Mesdames et Messieurs les parlementaires
Mesdames, Messieurs, les professionnels et experts de l’audiovisuel
Je suis heureuse de vous retrouver après cette journée riche de débats et d'échanges. Vous avez eu l'occasion d'aborder aujourd'hui les problématiques de l'audiovisuel, elles sont multiples et dépassent nos frontières. Cette journée est essentielle et les réponses aux questions posées aujourd'hui convergent vers un objectif partagé, celui de définir notre projet pour le secteur audiovisuel de demain.
Dans l’ensemble des débats sur la convergence entre la télévision et l’internet, est-ce qu’un nouveau média chasse le précédent ? Est-ce que l’internet n’absorbe pas tous les médias de manière globalisante ?
Evidemment ces questions ne peuvent recevoir de réponse tranchée, mais on peut tracer certaines tendances :
- l’évolution de la fréquentation de la télévision linéaire qui ralentit au profit d’une fréquentation non linéaire, mais,
- dans le même temps, les images de rendez-vous cohabitent avec les images à la demande, comme le montre la forte présence de la télévision et de la radio dans les réseaux sociaux,
- les contenus audiovisuels qui ont toutes les chances de continuer de rencontrer l’intérêt du public, quel que soit leur support de diffusion, parce qu’il s’agit toujours de raconter une histoire en images ou de faire partager un événement, diffuser une information en l’explicitant et que ces moments de rencontre là restent et sont essentiels dans les pratiques quotidiennes de nos concitoyens, et dans ce qu’elles ont de culturel.
- la télévision, et son impact de masse, reste donc la première pratique culturelle de nos concitoyens et un outil irremplaçable de partage et de démocratie.
Pour que l’audiovisuel soit créatif et dynamique, il faut d’abord des programmes et une programmation qui convainquent et attirent les téléspectateurs qui sont sur-sollicités par ailleurs : c’est le métier des professionnels ici présents, c’est votre responsabilité, c’est le résultat de vos choix éditoriaux et créatifs que vous devez faire évidemment en pleine et entière liberté.
Mais il s’agit aussi aujourd’hui de dessiner un cadre propice au développement et à la création, et c’est la responsabilité des pouvoirs publics, dans l’écoute et l’échange avec les professionnels. Les concertations et expertises seront conduites très rapidement, pour trouver un support législatif au Parlement le plus rapidement possible, une partie en 2013, peut être une partie en 2014 mais je souhaite évidemment que l’on puisse avancer d’une manière à la fois sereine, mesurée et déterminée.
Le débat ouvert, franc et massif, et parfois vif, qui a eu lieu à ces assises est le signe de la prise de conscience collective des défis que nous devons relever dans la période de mutation que nous traversons et de l'engagement de chacun pour être acteur du renouvellement.
Nous devons travailler collectivement dans une volonté de dialogue.
A l'issue de vos débats, j'observe que le besoin de réforme du secteur est globalement partagé. J’en étais convaincue, je vous en remercie ! Aussi, je souhaite poursuivre ce travail de concertation que nous venons d’engager en vue de pouvoir reformer le cadre juridique de la régulation de la communication, pour l'adapter aux mutations profondes de ce secteur liées à l'essor des terminaux connectés.
Cette réforme, qui doit être une refondation, doit porter sur trois questions majeures :
- Le premier champ est celui de la réglementation et de la régulation audiovisuelle comme l’a précisé Olivier Schrameck. Il a été largement évoqué aujourd’hui le besoin de changer de paradigme. Cette question s’inscrit dans la logique de l’Acte II de l’exception culturelle de la mission confiée à Pierre Lescure. Je retiens du rapport Lescure l’idée d'appliquer des dispositifs nouveaux de régulation aux services culturels numériques. Cette idée stimule la réflexion, et sa mise en œuvre doit se faire sans omettre les spécificités et les problématiques auxquelles chaque secteur de la culture est actuellement confronté, sans ignorer les difficultés d’une régulation dans un univers numérique très évolutif et très internationalisé, ce qui est évidemment une difficulté supplémentaire par rapport à l’univers analogique traditionnel dans lequel les frontières existaient. Nous devons garder à l'esprit les objectifs de politique audiovisuelle que nous poursuivons : garantir une offre pluraliste et de qualité, favorisant la diversité culturelle et le soutien et le développement de la création.
