Quel sens donner à une action de politique culturelle nationale ?
Comme l’a remarqué le président Seydoux, la culture c’est avant tout un vecteur d’émancipation individuelle, une ouverture d’esprit, l’occasion d’enrichir son esprit critique, un éveil à la sensibilité esthétique et artistique, c’est donc une émotion individuelle, intime.
Mais la culture, c’est aussi une rencontre, un échange, un partage avec l’autre, les autres, au premier rang desquels l’artiste lui-même, le créateur ou le groupe de créateurs - car nous avons trop souvent une vision individualiste de l’acte créateur. Cette rencontre entre l’artiste et son public, entre le public et l’artiste, est aussi une inscription dans la Cité. Je n’invente rien : l’art est un processus éminemment politique et c’est ainsi qu’il devient culture au sens précisément d’échange socialisé.
C’est un échange socialisé qui s’inscrit dans un champ économique au sein duquel nous devons faire valoir non pas nos droits mais notre espace et la vitalité de l’ensemble du tissu économique culturel, des acteurs culturels sur tous les territoires de notre pays et sur les territoires européens.
On l’envisage trop souvent de manière négative : au moment où il y a dysfonctionnement et suspension des activités culturelles. Je pense à cette crise des intermittents du spectacle, il y a bientôt 10 ans de cela, qui a suspendu l’activité du festival d’Avignon : c’est à ce moment-là que certains ont réellement pris conscience de l’importance de l’ économie de la culture pour notre pays et ses territoires.
Il est important pour moi de pouvoir aujourd’hui, dans un contexte de crise économique et politique mais aussi, sans doute, de crise morale, affirmer et donner un sens à la culture.
C’est essentiel au moment où les difficultés pourraient nous conduire à nous replier sur nous-mêmes, en un repli identitaire bien sûr mais aussi économique, sur des activités industrielles plus traditionnelles. C’est essentiel au moment où le sens de l’intérêt général et collectif s’estompe à mesure que croît l’incertitude économique.
La culture est souvent vue comme une passion française, un supplément d’âme, un luxe que l’on peut se payer lorsque tout va bien et que l’on utilise comme variable d’ajustement en période de crise. Or cette passion est un ferment de citoyenneté : la culture donne tout son sens à la notion d’espace public, elle permet de dessiner un avenir.
Il faut trouver les moyens d’évaluer le gain, les externalités positives, pour parler un langage d’économiste, que produisent la culture et les secteurs culturels au sens large.
La culture est un moyen de lutter contre les forces centrifuges de la crise, ces forces qui inciteraient à un repli protectionniste et nationaliste, les deux vont d’ailleurs souvent de pair.
La culture étant par définition, partage, échange, dialogue, elle ne peut pas s’envisager sans une ouverture large, une circulation des œuvres et des personnes, et elle fait ainsi contrepoids au repli en période de crise. Il n’y a pas de culture possible sans commerce et sans échange. De même, il ne peut y avoir de commerce entre les nations sans culture. J’ai tendance à dire qu’il n’y aura pas de redressement productif sans redressement créatif pour notre pays.
Pour y parvenir, une étape indispensable est de refonder le rapport entre économie et culture, de construire une doctrine, sans angélisme, ni dogme, en tenant compte des réalités de façon à inscrire de manière crédible et assumée, des priorités et des choix.
Je veux vous présenter ce chantier en illustrant mon propos d’exemples concrets ; et pour cela, il me faut d’abord vous dire comment je conçois, politiquement, les rapports entre l’économie et la culture.
Economie et culture procèdent toutes deux d’une même dynamique : celle de l’échange. En effet, l’échange, qui présuppose la reconnaissance de l’altérité et donc de la différence, est au fondement de nos sociétés modernes, et pour exactement les mêmes raisons, il est au fondement de la culture par laquelle on appréhende ce qui est autre.
Cela étant, je pense qu’il faut renouveler de manière profonde la description de la réalité économique de la culture.
Nous ne disposons pas encore de tous les outils pour mesurer la culture et leur élaboration est précisément le chantier que doit prendre en charge le ministère de la Culture et de la Communication pour les mois et les années qui viennent.
