Monsieur le député-maire de Cannes,
Monsieur le président, cher Gilles Jacob,
Eric Garandeau,
Mesdames, Messieurs, les amoureux du cinéma,

Je suis très heureuse d’être parmi vous aujourd’hui, avant de dresser bilan
et perspectives du CNC, puisque tel est l’intitulé de notre réunion. Je veux
tout d’abord célébrer le cinéma et, en particulier, le cinéma français dans
sa dimension culturelle, dans sa dimension d’ouverture, dans sa dimension
d’attractivité, pour les autres cinéma du monde comme Cannes en est le
symbole mais aussi dans sa dimension économique.

Cannes devient pendant ces quelques jours la capitale du cinéma. On y
fête le cinéma et c’est le symbole que le cinéma est toujours une fête.
Dans toutes les salles, dans toutes les villes de France, dans les
campagnes, dans les quartiers, dans les capitales, partout dans le monde,
à chaque fois que les gens se retrouvent dans une salle obscure pour
partager une émotion, c’est une fête.

C’est aujourd’hui en tant que ministre de la Culture et de la Communication
que je viens à Cannes mais ce n’est pas la première fois que j’ai la chance
d’être ici au sein du festival. En effet, je suis une femme politique mais je
suis aussi une cinéphile. Une cinéphile, modestement, car sous le regard
de Thierry Frémaux, j’ai un peu de scrupules à me définir comme tel. En
tout cas c’est comme une amoureuse du cinéma et des cinémas que je
suis ici parmi vous. C’est en tant que femme politique que le Président de
la République m’a confié cette charge lourde, écrasante, mais au combien
exaltante, du ministère de la Culture et de la Communication.

C’est en tant que femme politique que je vais vous parler aujourd’hui mais
peut-être mon propos va vous frustrer légèrement. Nous avons quelques
contraintes qui sont des contraintes d’agenda. Vous le savez le
gouvernement a été constitué la semaine dernière seulement. Une
campagne législative est en cours et durera jusqu’au 17 juin prochain.
Il y a aussi une nouvelle méthode, une nouvelle méthode de
gouvernement, que le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, veut instaurer,
une méthode fondée sur le dialogue, la concertation, la pondération, la
mesure, tout sauf de la brutalité, tout sauf de la précipitation, tout sauf des
opérations de communication, parfois brillantes, efficaces sur l’instant mais
qui ne débouchent pas sur des réalités concrètes. Je ne suis pas venue
pour vous faire des annonces mais bien pour tracer des grandes lignes, et
tout d’abord pour célébrer et remercier le CNC de son action pour le
cinéma et le cinéma français en particulier.

En effet, le cinéma français est une grande réussite, c’est une grande
réussite pour notre pays. Malgré toutes les menaces qui pèsent sur lui, le
cinéma français se porte bien et se porte même de mieux en mieux. On le
sait il y a eu des records d’entrées en salle avec 215 millions d’entrées
cette année. Une part de marché des films français qui est en progression
à près de 41% et 600 nouveaux longs métrages qui ont été projetés dont la
moitié étaient des films français.

Une vitalité artistique renouvelée, avec à côté des grands noms de notre
cinéma, l’éclosion d’une nouvelle génération de réalisateurs et de
réalisatrices, d’ailleurs merci d’avoir cité Valérie Donzelli, l’éclosion d’une
nouvelle génération d’artistes.

Notre cinéma c’est une réussite artistique mais aussi une réussite
économique Pour nos exportations : 72 millions d’entrées à l’étranger ont
été réalisées pour les films français. Il y a eu des récompenses
prestigieuses qui sont venues couronner cette politique de soutien au
cinéma français qui a portée ces fruits. Nous pensons évidemment tous
aux 5 Oscars obtenus par le film « The Artist ».