Dans ce contexte, la distribution et les garanties d'accès des services culturels à l'ensemble des Français constituent sans aucun doute des questions centrales. Il ressort clairement de vos débats que le statut et les obligations des distributeurs de services audiovisuels, voire la définition des distributeurs de services audiovisuels doivent évoluer pour éviter la marginalisation des œuvres culturelles françaises et européennes sur les services en ligne et éviter aussi, vous avez été plusieurs à le dire ce matin, des asymétries de régulation voire des distorsions de concurrence qui vous seraient défavorables.
Nous devons évoluer, avancer vers une solution équilibrée entre engagements et avantages. C’est ce que nous devons définir ensemble dans un travail qui sera conduit par la DGMIC au sein du Ministère de la culture et de la communication, et j’espère que nous trouverons des solutions d’ici la fin de l’année. Je suis consciente que tout n’est pas possible, car le cadre de ces nouveaux acteurs est souvent européen ou international. Je ne crois pas non plus que nous soyons condamnés à la paralysie. C’est vrai sur le terrain de la régulation, c’est vrai aussi sur celui de la fiscalité où les nouveaux acteurs, malheureusement comme dans beaucoup d’autres secteurs et beaucoup de secteurs culturels, doivent payer des nouveaux impôts, des impôts en tous cas comme les autres acteurs traditionnels, sur les profits tirés d’une activité réalisée en France.
- Deuxième problématique que je souhaite voir aborder dans la réforme législative ; celle du rôle que peut jouer le régulateur de l'audiovisuel. Cette question est le corollaire de celle relative à la modernisation du cadre juridique applicable à la communication. Le travail reste à faire. Nous avons ce matin en Conseil des Ministres posé des bases solides de l’indépendance renforcée, accrue du régulateur. Et la première étape maintenant est la modernisation de ce cadre de travail. Je reste fortement attachée à l'existence d'un régulateur indépendant de la communication audiovisuelle, qui est un des garants, des piliers du fonctionnement démocratique de notre société, mais j'estime qu'à l'instar des questions relatives aux droits et aux obligations des acteurs, la question de son champ de compétence mérite d'être posée et élargie.
La modernisation du régulateur doit nécessairement passer par une prise en compte plus importante de la dimension économique dans ses prises de décisions.
Il est en effet indéniable que la réalité économique du secteur audiovisuel doit pouvoir être étudiée, évaluée par le CSA au moment où il prend ses décisions. C'est pour cela que la réforme du cadre juridique de l'audiovisuel devra permettre également au CSA de procéder systématiquement à des études d'impact avant le lancement d'un appel à candidatures et le cas échéant, différer ce lancement, dans le cas où ces études montreraient que les conditions économiques ne sont pas pertinentes et favorables.
Cela ne signifie toutefois pas transformer le CSA en autorité de régulation économique, voire en gardien du respect de la concurrence entre services culturels, d’autres en sont chargés. A cet égard, le CSA doit rester à titre principal le garant de la liberté de la communication, conservant ainsi ses objectifs principaux de défense du pluralisme et de la diversité culturelle.
De même, si le CSA doit bénéficier d'une plus grande liberté d'appréciation et pouvoir donc adapter certaines obligations des services audiovisuels qu'il régule afin de tenir compte des évolutions des équilibres de marché, je reste très attachée à la procédure d'appel à candidatures pour accorder des autorisations d'émettre sur la TNT, comme en radio. Cette procédure est la seule qui permette de garantir l'équité entre les candidats et la transparence s'agissant de l'attribution d'une ressource, rare bien sûr, appartenant au domaine public. Assouplir excessivement les modalités d'attribution ou de modification des autorisations serait une fausse bonne idée.
C'est également pour cette raison qu'il faut veiller à ce que les fréquences attribuées à titre gratuit, en échange d'engagements culturels ne fasse pas l'objet de démarches spéculatives, ou de profits contestables.
