Chère Nathalie Stutzmann,
Vous faites figure d'exception et c’est un très grand honneur pour moi de vous distinguer aujourd’hui : on connaît quelques femmes chefs d'orchestre, mais être, comme vous, cantatrice et chef d’orchestre, et mener de front cette double carrière à un niveau international, relève de l’exploit.
Née dans une famille de chanteurs d'opéra, vous suivez très jeune des cours de piano, basson, musique de chambre, puis de direction d'orchestre, et vous commencez vos études de chant avec votre mère, Christiane Stutzmann.
Le timbre de votre voix de contralto, d'une authenticité rare, attire rapidement l'attention du monde musical.
En 1983, vous obtenez les 1
er
prix : de piano, de musique de chambre, de chant et d’art lyrique du conservatoire de Nancy et vous êtes lauréate du concours musical de la RTBF. Vous entrez ensuite à l’Opéra de Paris dans la classe de Michel Sénéchal et débutez votre carrière professionnelle, en 1986, à l’Opéra Garnier dans Didon et Enée de Purcell.
En 1988, vous remportez le 1
er
prix du concours international de chant Neue Stimmen de la Fondation Bertelsmann. Dès lors, vous travaillez avec les plus grands chefs, comme Seiji Ozawa, Sir Simon Rattle, Sir John Eliot Gardiner, et vous vous produisez avec les orchestres les plus prestigieux comme le Berliner Philharmoniker, le New York Philhamonic, le London Symphony Orchestra, le Wiener Philharmoniker, l’Orchestre National de Madrid, l’Orchestre de Paris.
Spécialiste du lied allemand et de la mélodie française, vous parcourez le monde entier pour des récitals, accompagnée par la pianiste concertiste suédoise Inger Södergren. Votre incomparable discographie, plus de 80 enregistrements, est saluée par de nombreuses récompenses, comme le Grand Prix de la critique du disque allemand.
En 2008, répondant à l’invitation de Seiji Ozawa, vous débutez votre carrière de chef d’orchestre et dirigez plusieurs concerts au Japon. L’année suivante vous fondez votre propre orchestre de chambre, Orfeo 55, en résidence à l’Arsenal de Metz. Cet ensemble joue aussi bien sur instruments baroques que modernes, et vous permet de vous aventurer en toute liberté dans les répertoires les plus divers. Votre expérience de musicienne romantique et votre connaissance des styles anciens vous permettent d’aborder aussi bien Vivaldi et Mozart que Beethoven, Wagner ou Brahms.
Orfeo 55 vous confère la liberté, l’autonomie dont vous rêviez et vous permet de réaliser musicalement ce que vous avez « toujours voulu entendre ». Votre carrière de cantatrice est pour cela un atout : vous apportez un souffle, une respiration, à votre orchestre de chambre qui se concrétise par une rare intensité d'interprétation.
Vous avez signé un contrat d’exclusivité en tant que chef et cantatrice avec la prestigieuse maison de disque Deutsche Grammophon dont votre première collaboration le disque Prima Donna fut un événement, presque 10 000 exemplaires vendus !
En 2012, votre intervention aux Victoires de la Musique classique, à la tête de votre ensemble Orfeo 55, est ovationnée par le public.
Mais depuis toujours la musique de Jean-Sébastien Bach vous accompagne : vous avez chanté Bach sous les baguettes légendaires de Herbert von Karajan et de Sir John Eliott Gardiner, et vous décidez donc de consacrer votre tout dernier album au Cantor de Leipzig : « la cantate imaginaire », construite à partir du choix que vous retenez parmi ses plus belles pages. C’est ce très beau programme que vous venez de nous offrir ce soir à l’Arsenal de Metz et demain, Salle Gaveau, à Paris.
Je veux également souligner votre engagement pédagogique et les cours d’interprétation que vous donnez à travers le monde et plus régulièrement à la Haute école de Musique de Genève.
Chanter et diriger un orchestre était votre rêve, et vous l’avez réalisé. Non conformiste, indépendante, vous réussissez là une performance à la fois physique et intellectuelle : dos au public lorsque vous dirigez, face à lui lorsque vous chantez, dans un parfait exercice d'équilibriste.
Votre approche à la fois libre et rigoureuse, votre science du phrasé et l’intensité émotionnelle de vos interprétations, votre maîtrise exceptionnelle au service de la passion que vous communiquez, sont autant d’éléments qui vous font apprécier tant du public que des orchestres que vous dirigez.
Pour cette carrière déjà remarquable, chère Nathalie Stutzmann, au nom du Président de la République, nous vous faisons Chevalier de l’ordre national du Mérite.