J’entends l’inquiétude du secteur de la création. Elle renforce ma détermination à faire bouger les lignes. Cette détermination m’a guidée dans le travail que nous avons engagé en affirmant la notion d’exception culturelle en Europe. Elle guide, de la même manière, les actions que j’ai entreprises en France au-delà de la préservation des budgets consacrés à la création.
Une loi d’orientation viendra conforter les dispositifs publics qui organisent ce secteur, affermir le statut, notamment social, de ses acteurs, et reconnaître ainsi l’attachement de la nation à la création artistique. Mais le besoin de changement n’attendra pas ce moment symbolique : il faut agir maintenant.
Je le fais d’abord à travers les nominations : c’est ainsi, en lien avec les collectivités partenaires, que se dessine une politique, que se diffusent sur tout le territoire les choix que je porte. Mais aussi que s’affirme la place des artistes dans la Cité. Ce qu’on appelle la décentralisation dramatique a posé un acte fort en confiant des maisons aux chorégraphes, metteurs en scène, comédiens, auteurs, musiciens : c’est un acquis précieux. Mais il ne doit pas se traduire - ce serait une faute - par un immobilisme qui, comme à Nice ou Montpellier, voudrait figer les réseaux dans les formes et avec les personnalités qui en assurent la direction aujourd’hui. Pour la plupart, les collectivités locales, les artistes eux-mêmes, partagent cette analyse, entendent le besoin de mouvement qu’elle traduit.
Il faut veiller à partager nos maisons, à en transmettre les clés. Nul n’est propriétaire de sa charge sur le territoire de la République. La direction d’une institution est une étape dans une vie d’artiste, qui n’interdit pas le retour à la vie de compagnie dès lors que l’Etat sait, comme je l’ai souhaité, accompagner ce mouvement. Voilà pourquoi, dans les centres dramatiques nationaux, la règle qui veut qu’un directeur ne peut être renouvelé plus de 3 fois, exceptionnellement 4, sera dorénavant respectée. Un mouvement important de nomination s’est ainsi engagé, qui permettra des cheminements sur le territoire français, des renouvellements, des arrivées, des découvertes…
Je me suis exprimée aussi sur la question de la place des femmes. Aucune décision mécanique ne sera prise. Mais le volontarisme - parité des jury, parité des listes restreintes – est indispensable et il a déjà changé le paysage : les femmes sont, à chaque appel à candidatures, plus nombreuses à se présenter. Un verrou est tombé.
Je souhaite, en second lieu, agir sur les contours de notre réseau d’institutions. Il doit se régénérer pour répondre aux besoins des artistes comme aux transformations du monde. La prise en compte de l’échelle européenne sera abordée avec détermination. Notre capacité à organiser la circulation des œuvres et des artistes également. J’ai ainsi engagé un mouvement de regroupements pour faire de certaines de nos maisons, comme cela est déjà programmé à Grenoble, de grands pôles européens : leur mission sera d’accompagner les artistes, en disposant des moyens de production et d’une dimension territoriale, nationale comme internationale, pertinente. Sans remettre en cause pour autant le réseau existant, quelques établissements seront organisés sur ce modèle en France.
Enfin, troisième axe : les missions que nous confions à nos institutions seront redessinées. Il ne s’agit pas de remettre à plat l’édifice, mais de mieux fixer les lignes d’horizon. Les notions de pôles de créativité, de circulation des œuvres, d’éducation et de pratique artistique doivent être mieux articulées.
Un point en particulier doit être travaillé : celui du territoire. Les établissements labellisés de la décentralisation culturelle jouent un rôle dans les collaborations avec les lieux et avec les compagnies de leur voisinage. Ils doivent assumer cette responsabilité vis-à-vis des plus petites structures et des publics sur leur territoire. C’est cette décentralisation «de proximité», déjà pratiquée par beaucoup - nous inaugurons ainsi la FabricA en Avignon en juillet - que je mettrai au cœur des missions des institutions financées par l’Etat.
Notre société a besoin de repères et de sens. Elle peut en trouver dans cette dialectique fertile entre l’acuité, la recherche, l’invention, auxquelles nous invitent nos artistes, et une solidarité, plus nécessaire que jamais.