Je serais tout à fait favorable à ce qu'un dispositif de nature à désinciter ces comportements soit mis en place, au moyen par exemple d'une taxation de ce type de cessions, en conservant aussi le pouvoir du CSA de les interdire s’il les estime contraires aux conditions fixées par la loi et la jurisprudence.
- La troisième problématique concerne la protection des mineurs. L'essor très rapide du visionnage de contenus audiovisuels sur les différents terminaux connectés interroge en effet le système actuel de régulation du secteur audiovisuel. Ces interrogations visent les principaux services de vidéos sur Internet qui hébergent des contenus mis en ligne par les utilisateurs. Pour cette activité, ces services ne sont pas soumis à la réglementation audiovisuelle et à la régulation du CSA, alors même qu'ils proposent des contenus audiovisuels.
Au même titre que les services audiovisuels traditionnels, ces nouveaux acteurs devraient pouvoir garantir le respect des principes fondamentaux que sont la protection de l'enfance ou le respect de la dignité de la personne humaine, selon des modalités bien évidemment adaptées aux spécificités d'Internet.
Dans ce cadre, le CSA pourrait être chargé de s’assurer que les services de vidéo en ligne s’engagent dans une démarche de bonnes pratiques déontologiques, en coordonnant l'élaboration de chartes ou en prenant l’initiative de leur élaboration, en concertation avec les professionnels.
Au-delà des questions de régulation, vous avez aujourd’hui largement débattu dans la deuxième table ronde de l'avenir de la Télévision Numérique Terrestre : j'observe que nous sommes tous attachés à maintenir et à défendre cette télévision pour tous qui constitue le seul mode d'accès universel et gratuit aux contenus audiovisuels. Vous avez insisté aussi ce matin sur l’anonymat et la non traçabilité du téléspectateur, élément important notamment à l’ère du numérique.
L’avenir de la TNT passe nécessairement par sa modernisation au bénéfice du téléspectateur, qui ne peut être envisagée sans tirer parti des avancées offertes par les évolutions technologiques : la généralisation de la haute définition, qui deviendra à terme le format de référence de la télévision, est à cet égard une évolution essentielle, attendue par les téléspectateurs. La migration vers des normes de diffusion et de compression plus efficaces est également indispensable afin de faire bénéficier, à terme, les téléspectateurs de services toujours plus innovants, notamment en ultra haute définition qui sera la haute définition de demain.
Dans ce contexte, la préservation de la diffusion hertzienne est un objectif que nous partageons. Je serai attentive à ce que la répartition de la ressource spectrale entre audiovisuel et télécoms ne soit pas prise au détriment de la création et du secteur audiovisuel.
Une concertation va être conduite par les services du Premier ministre entre fin juin et mi septembre afin de déterminer le bon calendrier d’ouverture de la bande des 700Mhz à la téléphonie mobile, compte tenu des évolutions de la compression et des normes à venir.
Par ailleurs et ce fut l’objet de la troisième table ronde, il nous faut aller plus loin pour la qualité et le rayonnement de nos œuvres audiovisuelles. Le constat est partagé et n’est pas suffisant : les résultats d'audience de la fiction française sont souvent en deçà des autres grands pays européens. Je le redis : le rôle des producteurs indépendants et des réalisateurs, le travail engagé avec les auteurs sur l’écriture et le développement, la place de la formation initiale et continue, sont des enjeux centraux pour améliorer la compétitivité du secteur audiovisuel. Mais il nous faut réfléchir à la modernisation de nos modes de financement des œuvres audiovisuelles, de manière à ce qu'elles soient mieux financées, mieux produites, et mieux diffusées.
Ainsi que je l'ai annoncé ce matin, j’ai confié à M. Laurent Vallet, directeur général de l'IFCIC une mission d'expertise , afin qu'il me fasse des propositions d'adaptation des mécanismes de financement de la production. Il travaillera en étroite collaboration avec la DGMIC et rendra ses conclusions d'ici la fin de l'année 2013.
