Cher Valentino Garavani,
Ambassadeur incontesté de l’élégance à l’italienne, vous avez su marier
modernité, classicisme et romanticisme comme peu d’autres avant vous,
déployant ce rouge inimitable, le « rouge Valentino », vif, ardent et
flamboyant, en étendard de votre dextérité.
Originaire de Voghera, ville située entre les citées industrielles de Turin et
Milan, où vous cultivez déjà un goût immodéré pour le Beau, c’est à Paris
que vous faites vos premières armes, sur les bancs de l’Ecole de la
Chambre Syndicale de la Couture. Jeune lauréat du concours du
Secrétariat international de la laine, vous intégrez en 1952 la prestigieuse
maison Jean Dessès qui habille tout ce que le cinéma français compte
alors de vedettes les plus en vue, avant de rejoindre Guy Laroche en 1957,
lorsqu’il fonde sa propre maison. Le génie précoce de vos créations séduit
le Tout-Paris, mais c’est à Rome que vous installez votre atelier lorsque
vous décidez, en 1959, d’ouvrir une maison sous votre nom.
Alors que dans les années 1960, Rome se distingue comme la Nouvelle
Hollywood, la fine fleur des actrices internationales vous sollicite :
Elisabeth Taylor, Sophia Loren, Claudia Cardinale, Audrey Hepburn, pour
ne citer qu’elles. L’année 1968 est celle de votre consécration : votre
collection blanche, monochrome, fait sensation. Jacqueline Kennedy, avec
qui vous liez des liens sincères et indéfectibles, se marie dans une de vos
créations, une robe en dentelle blanche que le monde lui envie.
Ces années marquent aussi votre rencontre avec Giancarlo Giammetti,
votre si fidèle collaborateur, et l’ouverture de votre première boutique
parisienne avenue Montaigne.
Les décennies suivantes sont marquées par l’édification de cet empire
international qui est le vôtre : sous l’impulsion de Giancarlo Giammetti,
vous lancez une ligne de prêt-à-porter et ouvrez des boutiques en Europe,
mais aussi à New York et Tokyo. Vos silhouettes fluides, élégantes et
sensuelles, aux formes nettes, taillées dans des matières somptueuses
déclinant le rouge, le noir et le blanc selon des jeux subtils de lignes
entrelacées, font le tour du monde.
En 1991, vos trente ans de création sont salués par une exposition
magistrale, Valentino, trente ans de magie, au musée du Capitole, à
Rome, qui ouvre le bal des festivités grandioses données en votre
honneur. En 2007, après avoir fêté vos 45 ans de carrière, vous tirez votre
révérence au Musée Rodin, à Paris, où vous présentez une collection qui
porte le raffinement à son comble, ultime coup d’éclat du maître incontesté
de la haute couture romaine.
Vous ne quittez cependant pas le devant de la scène puisque vous avez
récemment été mis à l’honneur par le New-York City Ballet pour les
costumes que vous avez créés, renouant ainsi avec vos premières
amours, vous qui, en jeune homme passionné, fréquentiez la Comédie
française et les balcons de l’Opéra de Barcelone, où ce rouge dont vous
avez fait votre signature fascina votre oeil d’adolescent.
C’est à cet amateur du Beau, prodige de la forme et coloriste consacré,
artiste inspiré, maître indiscuté de la création italienne, que j’adresse les
hommages de la République.
Cher Valentino Garavani, au nom de la République française, nous vous
faisons commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres.
Cher Serge Toubiana,
Claude Lanzmann, en vous remettant les insignes de l’ordre national du
mérite en mai 2010, soulignait que, par votre action, la Cinémathèque
française était devenue « une cinémathèque-monde ».
Permettez-moi de reprendre cette image qui traduit le rayonnement de
l’institution, portée par l’excellence de votre direction aux côtés des
éminents présidents Claude Berri et Costa-Gavras.
Cette image s’applique également en des termes plus personnels vous
concernant puisqu’en tant qu’amateur d’art, de littérature mais aussi de
sports et de bonne chère, vous aimez découvrir, vivre des émotions, des
rencontres mais aussi susciter la curiosité, mettre en relation et favoriser la
convivialité.
Vous incarnez cette culture de partage propre aux arts, propre au cinéma !