Tout d’abord, beaucoup de données et de statistiques manquent ; elles sont trop hétérogènes et n’ont souvent pas de profondeur historique. Par exemple, nous savons avec certitude combien l’Etat consacre à la culture : chaque année, il dépense environ 11 milliards d’euros. 7,4 milliards le sont par mon ministère et 3,6 milliards par les autres ministères. Le ministère de l’Enseignement supérieur, par exemple, a des musées ; le ministère des Affaires étrangères un service d’archives, celui de la Défense entretient des monuments historiques et ainsi de suite. Donc, l’Etat dépense 11 milliards.
Mais combien dépensent les collectivités en matière de culture ? Est-ce plus ? Moins ? On a coutume de dire que les collectivités assument les 2/3 des dépenses culturelles en France. Mais cela n’inclut pas, par exemple, le coût du prêt des collections nationales, le coût de la formation des professionnels, des fonctionnaires du ministère de la Culture, ou des écoles qui forment l’ensemble des professionnels sur tout le territoire.
La dernière enquête sur le sujet date de 2007. Il faut donc avoir une expertise beaucoup plus fine parce que ces chiffres nous seront indispensables dans l’évaluation mais aussi la valorisation d’un certain nombre de politiques publiques. Combien dépensent les entreprises ? Les ménages ? Il y a des données ; certes. Mais elles sont éparses et discontinues. On ne peut donc rien comparer et finalement rien décrire avec précision pour fonder des politiques efficaces. A ma demande, avec le soutien du ministre de l’Economie, l’IGAC et l’IGF vont entamer une mission de méthodologie et de préfiguration de ces nouveaux outils d’évaluation économique du poids des secteurs culturels en France.
Dans le même ordre d’idées, je souhaite mettre en évidence les mécanismes par lesquels la culture contribue à l’économie de notre pays, à l’emploi - c’est la partie la plus visible - mais aussi à l’investissement, aux échanges extérieurs, à l’attractivité. Que la culture contribue à l’attractivité de nos territoires, cela nous semble évident ici en Avignon, et il serait intéressant d’avoir des évaluations économiques de cet impact qui, on s‘en doute de manière intuitive, est absolument déterminant.
A l’heure où on parle beaucoup de compétitivité pour notre pays et pour nos régions, il serait intéressant de voir comment la culture en France contribue fortement à la compétitivité. Je parle devant un public convaincu car lorsqu’une entreprise cherche des raisons de s’implanter dans telle ou telle région, tel ou tel territoire, elle prend en compte l’ensemble du paysage culturel.
Les secteurs marchands culturels regroupent 160 000 entreprises et emploient 2,3% des actifs. Leurs activités produisent 29 milliards d’euros de valeur ajoutée chaque année c'est-à-dire 3 points de PIB. Pour donner un ordre de grandeur qui est une comparaison sans être un jugement de valeur, c’est plus que l’agriculture. Je n’ai pas choisi cet exemple au hasard. La contribution de la culture à la croissance économique est en général et injustement sous-évaluée. Les stéréotypes ont la vie dure : la culture est encore perçue comme un secteur non marchand, de subventions, réservée à quelques créateurs fantasques et un public averti. C’est trop souvent considéré comme tout le contraire d’une activité « sérieuse ». Le problème qui se pose à nous lorsque l’on met en place des politiques publiques est qu’en en période de crise, la tendance est de se concentrer sur les activités « sérieuses » et de délaisser le domaine des saltimbanques et des amateurs éclairés. On considère alors que la culture est le problème de l’Etat et de quelques généreux mécènes.
Vous l’aurez compris, pour moi, la réalité est tout autre. J’en ai assez d’entendre ces discours qui considèrent la culture comme une danseuse, une dépense, une activité superfétatoire.
Avec les secteurs de la culture, on est pour moi au cœur du dur de l’économie. Dans un brillant ouvrage, Frédéric Martel évoque la culture comme soft power : c’est une démarche intéressante et en première analyse on ne peut que partager cette définition. La culture contribue en effet de manière importante à la puissance d’un pays, à son rayonnement et, indirectement à sa puissance économique et géopolitique. Soft power, donc mais hard power aussi puisqu’on est véritablement dans le dur avec ces activités économiques qui contribuent de manière très nette à l’activité économique de notre pays et de nos territoires.
