Discours d'Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la
Communication, prononcé à l'occasion de la cérémonie de remise
des insignes de Chevalier de l'ordre des Arts et des Lettres à Valli,
animatrice radio, d'Officier de l'ordre des Arts et des Lettres à Eva
Darlan, chanteuse et comédienne, de Commandeur de l'ordre des
Arts et des Lettres à Petula Clark, chanteuse et actrice
Chère Valli,
C’est votre voix qui, d’abord, vient à l’esprit. Ce timbre grave, à peine voilé,
aux inflexions sautillantes, cette pointe d’accent qui trahit vos origines
transatlantiques. Eclats de voix et de rires, qui résonnent dans la nuit où
l’auditeur, attentif et conquis, vous écoute toutes les semaines. Une voix
qui, après avoir affolé les hit-parades avec Chagrin d’Amour, s’impose
dans le paysage radiophonique comme interprète, critique et soutien
inconditionnel de la culture pop.
Francophile depuis qu’un voyage à travers l’Europe vous convertit à la
gastronomie française, enfant du pop-rock bercée par les rythmes anglosaxons,
vous quittez l’Amérique de Reagan pour la France survoltée des
années 80. Votre arrivée à Paris coïncide avec la victoire de François
Mitterrand : la France fête son nouveau président et votre carrière démarre
en trombe avec Chacun fait (c’qui lui plaît). Le public raffole de l’audace de
ce qui devient vite un tube, la critique salue l’impertinente dissonance entre
le son sémillant, mixé avec soin, et la noirceur des textes. Tous se
réjouissent de la nouveauté de cette parole chantée qui fait sonner les
mots et porte en elle le phrasé du rap que vous écoutiez sur le campus de
l’université de New York. Après l’aventure Chagrin d’amour, vous vous
lancez en solo avec le célèbre The More I See You que vous empruntez à
votre répertoire national pour lui donner une coloration pop.
De la scène aux coulisses, votre voix, servie par votre talent d’éditorialiste,
prend une tonalité unique dans le paysage audiovisuel. A la télévision, sur
Canal + ou Arte, mais à la radio surtout, sur Europe 2, puis France Inter
depuis maintenant 10 ans. Dans SYSTEME DISQUE vous commentez
l’envers du décor de l’industrie musicale et décryptez les phénomènes
musicaux qui en bouleversent le paysage. Depuis deux ans, grâce à POP,
ETC., vous invitez les auditeurs à explorer les confins du territoire pop. 50
ans après le déferlement sonore des quatre garçons dans le vent, vous
racontez l’histoire de la pop à travers les albums qui ont marqué leur
génération et les événements et les lieux qui sont entrés dans la légende.
Américaine à Paris, vous apportez un éclairage unique sur le monde de la
musique mais sur l’actualité, aussi : vous avez ainsi commenté la récente
campagne présidentielle américaine en musique pour le plus grand
bonheur des auditeurs de France Inter. Vos émissions sont le lieu de
débats passionnés et de précieuses découvertes, elles offrent aussi une
vitrine inestimable à la jeune création que vous défendez et soutenez par
des choix musicaux souvent à contre-pied des programmations strictement
commerciales. Favoriser et encourager la jeune création, c’est précisément
ce que vous faites auprès de l’Action Artistique de l’ADAMI, avec laquelle
vous oeuvrez à la découverte de nouveaux talents de tous horizons.
Témoin privilégié de la culture pop, vous ne cachez pas votre
enthousiasme pour la pop française en pleine effervescence et pour ces
jeunes artistes qui, de Caen à Bordeaux, de Nantes à Reims, animent la
scène musicale internationale.
Chère Valli, en saluant cette voix qui vous distingue dans le paysage
audiovisuel français, je célèbre votre engagement au service de la
musique populaire et rends hommage au duo inspiré que forment nos deux
cultures.
Chère Valli, au nom de la République française, nous vous faisons
chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres.
Chère Eva Darlan,
Chevelure flamboyante et regard bleu acier, vous vous élancez sur les
planches, crevez l’écran, petit ou grand, vous jetez à corps perdu dans le
combat pour le droit des femmes, avec toujours le même supplément
d’âme et une détermination à toute épreuve.
« Jeanne, ma soeur Jeanne, ne vois-tu rien venir ? » Que n’avez-vous rien
vu venir, lors de cette représentation des 3 Jeanne où le tout Paris se
presse alors que vous faites vos premiers pas sur scène ? Vous êtes alors
bien loin de vous douter que ceux qui feront votre carrière sont réunis dans
la salle trop exiguë du café-théâtre où vous vous produisez : Claude Sautet
pour qui vous serez Anna dans Une Histoire Simple, un rôle qui vous
vaudra une nomination aux Césars, Yves Boisset qui vous sollicitera pour
La Stratégie du Serpent, Claude Lelouch qui fera de vous Eva dans Les
Uns et les Autres et Jean-Michel Ribes dont vous deviendrez la complice.
Sur les planches, avec Par-delà les marronniers en 1977, à l’écran, le
grand, pour Rien ne va plus, le petit, pour Merci Bernard et Palace avec le
succès que l’on connaît, Jean-Michel Ribes vous fait tout jouer. Il en va
ainsi de votre carrière que vous partagez à un rythme effréné entre le
cinéma, le théâtre, la radio et la télévision où vous avez su conquérir
durablement le coeur des téléspectateurs. Vous pouvez tout jouer, il n’y a
qu’à jeter un oeil à votre biographie pour s’en persuader, mais vous
semblez faire de la comédie votre genre favori. Car de votre aventure
radiophonique, le Tribunal des Flagrants Délires sur France Inter, à
l’expérience cathodique de la joyeuse équipe que vous formez autour de
Jean-Michel Ribes, c’est toujours du déchaînement des rires dont il est
question. Des rires et surtout de cette irrévérencieuse manie de
bouleverser les conventions, de se jouer des stéréotypes, d’imposer un
style qui a, depuis, fait bien des émules.