Né en Tunisie en 1949, vous avez dû quitter brutalement cette terre avec
vos parents alors que vous n’aviez que treize ans pour vous installer à
Grenoble en 1962. Mais certaines rencontres ont été déterminantes,
comme avec la politique et surtout avec le cinéma.
Vous écrivez dans votre blog le choc qu’a représenté la découverte du film
Pierrot le Fou et que des années après l’émotion est intacte lorsque vous
assistez à une projection de la copie restaurée du film à Bombay : «le
temps a passé, rien n’est plus comme avant, mais le film demeure tel un
bloc de poésie, une machine à rêve, une toile peinte à même l’écran ».
Comme un pont dressé entre votre première rencontre avec le cinéma,
l’étudiant en cinéma que vous avez été et le spécialiste du 7ème art
accompli que vous êtes devenu.
De 1974 à 1982, aux côtés de Serge Daney, vous devenez le rédacteur en
chef des Cahiers du Cinéma en vous formant alors à la critique
cinématographique et à la pratique de l’entretien qui devient votre
spécialité. Vous concevez « le journal des Cahiers » qui propose une
approche plus journalistique de l’actualité cinématographique.
Pendant les années 1980, vous rénovez et donnez une nouvelle ligne
éditoriale plus axée sur le cinéma que sur la politique. En mars 1982, vous
restez à la rédaction des Cahiers du Cinéma après le départ de Serge
Daney pour le journal Libération. Vous améliorez les structures financières
et administratives des Cahiers du Cinéma, vous faites venir de nouvelles
personnes à la rédaction (Olivier Assayas, Alain Bergala, Léos Carax,
Michel Chion, Charles Tesson, etc.), vous changez la ligne éditoriale en
replaçant le cinéma américain contemporain au devant de l’affiche et
revenez sur les grands réalisateurs français (Claude Chabrol, François
Truffaut, etc.). De nouveaux rédacteurs des Cahiers vous succèdent à
compter de 1992.
En 1989, dans votre éditorial, vous écrivez : « Ce qui est frappant, c’est à
quel point la durée d’exploitation des films en salles avait encore raccourci
(combien de films n’ont pas plus de deux ou trois semaines sur les
écrans ?), à quel point la liste des films qui auraient « mérité » une plus
large audience s’était allongée ». Vous faites alors une proposition : « Il
faudrait inventer de nouveaux modes de diffusion des films qui tiennent
compte de leur identité culturelle propre, selon qu’ils sont des « produits »
de consommations courantes ou des « oeuvres » de longue durée ».
Je me permets de souligner que certaines de vos réflexions, cher Serge
Toubiana, se posent à nouveau en ces termes en 2012.
Avec cette curiosité que j’évoquais plus haut, vous vous emparez
finalement de tous les formats - presse écrite, radio, littérature ou télévision
- donnant à voir, à lire ou à entendre, un cinéma à visage humain, à l’instar
de vos biographies, sur pellicule ou papier, de François Truffaut, Gérard
Depardieu ou Isabelle Huppert.
« Conserver, archiver et montrer », c’est ainsi que vous définissez la
mission de la Cinémathèque française dans le rapport sur le patrimoine
cinématographique que vous remettez en 2003 à l’un de mes
prédécesseurs, Jean-Jacques Aillagon, avant de prendre la tête de
l’association-institution.
Vous intitulez ce rapport Toute la mémoire du monde, en hommage à Alain
Resnais. Tel un trait d’union entre ces dix ans passés depuis la remise de
votre rapport avec le chemin parcouru à la direction de la Cinémathèque,
ce titre, vous choisissez de le reprendre pour nommer le festival
international du film restauré que vous initiez à la Cinémathèque à la fin de
cette année.
Ainsi, après avoir orchestré l’installation de la Cinémathèque en 2005 dans
son nouvel écrin de Bercy, et après avoir introduit la notion de saison
culturelle, vous vous employez depuis la fusion avec la Bibliothèque du
Film à repenser les actions de valorisation, de conservation, de
restauration et de numérisation du patrimoine de ou confié à la
Cinémathèque.
Par l’engagement de votre Président Costa-Gavras, par votre action et
celle de vos collaborateurs, la Cinémathèque française parvient désormais
à toucher un public plus fidèle, nombreux et rajeuni.