J’ai remis à Nanni Moretti, le président du jury, hier, les insignes de
Commandeur de l’ordre des Arts et Lettres, décoration qui avait été, je
tiens à le préciser, décidée par mon prédécesseur, Frédéric Mitterrand, par
un arrêté du 13 avril. Nanni Moretti a réaffirmé son attachement à notre
pays, en raison du rôle, du soutien, du financement au cinéma que la
France a réussi à préserver. Il a vanté l’attention et le respect dont
bénéficie le cinéma français.

Ce système est très performant. Il a contribué à la réussite d’ensemble de
cette filière mais il est aussi fragile et des adaptations, des évolutions sont
nécessaires en particulier pour faire face aux nouveautés, aux
bouleversements, associés au numérique. Les inquiétudes sont
nombreuses et vous les connaissez : échec technologique, lecture
européenne parfois trop libérale et uniquement axée sur la concurrence.

J’ai eu un premier entretien hier à ce sujet avec la commissaire
européenne, Madame Vassiliou. Nous avons commencé à évoquer la
question des aides d’état, de la territorialisation de ces aides, et puis il y a
l’entrée d’acteurs très puissants de l’Internet. Tous ces éléments peuvent
désorganiser, fragiliser un écosystème qui a fait ses preuves.

Quelques jours après ma prise de fonction, vous comprendrez aisément
que je ne peux entrer dans les détails d’un plan trop précis mais je souhaite
vous donner quelques éléments d’orientation pour ce qui contribuera à
guider mon action.

Tout d’abord, des objectifs politiques, la défense de la variété de notre
cinéma, de sa diversité, de sa jeunesse, même si le cinéma est un art
éternellement jeune et que les très grands réalisateurs font preuve d’une
étonnante capacité à rajeunir au fil des années. Manoel de Oliveira n’est
pas là cette année, mais nous avons vu hier soir le film d’Alain Resnais.
Alain Resnais, ce grand Monsieur, est là pour symboliser cette éternelle
jeunesse du cinéma et je ne parlerai pas du Président Gilles Jacob, qui
m’a fait l’amitié, l’honneur, de m’accueillir ici cette année avec beaucoup de
chaleur et je vous en remercie, cher Gilles Jacob.

Le cinéma c’est une forme de jeunesse éternelle mais j’ai voulu symboliser
les nouvelles générations en proposant à des étudiants de la Fémis et de
l’Université d’Avignon en cinéma de monter les marches avec moi avanthier
soir.

C’est aussi un objectif d’éducation, d’éducation artistique, je pense
notamment à l’opération « Collège au cinéma » qui est à la fois une
manière d’éduquer les jeunes à l’image, d’éduquer les jeunes au cinéma
puis aussi de les amener vers les salles indépendantes, vers les salles
d’art et d’essai que nous souhaitons continuer à défendre.

Le cinéma c’est aussi cette démocratisation, cet art authentiquement, pour
ne pas dire le seul art authentiquement populaire comme le disait Jean-Luc
Godard. Le cinéma c’est effectivement un art extrêmement populaire et
auquel chacun de nos concitoyen est attaché.

Je pense que le succès du film Intouchables a montré cet attachement et
ce désir, cette appétence de l’ensemble du peuple français pour son
cinéma.

C’est à travers notre cinéma, le cinéma français, que la France se
reconnaît comme nation et que nous formons aussi cette communauté.

Cet attachement à la diversité qui a permis à la cinématographie française
d’être aujourd’hui ce qu’elle est parce que nous sommes aujourd’hui l’un
des seuls pays pour ne pas dire le seul pays à ne pas avoir un cinéma
mais des cinémas. Avec l’avènement du numérique je serai extrêmement
vigilante pour préserver cette exception culturelle.

Faire cohabiter les grands films d’auteur, faire cohabiter des films
populaires, des films à gros budgets, des films qui rencontrent un large
succès critique, des films qui rencontrent un large succès populaire ou
comme ceux qui ont la chance de pouvoir réunir les deux, mais aussi
soutenir ces films du milieu comme l’expression de Pascale Ferrand, il y a
quelques années. Ces films du milieu qui contribuent à la richesse et au
rayonnement de notre cinéma dans le monde.