C’est tout à fait perceptible, et tous les élus locaux le savent, dès qu’il est question des territoires. Quand il s’agit des collectivités locales, quelle que soit leur échelle, les élus locaux investissent dans la culture non pas pour laisser une trace, une empreinte, dans une démarche régalienne du prince généreux qui a toujours fait du mécénat avec la culture. Ils le font parce qu’ils savent que c’est bon pour leur territoire, que cela créé de l’emploi, du dynamisme, et que cela leur permet d’attirer des habitants, des activités, des entreprises et des travailleurs.
Ce qui est valable à échelle d’un territoire local, régional, est valable à échelle nationale.
Pourquoi les élus qui, localement, savent que la culture est importante ne feraient pas les mêmes choix au niveau national ?
Il faut enfin absolument faire évoluer le discours habituel des retombées économiques, comme le fameux « effet levier de la dépense publique sur l’activité directe, indirecte et induite ». C’est à la fois beaucoup trop réducteur et pas spécifique aux activités culturelles. A-t-on par exemple remarqué et tiré toutes les conséquences du fait que la culture est l’une des très rares activités économiques qui agit simultanément sur tous les leviers de la croissance du PIB : demande, investissement, dépense publique, solde exportations importations.... A l’heure où notre déficit commercial flirte avec les 70 Mds €, les secteurs culturels sont des exportateurs nets, contribuant de manière décisive à l’économie de notre pays.
Je vais prendre un exemple, celui de l’architecture. L’architecture est une activité rentable : elle représente 14% du PIB culturel avec un chiffre d’affaire de 7,320 milliards d’euros et 4,135 milliards d’euros de valeur ajoutée. L’architecte est à la fois un artiste et un ingénieur. Sans l’artiste, pas de réflexion globale sur le cadre de vie ; mais sans l’ingénieur, pas de maîtrise d’œuvre rigoureuse. Sans l’artiste, pas de geste architectural qui donne sa valeur à l’investissement immobilier, mais sans l’ingénieur, pas d’exportation du savoir faire français de ces filières. La France compte parmi les meilleurs architectes au monde et nos étudiants remportent des prix internationaux. Je pense notamment à l’équipe Rhône-Alpes, les écoles d’architecture de Lyon et Grenoble qui ont obtenu en octobre le prix de la compétition internationale Solar Decathlon à Madrid grâce à un projet d’habitat écologique, porteur d’ambition et d’innovation.
Le deuxième grand sujet est celui de la place des acteurs publics et privés. Il s’agit en particulier pour moi de re-légitimer l’action publique dans la culture. Une meilleure description de l’économie de la culture permet d’alimenter un important travail de pédagogie auprès de l’opinion, des décideurs politiques, des acteurs économiques et financiers.
Prenons l’exemple d’une véritable réussite industrielle française : le cinéma.
Les principes qui organisent la régulation de ce secteur sont extrêmement intéressants d’un point de vue économique et culturel.
Le premier de ces principes est celui d’une épargne forcée : lorsqu’un producteur gagne de l’argent avec un film, plutôt que de thésauriser ses profits, le CNC lui permet d’épargner ses gains dans le compte de soutien et lui impose de réutiliser cette épargne pour un nouveau projet de film. Le second principe est celui du profiteur payeur ou plutôt du cercle vertueux où le diffuseur contribue au financement de la création qu’il va diffuser : lorsque les télévisions sont apparues, et c’est encore vrai aujourd’hui de l’internet, il a semblé pertinent que les diffuseurs contribuent à la production des films. Mais sans la puissance publique, ce système vertueux n’aurait jamais pu prospérer et se maintenir depuis plus de 60 ans. C’est aussi grâce à la puissance publique qu’il pourra s’adapter à l’ère numérique. Expliquer ces principes, c’est montrer comment une collaboration originale entre l’Etat et l’ensemble des professionnels peut être fructueuse pour la diversité de l’offre culturelle tout en reposant sur une logique économique profitable pour les acteurs privés.