Veilleur et passeur du 7ème art, vous oeuvrez à tirer les films de cette
« abstraite indifférente où ils sont entre eux », pour paraphraser Alain
Resnais, pour maintenir vive cette mémoire universelle qu’est le
cinéma. La République française, par mon entremise, vous adresse toute
sa gratitude et sa reconnaissance.
Cher Serge Toubiana, au nom de la République française, nous vous
faisons commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres.
Cher Benjamin Biolay,
Enfant prodige et terrible de la chanson française. Vif, ténébreux,
tourmenté, tel qu’on aime à vous décrire, vous êtes surtout pour moi cet
artiste qui manie « l’art si difficile d’être sincère sans ridicule » pour le dire
comme Baudelaire. Un artiste qui, le coeur au bout des lèvres, se livre sans
détour à qui l’écoute. Loin de la dérision et de l’ironie de bon ton, vous
délivrez une vérité parfois rugueuse, acerbe, cinglante, qui souvent trouble
et dérange, mais qui va droit au coeur.
Dans la plus pure tradition romantique où se mêlent élégance du verbe et
justesse du propos, douce mélancolie et conscience aiguë du monde, vous
avez, il me semble, épinglé l’esprit du temps. Vous comprenez le monde,
vous en êtes curieux : ainsi ces artistes aux horizons variés qui vous
entourent pour votre dernier album, Vengeance, votre passion pour le
football ou la NBA, votre engagement citoyen.
« J’avale le vent, j’avale la vie, j’avale les gens, j’avale la nuit » chantezvous
dans Assez parlé de moi, morceau qui, comme une provocation à
son titre et son refrain, tourne et s’enroule autour de votre « je » lyrique,
s’en éloigne, pour mieux y revenir.
« Pour écrire un seul vers, il faut connaître le monde », ces mots de Rilke
qui vous accompagnent lors de vos concerts suggèrent aussi votre très
grande rigueur, l’humilité de votre approche de la création, le choix
minutieux des mots qui forment vos textes incisifs, féroces ou
nostalgiques, toujours criants de vérité, cette voix murmurée sur des
mélodies dont l’évidence fait presque oublier l’incroyable densité, sans que
jamais le texte ne semble prétexte à une mélodie ou la musique dicter vos
mots.
Avec La Superbe vous ouvrez une brèche pour toute une génération
d’exaltés dont vous avez libéré la parole et décomplexé le lyrisme. Cet
album vous vaut la reconnaissance de vos pairs qui, dans un élan
unanime, vous consacrent par deux victoires de la musique en 2010, et du
public, qui salue massivement ces accents du coeur que vous portez sur le
devant de la scène.
C’est le hasard, dites-vous souvent, qui vous a mené vers le cinéma :
« Pierre qui roule, roule » ainsi que vous le chantez dans Ton Héritage,
vous avez su accueillir la surprise et elle vous a réussi : votre nomination
aux Césars en 2009 pour un second rôle, puis ce premier rôle
bouleversant de justesse dans « Pourquoi tu pleures ? » de Katia
Lewkowicz.
Ainsi va votre carrière, faite d’heureux hasards mais de rencontres aussi.
Car votre carrière, c’est aussi celle des autres, ceux au service desquels
vous avez mis votre talent, dont vous avez su faire éclore les émotions
ensevelies ou à peine formulées. Pour n’en citer qu’un, Henri Salvador
dont vous avez récemment ressuscité la voix inimitable le temps d’un
album et d’un lumineux dialogue d’outre-tombe. Puriste, orfèvre
méticuleux, vous dispensez la même rigueur, la même agilité technique
héritées de vos années de conservatoire à Lyon, dans vos albums et ceux
des autres.
« Je ne suis pas populaire », dites-vous : aujourd’hui vous êtes plébiscité
par la foule aux mille visages de ceux qui ont reconnu en vous un
semblable, ceux auprès de qui votre oeuvre et votre engagement trouvent
un écho vif, des âmes soeurs, des frères d’armes. Je suis de ceux-là et
c’est avec une joie sincère que je vous adresse les hommages de la
République.
Cher Benjamin Biolay, au nom de la République française, nous vous
faisons officier de l’Ordre des Arts et des Lettres.