Je serai, je tiens à vous l’assurer, une ambassadrice de cette diversité et
de cette richesse du cinéma français de par le monde.

Quand aux sujets plus techniques, il y a évidemment la question des
contenus numériques et celle aussi de l’audiovisuel.

Sur le numérique, ce sujet suscite de nombreuses inquiétudes et j’en ai
tout à fait conscience, je tiens à vous assurer, à vous rassurer, sur ma
mobilisation. Le respect du droit d‘auteur, le respect de la rémunération,
indispensable à la création, sont pour moi tout à fait fondamentaux. Les
évolutions technologiques imposent une adaptation des cadres, qui ont
historiquement été au coeur de notre évolution cinématographique,
l’innovation si elle est bien organisée peut contribuer à élargir, à enrichir, à
diversifier l’accès de tous aux oeuvres du cinéma, aux oeuvres
audiovisuelles, mais cela doit se faire dans un cadre régulé.

Nous n’imposerons pas de solutions toutes faites, nous avons décidé
comme cela a été annoncé pendant les mois qui ont précédé l’élection
présidentielle, d’organiser une large concertation qui associera toutes les
parties, tous les acteurs, qui sont concernés par l’évolution des modes de
financement, de consommation, et de rapports aux oeuvres liés au
numérique.

C’est le ministère de la Culture et de la Communication qui aura la
responsabilité de ce dossier. Ce travail collectif comprendra évidemment
un aspect de bilan sur les mesures législatives prises au cours des
dernières années, sur les forces et les faiblesses des dispositifs.

Je tiens à rappeler notre attachement à une dimension fondamentale pour
le cinéma, qu’Eric Garandeau a évoqué tout à l’heure, qui est l’objet de
discussions et de nombreux travaux, y compris au CNC. Il s’agit de la
chronologie des médias. Là encore c’est un sujet que j’ai déjà eu l‘occasion
d’aborder, de manière très embryonnaire pour le moment, car l’entretien
était très court, avec la commissaire européenne. Nous sommes attachés à
ce système mais là aussi il y aura un travail qui sera mené dans le même
esprit : la concertation, l’élaboration collective, la mesure, la pondération et
jamais la précipitation.

A l’issue de ces travaux, des mesures, des évolutions pourront être
proposées. Cela prendra le temps qu’il faut. Les pratiques elles-mêmes ont
évolué, il y a une maturation des comportements de nos concitoyens vis-àvis
du numérique. Nous chercherons à entendre toutes les parties
concernées et élaborerons ensemble les mesures qui nous permettrons de
continuer à faire vivre, à défendre la vitalité de notre cinéma français au
service de ce rayonnement culturel de la France.

En un mot tout cela se fera avec vous, tout cela se fera au service de
l’intérêt général, nous avons tous à coeur que ce qui nous réunis
aujourd’hui à Cannes, ce qui nous est souvent envié dans les autres
cinémas du monde, soit toujours aussi performant, aussi fertile, aussi
fécond et aussi attractif demain et après demain.

Le second dossier essentiel concerne l’audiovisuel. L’audiovisuel contribue
pour une part très importante au financement de la création. Une série de
défis, là aussi, se pose. Les nouvelles chaînes qui arrivent sur la TNT, les
opérateurs dotés de gros moyens financiers et qui sont prêts à investir
massivement, la télévision connectée, la délinéralisation des programmes,
les enjeux liés à la vidéo à la demande, le poids des géants de l’Internet,
autant de sujets éminemment techniques, avec des impacts et des enjeux
culturels qui peuvent là encore déstabiliser notre système de financement
de la création.

Il ne s’agit pas d’être fermé, d’être rétif, à toute évolution, il s’agit
simplement de veiller à ce que au nom de la modernité, des évolutions
technologiques, nous ne perdions pas ce système qui a permis au cinéma
français de résister et de s’affirmer comme l’un des seuls aujourd’hui dans
le monde à pouvoir être mis en regard des succès du cinéma américain.