Décrire et expliquer voilà déjà un premier travail sur lequel nous devons avancer ensemble.
Ce travail pédagogique, nous devrons le mener en France, à l’international, mais aussi et surtout en Europe. Les principes de diversité et de l’exception culturelle au service de la diversité, sont, en dépit de leur reconnaissance officielle en Europe, à l’Unesco ou à l’OMC, régulièrement battus en brèche par des politiques qui donnent la priorité à l’ouverture des marchés et à la concurrence par les prix. Il nous faut reconstruire des coalitions de pays qui partagent le souhait commun d’une prise en compte des singularités de la culture et des politiques publiques associées.
Ce sera un travail long et difficile mais je suis convaincue que se joue sur ce terrain aussi bien la préservation et le développement de nos outils nationaux d’exception culturelle que le rebond politique possible d’un projet européen aujourd’hui enlisé. Une vision trop étroite, trop schématique, des principes de l’Union européenne conduit parfois la commission, au nom de la libre concurrence, à vouloir censurer un certain nombre de dispositifs qui pourtant ont fait leur preuve en France. Nous en sommes fiers, nous le revendiquons.
Cette exception culturelle n’a cependant jamais été conçue comme une exception culturelle française : c’est une exception culturelle pour la culture, pour la création. Ce sont des mécanismes vertueux de régulation économique du secteur de la création qui sont applicables et qui, pour certains, sont repris dans d’autres pays européens ou internationaux.
L’exception culturelle est absolument indispensable et nous devons la défendre à l’ère de la mondialisation et à l’ère, aussi, du numérique. Nous devons l’adapter, elle est plus que jamais nécessaire et indispensable pour redonner à l’Europe un espoir, un avenir, un projet commun autour du développement culturel.
Ce qui est valable en terme de projet politique l’est aussi en terme de développement économique : si le projet européen s’est enlisé, l’économie de nos pays européens, plus particulièrement de la zone euro, est loin d’être florissante.
A travers les avantages comparatifs de la France et de l’Europe tout entière, nous devons nous appuyer sur les secteurs culturels comme autant de leviers essentiels et d’avantages comparatifs de nos pays. Des secteurs d’excellence où grâce à notre patrimoine et à la vitalité de la création qui sont les deux faces de la même médaille culturelle, nous pouvons fonder des politiques d’économie de la culture dynamiques, innovantes et donc créatrices d’activité et d’emploi, ce qui nous permet d’avoir toute notre place au sein de la mondialisation.
La très forte pression pour remettre en cause les principes de l’exception culturelle est un fait. De même, les ressources publiques disponibles subissent aujourd’hui une contrainte budgétaire très forte, à laquelle la culture ne peut échapper. C’est également un fait.
Maintenant la seule question valable à se poser est : subit-on ces pressions économiques en faisant le gros dos et en espérant que l’orage passe ? Attend-on par exemple que ensemble nos réseaux de libraires indépendants de proximité ferment les uns après les autres sous la pression de l’arrivée d’acteurs qui, eux, cherchent à échapper aux mécanismes de financement de la création, en l’occurrence de la chaîne du livre, patiemment mis en place au cours des décennies passées ?
Ou bien, refuse-t-on cette posture résignée, désespérante, pour affirmer la possibilité d’une politique culturelle nationale et européenne, qui soit à la fois efficace, pertinente et susceptible d’être partagée par nos voisins ?
Choisir cette seconde voie, c’est mon ambition, notre ambition à tous et je crois que cela correspond à une attente très forte de l’ensemble de nos concitoyens, français et européens.
Car la culture bien entendu c’est du développement économique mais, et c’est là que le cercle est lui-même vertueux, c’est aussi un mode de développement qui repose sur d’autres valeurs que la simple recherche du profit. Et comme Joseph Stiglitz qui a étudié la contribution des secteurs économiques à l’augmentation du bonheur brut, on peut dire sans se se tromper et avec une assurance certaine, bien qu’immodeste, que la culture contribue assurément à l’augmentation du taux de bonheur brut dans nos pays.