Nous devons nous appuyer sur deux atouts qui doivent s’enrichir et non s’opposer : l’inventivité de la production indépendante et la force de marque des chaînes, ce sont les deux faces d’un couple indissociable et c’est ensemble que vous gagnerez.
La mission de Laurent Vallet permettra de confronter les points de vue et de proposer des solutions satisfaisantes pour tous les acteurs. L’objectif est de mieux financer, de mieux exposer, de mieux faire circuler, et de mieux valoriser la création française.
S'agissant des règles applicables au marché publicitaire dont vous avez parlé à la quatrième table ronde, je vais organiser une consultation avec l'ensemble des professionnels concernés.
Mes services recueilleront les positions de tous sur les secteurs interdits de publicité, les règles de parrainage ou encore le placement de produit, notamment dans les émissions de flux.
Il conviendra toutefois d'être prudent tant on sait que les règles en cause garantissent le maintien d'un subtil équilibre entre les différents secteurs.
Il ne saurait en effet être question de déstabiliser ce fragile écosystème. Sur le sujet précis de la publicité télévisée concernant le cinéma, le CSA a lancé une étude qui viendra nourrir la réflexion globale sur les recettes commerciales des diffuseurs.
Le retour de la publicité en soirée sur les chaînes de France Télévisions ne me semble pas être la panacée ni la question clé. Je tiens, et je l’ai redit à plusieurs reprises, s'agissant de l'audiovisuel public, au principe du financement primordial par la contribution à l'audiovisuel public (CAP, ou redevance). Celui-ci est indispensable à plusieurs titres : pour assurer l'équilibre économique du secteur, pour garantir l'indépendance des médias publics, vous en avez parlé ce matin et pour maintenir la qualité, la diversité et l'accessibilité des programmes au plus grand nombre.
Les modes de consommation des contenus audiovisuels des Français ont d’ores et déjà évolué. La diffusion des programmes par Internet - à travers la télévision de rattrapage ou les podcasts d'émissions de radio par exemple – est ancré dans les comportements et connaît une progression remarquable.
Adapter la CAP aux nouveaux usages est une question d’efficacité mais aussi d’équité.
Dans ce contexte, le Gouvernement a décidé de créer sur ce sujet un groupe de travail, avec les Parlementaires, qui sont les meilleurs experts de l’audiovisuel dont les travaux débuteront dans les jours prochains. Soyez assurés que toutes les pistes de réforme seront étudiées en vue de permettre un financement moderne, juste et pérenne du secteur audiovisuel public.
Enfin, comme vous l’avez tous abondamment souligné, l’évolution de notre cadre juridique national et les ambitions que nous défendons devrons être portées avec force au niveau européen. Je n'oublie en effet pas que la Commission européenne a ouvert plusieurs chantiers de réflexion parallèles au nôtre. Je pense notamment à la consultation sur le livre vert sur la télévision connectée qui pourrait aboutir à la révision de la directive « Services média audiovisuels » qui fixe le cadre communautaire applicable à l'audiovisuel.
Face aux pistes envisagées par Bruxelles, nous devons faire preuve d'unité et d'ambition pour défendre notre vision de l'avenir du secteur de la création. Sur ce terrain européen, la défense de la culture est parfois un combat et nous devons, je crois, viser le plus haut niveau d'exigence : la France a été et restera le leader de la politique européenne de l’audiovisuel.
Je souhaite conclure cette journée en forme d’ouverture vers la suite de nos échanges. Les sujets sont nombreux et souvent complexes, ils me rappellent une phrase du héros de Saint-Exupéry dans « Vol de nuit » parlant à l’ingénieur qui vient lui exposer les obstacles aux vols transcontinentaux : « la vie n’est pas seulement faite d’une succession de problèmes auxquels on apporte une succession de solutions, elle est avant tout constituée de forces qu’il convient de mettre en mouvement ».
Pour nous ici réunis, il s’agit des forces de la création et du partage, et il convient de les mettre en mouvement sur tous les supports de diffusion de l’audiovisuel, c’est ce que nous allons faire ensemble !
Je tiens à vous remercier chaleureusement pour votre participation à cette journée de travail.