Ce qui me semble important de souligner c’est que toutes ces questions
sont liées et ne doivent pas être traitées séparément. Nous serons très
attentifs, dans l’examen de tel ou tel mécanisme à consolider et à conforter
l’équilibre d’ensemble, cet écosystème dans toutes ces composantes.
Je tenais aussi à saluer le travail qui a été réalisé pendant toutes ces
années par le Centre national de la Cinématographie et de l’image animée
car effectivement c’est aussi une dimension importante de notre créativité,
les films d’animation, la filière industrielle de l’animation en France est
aussi une filière qu’il faut continuer à encourager parce qu’elle est
extrêmement créative, extrêmement performante, parce qu’elle rencontre
de grands succès de par le monde. J’y serai très attentive.

De la même manière, je serai attentive aux questions concernant le jeu
vidéo. Le jeu vidéo fait partie du périmètre de mon Ministère.

Le travail du CNC sera là aussi un élément essentiel des réformes, des
évolutions à venir dans le périmètre du Ministère que je dirige. Cela ne
sera pas possible sans une concertation très forte, sans un travail accru au
niveau européen. J’ai commencé à prendre des contacts avec certains de
mes homologues, je sais qu’aujourd’hui l’une des dimensions de la
politique culturelle se joue à Bruxelles. Je serais très vigilante, très
exigeante, très présente sur ces dossiers européens.

L’exception culturelle française, cet acte II de l’exception culturelle, que le
Président de la République souhaite définir avec vous, se joue aussi au
sein des instances européennes.

Qu’il s’agisse des aides d’Etat, de la fiscalité, du programme MEDIA, des
coopérations que nous devons relancer avec des partenaires bilatéraux.
Toutes ces questions sont indispensables à un ministre de la Culture
français qui veut continuer à défendre et à promouvoir le cinéma français.

Il s‘agit donc pour moi, dans cette prise de fonction, de vous tracer les
grandes lignes, de vous tracer des perspectives, de proposer un travail
avec vous, un travail en concertation, un travail avec l’ensemble des
acteurs, de vous assurez d’un engagement personnel très fort au service
du cinéma, de la culture, des créateurs et aussi bien sûr avec l’objectif
d’élargir toujours les publics et démocratiser l’accès à la culture.

Je serai à vos côtés et je serai là pour servir modestement, humblement, le
cinéma français. Je sais que je suis nouvelle Ministre, une jeune Ministre
comme certains m’ont fait l’amitié de me qualifier, mais je suis aussi une
femme politique. Je pense que c’est important de montrer que la politique
culturelle c’est avant tout de la politique. Il faut pouvoir négocier, il faut
pouvoir construire des rapports de force, il faut pouvoir trouver des
soutiens, trouver des majorités à l’Assemblée, j’espère que nous aurons
une large majorité bientôt. Il faut aussi parfois sur certains sujets, sur
certains amendements, être présents, connaître la machinerie
parlementaire, connaître le fonctionnement des commissions, connaître
aussi les interlocuteurs dans les différents Ministère,et bien sûr dans celui
qui nous impressionne le plus, le ministère des Finances, du Budget.

Il faut aussi pour cela avoir, je pense, une conviction chevillée au corps,
celle de savoir que l’on travaille pour l’intérêt général. C’est la raison pour
laquelle je veux m’appuyer pendant mon mandat sur la confiance donnée
par le Président de la République et celle des électeurs qui ont voté pour
moi en 2007. Je pense qu’il est important de remettre la culture au coeur de
la politique. C’était aussi le message des grands noms qui ont construit
l’identité du ministère de la Culture. Ces grands noms étaient tous des
grandes personnalités, de grands hommes ou de grandes femmes
politiques. Je n’aurai pas la prétention de me mettre à leur niveau mais
c’est en m’inspirant de la manière dont ils ont pu agir que je veux tracer
des grandes lignes pour les semaines et les mois à venir.

Je vous remercie pour votre écoute