J’affirme que l’ambition culturelle doit être une ambition européenne qui est seule à même d’assurer un véritable contrepouvoir face à des logiques de marché globalisé, celles des grandes entreprises mondiales qui, parce qu’elles utilisent des technologies qui leur permettent d’échapper de manière plus fluide aux régulations, font peser une menace sur l’ensemble du secteur culturel et sur l’intérêt général.
Parmi les priorités que j’ai identifiées, il s’agit tout d’abord de repenser les outils de la politique culturelle nationale.
L’un des fondements de la politique culturelle en France au cours des décennies passées était la construction d’équipements, au cœur d’une stratégie de développement de l’offre culturelle.
Avec de vrais arguments et des effets positifs, car la culture fait figure de facteur de compétitivité. Pour reprendre un des constats du rapport de Louis Gallois, la qualité de vie en France est un atout de poids pour la localisation des entreprises. Le dynamisme et la diversité de la scène artistique et culturelle française sont ainsi déterminants pour l’attractivité de notre pays. J’étais d’ailleurs ravie de voir que le premier secteur cité par Louis Gallois au titre de l’excellence, des points forts et des atouts de notre pays soit celui des industries culturelles.
C’est bien l’ampleur et la qualité de l’offre culturelle qui placent la France au premier rang des destinations touristiques puisque 80% des visiteurs étrangers viennent chez nous pour la découvrir, générant 15 milliards d’euros de chiffre d’affaire annuel, ce qui place le tourisme à 7% du PIB.
La France compte près de 50 000 monuments historiques et plus de 13 000 équipements culturels de proximité : 4500 bibliothèques, 2000 cinémas dont la moitié sont des établissements d’art et d’essai, des centaines de galeries et de centres d’art et près de 500 lieux de spectacle. On note un effort très net en faveur des musées : la France a construit plus de 1200 musées ; on en ouvre un chaque semaine. On y produit deux fois plus de films et on édite deux fois plus de livres qu’il y a vingt ans. On n’a jamais organisé autant de spectacles, de concerts, d’expositions. Tout cela est la marque d’une vitalité et c’est tant mieux ! On a d’ailleurs pu le constater, ici en Avignon, car malgré la crise, jamais la fréquentation du festival et de l’ensemble des festivals, n’a été aussi dynamique.
Mais cette logique de l’offre a été poussée jusqu’à l’absurde et de manière inflationniste. Au cours des dernières années, on a grevé les possibilités d’intervention sur l’ensemble du réseau culturel et au service de l’ensemble des citoyens au profit d’un certain nombre de grands projets qui n’étaient qu’en partie financés. En temps de crise, l’augmentation de l’offre et la succession de grands chantiers ne peut tenir lieu de politique culturelle.
Plutôt que d’engager la soutenabilité des crédits de l’Etat dans cette accumulation, j’ai fait le choix de conserver les moyens de faire vivre la très grande richesse de nos équipements, qui constituent un réseau très dense et de nos structures sur tous les territoires, pour préserver et encourager la vitalité des activités économiques liées à la culture.
Car la vraie question, le premier enjeu, c’est l’accès de tous à la culture, au patrimoine, à la création et aux œuvres de l’esprit. C’est là toute l’ambition de l’éducation artistique et culturelle. On doit travailler là aussi sur des innovations : des manuels scolaires sur supports numériques interactifs, les fameux jeux sérieux, serious games.
Par exemple, le musée du Louvre a développé en partenariat avec une grande entreprise de jeux un très astucieux système d’audio-guides, interactifs et vivants, qui permettent la géo localisation du visiteur. Ce qui n’est pas un luxe au Louvre où l’on risque de se perdre, de se perdre, surtout, dans les œuvres ! Le centre Georges Pompidou vient également de développer un musée virtuel, innovant par la technique utilisée et surtout par la conception même du musée. C’est le premier exemple au monde d’un musée virtuel qui n’est pas une simple copie numérique de la visite physique mais la création, grâce au web sémantique, d’un nouvel espace public muséal innovant pour les internautes.
Dans le même ordre d’idées, nous avons aussi à travailler sur des politiques de filières qui intègrent l’ensemble des segments et des acteurs qui contribuent au développement d’un secteur. Permettre l’égalité d’accès à la culture, c’est aussi en assurer la transmission et soutenir la formation aux métiers de la culture.