Un été en Avignon, dans les ruelles du festival, vous avouez votre
préférence pour les planches. La scène est pour vous le lieu de toutes les
audaces et de tous les succès : outre vos collaborations avec les plus
grands, Roger Planchon en tête, et l’engouement populaire que
provoquent nombre de vos prestations, vous goûtez à la direction d’acteurs
avec A force d’attendre l'autobus. Vous vous lancez aussi avec Sophie
Daquin dans l’écriture de Divins Divans qui vous place pour la première
fois seule sur scène pour un tour de force comique où, à travers une
galerie de portraits délicieusement croqués, vous provoquez les rires et
mouchez les bien-pensants.
Actrice accomplie qui manie l’humour avec dextérité et ravit
immanquablement son public, vous êtes aussi une citoyenne engagée,
une femme de coeur, de combat et de courage.
Marraine de Ni Putes Ni Soumises puis militante aux côtés d’Osez le
Féminisme, vous usez de votre charisme et de votre sens de l’engagement
dans la lutte pour l’égalité homme-femme.
Vous excellez dans l’art de la comédie et vous avez su vous servir de ce
don du rire et de la sympathie qu’il suscite à votre égard pour oeuvrer à
une cause dont je partage avec vous l’urgence et la nécessité.
Chère Eva Darlan, au nom de la République française, nous vous faisons
officier de l’ordre des Arts et des Lettres.
Chère Petula Clark,
Je ne vous adresserai pas le désormais célèbre « que fais-tu là, Petula ? »
C’est en effet avec beaucoup de joie et de reconnaissance que la
République honore ce soir la plus française des chanteuses britanniques,
celle dont la voix à la fois puissante et mélodieuse, enchante toutes les
générations. Chère Petula, vous nous accompagnez au quotidien depuis
… sept décennies !
A l'automne 1942, en plein coeur d’un raid aérien, on demande à la petite
fille que vous étiez de chanter pour calmer le public de l’émission de radio
à laquelle vous assistez : le charme est immédiat et vous êtes rapidement
ré-invitée à l'antenne. Vous vous produisez alors à travers tout le pays et
devenez la mascotte de la Royal Air Force et des troupes américaines
stationnées en Grande-Bretagne. Très vite, le cinéma britannique d’aprèsguerre
vous offre des rôles aux côtés de Diana Dors, Alec Guiness ou
Peter Ustinov. Vous devenez aussi une personnalité incontournable du
petit écran britannique en animant des émissions de radio et de télévision
à la BBC.
With All My Heart et Alone figurent en tête des hits parades britanniques et
deviennent des succès en France grâce aux reprises de la jeune Dalida.
Après votre rencontre avec Claude Wolff, c'est par amour que vous
commencez à enregistrer des chansons en français. Vous chantez dans
cinq langues différentes, ce qui vous permet de rencontrer le succès à
travers toute l’Europe, notamment en Allemagne et en Italie où vos disques
sont en tête des ventes. Dès les années 1960, vous êtes l'une des
vedettes préférées des Français, vous enchaînez les succès et
collectionnez les récompenses dont le Grand Prix international du MIDEM
en 1967. Les plus grands auteurs et compositeurs français se bousculent
pour écrire pour vous : Boris Vian, Jacques Brel, Gilbert Bécaud et même
Serge Gainsbourg qui dira que vous étiez l'une de ses meilleures
interprètes.
Vous devez votre succès transatlantique à Downtown que vous compose
Tony Hatch en 1964 et qui se vend à 3 millions d’exemplaires avant de
remporter un Grammy Award. Désormais vedette outre-Atlantique, vous
apparaissez régulièrement à la télévision américaine et donnez des
concerts dans des salles prestigieuses, rejoignant ainsi le panthéon des
plus grandes divas du music-hall. En 1968, Hollywood vous ouvre ses
portes avec le cultissime Finian’s Rainbow (La vallée du bonheur) de
Francis Ford Coppola où vous dansez avec Fred Astaire.
Vous n'oubliez pas pour autant la France où vous revenez régulièrement
vous produire, pour des concerts ou des émissions de télévision,
notamment chez Maritie et Gilbert Carpentier : on vous voit chanter,
danser et jouer la comédie aux côtés de Charles Aznavour, Claude
François, Dalida, Joe Dassin, Sylvie Vartan, Mort Shuman, Jacques
Dutronc, Françoise Hardy, Thierry le Luron…
Vous triomphez également dans des comédies musicales, comme The
Sound Of Music (La mélodie du bonheur) à Londres, Blood Brothers à
Broadway ou Sunset Boulevard dont vous incarnez pendant trois ans le
rôle principal à Londres puis en tournée aux Etats-Unis.
Au printemps 2012, le public français vous retrouve grâce à un album
sobrement intitulé « Petula », écrit par Charles Aznavour, Benjamin Biolay,
Salvatore Adamo, Michel Legrand.
Pour cette carrière remarquable et encore très prometteuse, je suis très
heureuse, chère Petula Clark, au nom de la République française, de vous
remettre les insignes de commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres.