Chère Matali Crasset,

« Interroger l’habituel […] ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, I’évident, le commun, l’ordinaire». Cette ambition de George Perec est aussi la vôtre : vos créations sont autant d’invitations à repenser les usages quotidiens, à proposer de nouveaux « scénarii de vie ».

C’est au cours de vos études de marketing que naît votre passion. Lors d’un projet d’étude autour du lancement d’un parfum, vous voulez donner forme au discours marketing, être au plus près de l’usage, et décidez de dessiner le flacon. C’est une révélation : vous découvrez comment exprimer votre sensibilité. Vous intégrez alors l’Ecole Nationale Supérieure de Création Industrielle (ENSCI). Au sein des Ateliers, dont nous avons fêté cette année les 30 ans, vous cultivez ce pas de côté qui est devenu votre signature.

De ce laboratoire des tendances à venir, dont la vocation est d’unir culture et industrie, vous sortez designer industriel, votre cœur de métier comme vous aimez à le dire. Vous partez alors en Italie pour travailler auprès de Denis Santachiara dont vous admirez l’approche singulière et ludique. Puis c’est auprès de Philippe Stark que vous faites vos premières armes et prenez toute la mesure de l’ « intelligence de l’utile ».

Femme de talent, d’audace et d’entreprise, vous créez ensuite Matali Crasset productions où vous vous emparez de tous les champs de la création : design industriel, textile, graphisme, scénographie, architecture. Car vous êtes convaincue que, parce que le design n’est pas tant question d’esthétique que d’utilité sociale, il peut être partout, dans toutes les activités de la société.

Plus que vos objets, c’est votre démarche singulière, votre intention, qui vous caractérisent : accompagner les gens dans leur vie quotidienne, ordinaire, à travers des objets et des espaces. Retrouver la force des usages, pour dépasser l’opposition traditionnelle entre forme et fonction. Avec vous, jamais l’objet n’est enfermé dans une fonction convenue. Vos créations, éminemment expérimentales, interrogent les matériaux et réinventent les usages.

La Colonne d’hospitalité où l’accueil de l’ami devient rituel, Permis de construire, que les enfants peuvent moduler à l’envie, mais aussi ces lieux de vie que vous concevez pour un vivre ensemble inédit – comme ces hôtels singuliers à Nice, Paris ou en Tunisie, ou bien les scénarii écologiques de Nano-Ordinaire, lors de la dernière Biennale du design de St Etienne. Autant de dispositifs qui bouleversent les codes sociaux et culturels, créent du lien entre toutes les actions de la vie et ouvrent des horizons nouveaux pour mieux vivre ensemble.

Originaire d’un petit village de la Marne, fille d’agriculteurs, vous avez conservé un lien intime avec la nature. Et vous dites prendre un plaisir presque militant à répondre à des demandes en milieu rural. Attentive aux besoins et aux envies des futurs usagers, vous êtes soucieuse de les inclure dans vos projets participatifs et collaboratifs. Pour vous, le dialogue continu avec le commanditaire est essentiel. C’est ainsi que pour votre projet actuel de l’école Le Blé en herbe, vous êtes à l’écoute du petit village de Trébédan, qui a pu devenir votre commanditaire grâce au dispositif des Nouveaux Commanditaires de la Fondation de France pour un accès de tous les citoyens à la création contemporaine.

C’est pour moi un grand plaisir de vous distinguer ici en plein cœur de la Meuse, alors que nous inaugurons vos Maisons Sylvestres. Pour donner à penser l’habitat autrement et inscrire la nature au cœur du quotidien, vous avez fait de la forêt une matière vivante qui éveille l’imagination et invite à une relation renouvelée avec la nature.

Pour vous, le contemporain ne doit pas être le seul privilège de l’urbain. Cette conviction guide aussi votre engagement au sein du FRAC Champagne-Ardenne dont vous exercez la présidence. Ce soutien inconditionnel que vous apportez à la création contemporaine se manifeste aussi dans la scénographie que vous réalisez chaque année pour le Salon de Montrouge.

Votre voix si singulière dans le milieu de la création a fait de vous une figure incontournable du design contemporain français, une ambassadrice de la culture et de la création française dans le monde. Et c’est avec un immense plaisir que je vous adresse aujourd’hui, autour d’un projet qui porte haut votre démarche, les hommages de la République française.

Chère Matali Crasset, au nom de la République française, nous vous faisons Officier de l’Ordre des Arts et des Lettres.