Notre éducation culturelle et artistique est riche et variée. L’enseignement supérieur de la culture sous tutelle du ministère de la culture joue un rôle déterminant. Dans ce domaine aussi, il faut se battre contre des clichés qui ont la vie dure. Aujourd’hui, un étudiant qui dépend du ministère de la culture a un budget annuel inférieur de moitié à celui d’un étudiant d’une autre filière sous prétexte que ces filières artistiques ne débouchent pas sur des emplois. Or chaque année, 5 500 étudiants sortent diplômés d’un établissement supérieur artistique et culturel, 80% d’entre eux obtiennent un emploi directement lié à leur domaine de formation et 75% des jeunes diplômés sont embauchés dès la première année qui suit l’obtention de leur diplôme.
Il s’agit là d’une très grande réussite qui montre la pertinence du choix de ces filières, la pertinence de ces formations, et surtout la pertinence d’un investissement durable dans ces filières. Cependant, en dépit de la qualité de notre enseignement supérieur artistique et culturel, je ne peux que faire ce triste constat : alors que notre territoire est irrigué d’écoles consacrées à la formation et à la création artistiques, les jeunes artistes que nous formons nous désertent. Combien de jeunes programmateurs de jeu vidéo ont quitté la France pour aller faire carrière aux Etats-Unis ou au Canada ? Pour endiguer cette fuite de nos talents créatifs, il nous faut nous rendre plus attractifs pour nos jeunes créateurs et les soutenir dans leur entreprise de création. Pour parer à la fuite de nos programmateurs, nous pourrions commencer par conférer le statut de jeune entreprise innovante aux développeurs de jeu vidéo.
Sur l’ensemble de ces sujets, nous allons avoir, dans l’année qui vient, plusieurs rendez-vous qui seront autant d’occasions de rénover nos pratiques et notre collaboration. J’ai en effet engagé des travaux qui devraient aboutir d’une part à la rénovation de notre droit patrimonial et d’autre part sur un projet de loi d’orientation pour la création sur lequel nous travaillerons de concert avec les professionnels.
Ces deux lois seront aussi le moyen d’avoir un débat devant la représentation nationale. Ce débat est essentiel pour valoriser l’apport de la culture à notre économie. Tous les dispositifs législatifs n’ont pas un impact direct sur l’économie mais le simple fait d’avoir un débat est un vecteur politique indispensable et précieux.
Le second défi que nous devons relever ensemble est celui de la transition numérique des industries de contenus culturels. Il est de taille.
Jusqu’ici les choses étaient assez simples. Le financement du contenu était assuré par un prélèvement sur la vente du support physique assurant sa diffusion : partout dans le monde, les auteurs, les créateurs, les interprètes ont su mettre en place, au siècle dernier, les mécanismes pour réaliser ces prélèvements et répartir les droits. Dans la musique, le cinéma, le livre, la protection de l’œuvre, le droit d’auteur, étaient ainsi garantis : l’aval payait pour avoir le droit de diffuser l’amont.
Seulement voilà, dans une économie dématérialisée, on ne sait pas très bien sur quoi faire porter ce prélèvement puisqu’il est en pratique de plus en plus difficile de tracer les échanges numériques. Un jour ou l’autre, émergeront des modèles économiques nouveaux assurant la rentabilité des différents acteurs pour chaque secteur. Mais d’ici là, il va nous falloir permettre à la transition de s’effectuer dans les meilleures conditions.
Dans la presse par exemple, on voit bien le danger et l’urgence d’agir : le papier décroît inexorablement parce que les lecteurs sont de moins en moins fidèles et que la publicité se fait rare. Ce secteur qui générait 1% du PIB national il y a 30 ans vient de passer l’an dernier sous la barre des 0.5 points de PIB. Avec 9 Mds € de chiffre d’affaire, la presse reste cependant, même si on l’ignore trop souvent, la première industrie culturelle en France. Le papier décroît donc, mais il n’est pas encore supplanté par des services en ligne dont le modèle économique n’est pas encore rentable.
