cette avancée majeure de tout
un secteur dans un cadre juridique stable et pérenne.
Au-delà de ces deux chantiers bien avancés, je souhaitais vous présenter
aujourd’hui les enjeux dont nous devons nous saisir aujourd’hui.
Un certain nombre de ces sujets ont une dimension européenne. Je sais combien
les auteurs comme les éditeurs peuvent avoir le sentiment que leur voix peine à se
faire entendre dans les instances bruxelloises. C'est un problème que je ne
mésestime pas et l'ensemble de mon action tend à y remédier. J'ai obtenu de
plusieurs autres ministres de la culture de l'Union européenne qu'ils s'associent à
différentes initiatives, qui se sont traduites par des courriers conjoints : le premier,
du 28 novembre dernier, rappelle l’impérieuse nécessité d’adopter une véritable
stratégie pour la création en Europe qui s’appuie notamment sur un droit d’auteur
ambitieux et moderne, et le second, le 14 mai, est une défense de l'exception
culturelle dans le cadre des négociations commerciales entre l’Union européenne
et les Etats-Unis.
Soyez convaincus qu’au plan européen, je défendrai avec autant de force qu’au
plan national la légitimité et l’efficacité des politiques culturelles, et celles du livre et
de la lecture en particulier. L’enjeu du numérique se pose à chaque Etat membre, il
nous faut réfléchir ensemble à des solutions à l’échelle européenne. Nous devons
faire de l’Europe une aide, un multiplicateur d’influence, sur le numérique, mais
aussi sur tous les fronts : fiscalité, marché intérieur, politique de la concurrence.
Nous devons construire une Europe de la culture qui reconnaisse la légitimité des
politiques de soutien et d’encouragement à la création que mènent les Etats.
Sur l’ensemble des débats européens concernant le droit d’auteur, la France
restera vigilante à la rémunération de la création. C’est pourquoi une mission
d'expertise a été confiée, dans le cadre du CSPLA, au professeur Pierre Sirinelli
dont je salue la présence pour que la France soit prête, le moment venu, à faire
entendre sa voix.
En second lieu, nous allons, en France, engager le travail de transposition de la
directive sur les oeuvres orphelines, qui devra s’achever dans un an. Cette directive
nous permet, en fonction de l'état des outils disponibles, de définir nos propres
critères pour la recherche effective des titulaires de droits. A ce titre, je ne peux que
saluer l'ambition de la SGDL de constituer une base solide et la plus complète
possible des ayants droit des livres. Je souhaite que soient soutenus tous les
efforts qui permettront à la SGDL de compléter cette base de données en gardant
bien à l’esprit son statut d'intérêt public et le respect des libertés individuelles.
S’il se passe beaucoup de choses au niveau européen, en France aussi des
progrès considérables sont en cours. C'est le cas, par exemple, du dossier du livre
numérique dans les bibliothèques. J’étais à Grenoble samedi dernier pour signer la
1ère convention relative aux bibliothèques numériques de référence. J’ai pu me
rendre compte que les ressources numériques de ces opérateurs culturels de
proximité que sont les bibliothèques représentent pour le public un service
inestimable, de qualité remarquable et d’une très grande utilité.
Mes services viennent de mettre sur pied un groupe de travail sur les enjeux
économiques de la présence des livres numériques en bibliothèque. Il me semble
essentiel que les auteurs y soient représentés et participent activement aux
discussions. Mon objectif est que la diffusion des livres numériques par les
bibliothèques publiques puisse connaître un développement important sans que
cela affaiblisse pour autant le droit d'auteur. En gardant en tête cette orientation,
nous devons avoir comme objectif d’aboutir à un protocole d'accord, fondé sur le
constat partagé des bonnes pratiques en la matière.
Autre chantier important à venir : la réforme des organismes sociaux spécifiques
aux créateurs et aux auteurs. Un rapport a été remis au gouvernement sur ce sujet
et il a été rendu public au début de cette semaine. Je m'engage à ce que le plus
grand soin soit apporté à la qualité de la concertation. Je sais combien, sur ces
thématiques sociales, la tension peut parfois exister entre les différentes catégories
de créateurs, dès lors qu'il faut trouver des solutions qui conviennent à tout le
monde. Ces solutions existent et tous mes services seront mobilisés pour
accompagner la discussion à venir et lui permettre d’aboutir à des conclusions
satisfaisantes pour tous.
De même, je sais que les auteurs et les éditeurs sont très préoccupés par les
évolutions de l'exception au droit d'auteur en faveur des personnes handicapées.
Ces positions ont été exprimées à l'occasion de la réunion de la dernière réunion
du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, lundi dernier. L’accès des
personnes handicapées à la lecture est un impératif éthique et politique de premier
ordre. L’offre éditoriale actuellement accessible pour ces publics n’est tout
simplement pas à la hauteur du niveau de développement de notre pays. En
revanche, je suis convaincue que le développement de l’offre ne doit pas
nécessairement se faire en fragilisant le droit d'auteur. L'industrie du livre se doit
d’avoir une politique réellement volontariste à destination de ces publics. Il est
impossible de ne rien faire ; impossible de se contenter d’attendre. Nous devons
agir maintenant.
Une période de concertation vient d'être engagée avec les éditeurs, les
associations, les auteurs et je serai extrêmement attentive aux préoccupations de
tous les acteurs concernés.
Enfin, je sais combien la question de la TVA sur les droits d'auteurs préoccupe la
SGDL. Cette préoccupation, je la porte au sein du gouvernement même si la
priorité donnée au redressement des finances publiques laisse peu de place pour
de telles mesures sectorielles aujourd’hui.
Ce Forum est, pour nous tous, l’occasion de nous réjouir ensemble des avancées
substantielles qui ont eu lieu lors de l’année écoulée grâce à la mobilisation et à
l’action conjointe des auteurs et des éditeurs. Nous devons garder en tête ces
chantiers qui s’ouvrent tout juste et que je viens de vous présenter. Ils nous
donneront l’occasion d’oeuvrer de nouveau de concert, dans l’année qui arrive, au
profit des auteurs et du respect de leurs droits.
Je vous remercie.