Alors que faire ? On ne peut pas attendre : les industries techniques en amont et les diffuseurs en aval souffrent au moins autant que les éditeurs de cette crise très profonde et durable. Pourtant notre démocratie a besoin du pluralisme de la presse et c’est pourquoi j’ai proposé que l’Etat soutienne et accompagne le sauvetage et le redressement de Presstalis. La transition impose que l’on s’inquiète de la filière dans son ensemble.
Gérer la transition va supposer des tâtonnements et des expérimentations dont toutes ne seront pas couronnées de succès. Il faudra rechercher activement des modes de financements nouveaux, quitte à se tromper, faire des erreurs, comme un scientifique essaie plusieurs protocoles avant de déposer un brevet. C’est ce qui a été tenté, par exemple, dans le domaine de la presse avec une expérimentation pour favoriser la lecture de la presse chez les jeunes, « mon journal offert ». Le bilan de cette expérience a été tiré : elle a surtout généré un effet d’aubaine. Il faut donc mettre en place des mesures plus ciblées à destination des jeunes lecteurs.
Dans cette optique des soutiens à la presse, nous travaillons - le président de la République est très engagé sur ce dossier - sur la possibilité de créer un droit voisin pour les éditeurs de presse qui permettrait de rémunérer le référencement des productions et leur valeur ajoutée sur les réseaux internet. C’est un chantier qui commence et pour lequel un médiateur a été nommé, Marc Schwartz, qui y travaillera jusqu’à la fin 2012. Si aucun accord n’est trouvé, le président s’est engagé à ce qu’une loi soit votée pour permettre effectivement que cette création de valeur, qui est le fruit du travail des éditeurs de presse et des journalistes, ne soit pas intégralement captée par certains sites agrégateur de contenus et autres acteurs de l’économie numérique.
De la même manière, nous avons ouvert il y a un mois et demi, le très vaste chantier de rénovation du financement de l’audiovisuel, de la musique et du cinéma : la mission dirigée par Pierre Lescure rendra des avis et des préconisations au premier semestre 2013.
Afin d’optimiser toutes les possibilités offertes par le numérique, nous engageons, dans le cadre des investissements d’avenir, un nouveau plan de numérisation des œuvres indisponibles dans une logique de partenariat public-privé. Parce que l’espace numérique permet de repenser entièrement la relation que le public entretient avec les œuvres. L’accord de numérisation des œuvres cinématographiques conclu avec Gaumont va permettre de conserver et valoriser le patrimoine cinématographique français sur l’ensemble des réseaux de diffusion. Il nous faut multiplier le nombre d’accords avec les différents détenteurs de catalogue car l’ensemble de ces projets va constituer le socle d’une offre numérique légale diversifiée qui n’a pas, jusqu’ici, encore réussi à émerger. Le développement de l’offre légale est la clé de la lutte contre le téléchargement et l’accès aux œuvres de manière illégale. Plus les catalogues seront riches, diversifiés et faciles d’accès, plus les gens iront spontanément vers ces catalogues, comme tout public aimant et amoureux de ses créateurs le ferait.
C’est toujours selon cette même logique qu’il nous faut veiller au financement de nos entreprises culturelles qui se caractérisent, dans presque tous les domaines, par leur très grande disparité, en termes de taille, de capitaux, de formes juridiques. L’industrie culturelle est constituée à 95% de petites voire très petites entreprises à côté d’un nombre limité de PME. Quant aux grands groupes, ils sont encore plus rares. Les actifs de ces entreprises, souvent immatériels, souvent des prototypes, sont difficilement éligibles aux modes de financements entièrement privés. Il nous faut imaginer des moyens de financement adaptés à cette réalité, au moyen, par exemple, de prêts garantis par l’Etat (IFCIC, OSEO et activité de crédit de la BPI), de fonds de dotation en capital risque pour accompagner le développement des PME innovantes.
Nous avons commencé à y travailler avec Jean-Pierre Jouyet et ses équipes de la BPI. J’ai bon espoir que l’on puisse faire un certain nombre de propositions rapides en ce sens. Jean-Pierre Jouyet est convaincu de la pertinence et l’importance d’un investissement dans les secteurs de la culture et des industries culturelles. Là encore la numérisation des œuvres indisponibles réalisée par la BnF bénéficiera des investissements d’avenir. Les industries culturelles auront toute leur place au sein des priorités de la BPI.
Je voudrais enfin profiter de cette occasion qui m’est faite de m’adresser à vous tous pour affirmer mon engagement en faveur du mécénat. Les récents débats budgétaires ont été l’occasion de rappeler notre engagement en faveur de ce système qui permet de valoriser le partenariat avec les entreprises et les particuliers.
Plus de trente ans après la création de l’Association pour le mécénat industriel, près de dix ans après le vote de la loi du 1er août 2003, le mécénat est plus que jamais, en cette période de contrainte budgétaire, primordial dans le développement culturel de notre pays.
J’aimerais tout particulièrement saluer le mécénat de proximité, initiative trop peu valorisée, qui permet de soutenir des projets artistiques et patrimoniaux sur tout le territoire. Je suis intimement convaincue qu’il n’y a pas de grands ou de petits projets, seulement de belles et audacieuses initiatives qui méritent, toutes, de voir le jour et trouver leurs partenaires les plus adaptés .
Plus qu’un acte d’argent, le mécénat est un acte d’engagement, un véritable acte citoyen. C’est pourquoi le ministère de la Culture travaille sur l’élaboration d’une charte éthique du mécénat, afin de consolider le mécénat et ses retombées économiques et tordre le coup à un certain nombre de caricatures ou d’arguments qui nous sont opposés lorsque l’on parle de la pertinence de ces dispositifs fiscaux.
Vous le voyez, toutes ces initiatives sont autant de raisons d’espérer.
Il y a des raisons d’espérer, pas seulement pour la culture mais pour le pays tout entier, pour l’Europe. La culture a un rôle éminent à jouer parce qu’elle est porteuse d’avenir, pour notre économie, notre société, elle est porteuse d’ espoir pour la jeunesse.
Oui, il faut cultiver les raisons d’espérer non pas comme on brandit une belle idée mais en agissant, en expérimentant, en réfléchissant de concert, en mettant en commun nos énergies créatives et nos expériences.
Parce que la culture n’est pas un bien comme un autre, parce qu’on ne peut distinguer une culture marchande et profitable d’un secteur public forcément non rentable. C’est une vision totalement erronée. Il faut légitimer à nouveau le rôle de l’Etat dans l’économie de la culture. Les collectivités locales jouent un rôle indispensable mais la politique culturelle doit aussi être menée par Etat. Parce c’est une garantie d’égalité entre les territoires, mais aussi parce qu’on a besoin de porter ces concepts forts à échelle de l’Union européenne.
L’intervention publique ne doit pas se substituer à celle des acteurs privés - pas plus que le mécénat privé ne doit venir pallier un Etat défaillant. Elle seule permet cependant d’assurer la diversité, le dynamisme et le renouvellement de la création ainsi que sa diffusion auprès des publics les plus larges, ce qui constitue le véritable enjeu démocratique.
Je vous remercie de votre attention, j’ai voulu tenir un discours un peu différent de ceux que l’on peut tenir traditionnellement sur la politique culturelle. Cela ne signifie en aucun cas que j’ai une vision utilitariste de la culture : c’est une grande chance que nous avons de pouvoir travailler dans nos secteurs, nous qui sommes avant tout des gens de passion, d’engagement, de sensibilité. Car ce qui nous émeut dans la culture, c’est, d’abord et avant tout, cette sensibilité. Mais nous sommes trop souvent face à une incompréhension ou peut-être une forme de schizophrénie de la part de certains qui peuvent par ailleurs, à titre personnel ou intime, apprécier des œuvres culturelles mais qui, quand il s‘agit de décider ou d’évaluer ce qui est important dans l’économie, oublient cette partie pourtant importante de leur personnalité.
Je pense qu’il était utile et nécessaire d’avoir cette clarification pour pouvoir tracer devant vous les grandes lignes de l’action que je compte mener pour valoriser l’apport de la culture au secteur économique.