C’est grâce à un important mécénat que le Musée du Louvre a pu acquérir
pour l’Etat ce chef d'œuvre. Son caractère exceptionnel, tant par sa facture
que par la rareté de son sujet, lui a valu d'être classée « œuvre d'intérêt
patrimonial majeur », après avis de la commission consultative des Trésors
nationaux. Cette acquisition a été réalisée dans le but de déposer
immédiatement le tableau de Magnasco au Musée d'art et d'histoire du
Judaïsme, afin d’en enrichir les collections.
Nous savons que depuis le 17e siècle, le sujet de l'enterrement chez les
Juifs suscitait l'intérêt des artistes. Qu'il s'agisse du quartier juif et de la
grande synagogue d'Amsterdam, des ghettos de Venise ou de Gênes dont
Magnasco était originaire, les lieux et les pratiques du judaïsme ont fourni
à la peinture de genre de nouveaux sujets. On connaît l’intérêt de
Magnasco pour les rites religieux non catholiques, par exemple avec sa
Réunion de Quakers aux Uffizi de Florence, et il est fort probable qu’il ait
été un lecteur attentif d’un ouvrage à succès, les Cérémonies et coutumes
religieuses de tous les pays du monde de Bernard Picart, maintes fois
réédité et paru en 1723 en Amsterdam, cette haute terre de la liberté de
penser. Il n’en reste pas moins que l’on est frappé par l’ambiguïté du
signifié : Magnasco veut-il documenter des rites dans un esprit
encyclopédiste avant l’heure, dans l’idée de décrire l’ensemble des rites
non catholiques ? S’agit-il de fustiger les superstitions et les
obscurantismes, dans un esprit de satire qui annonce déjà Goya ?
Autrement dit, dans ce tableau au crépuscule, de quelles Lumières s’agitil?
Comme l’explique brillamment Laurence Sigal, nous n’en savons rien, et
c’est aussi ce qui fait la richesse de cette œuvre.
Selon le critique Benno Geiger qui a redécouvert le peintre aux début du
XXe siècle, les Funérailles Juives auraient été conçues comme le pendant
d'un Hommage à Pluton, ce qui, si j’ose dire, complique encore plus le
tableau. Magnasco aurait ainsi fait le lien entre deux altérités
confessionnelles, le rite juif et le paganisme antique, en les localisant dans
une synchronie dont seule la peinture a le secret, sur fond de ruines, dans
un chaos de stèles, de sarcophages et de colonnes brisées, qui annoncent
entre autres Piranèse. Libre à nous, peut-être, d’y voir une représentation
de la condition de la minorité juive, aux marges de la société, dans la
Lombardie autrichienne de Magnasco.
C’est aussi pour ces raisons que cette œuvre s’inscrit parfaitement dans
les collections du magnifique hôtel de Saint-Aignan. Il fournit également
l’occasion au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme de la mettre en regard
avec d’autres œuvres de Magnasco représentant des sujets juifs ou qui
auraient pu former une série avec les Funérailles Juives, issues des
collections du Musée du Louvre, de la Gemäldegalerie à Berlin et d'une
collection privée, que je remercie vivement de leurs prêts. Viennent
s’ajouter à cet ensemble les peintures et les gravures des collections du
Musée qui ont pour objet la vie de la communauté juive ou des
synagogues en Italie. Ce dépôt du Musée du Louvre vient donc enrichir
des collections d’une nouvelle œuvre majeure qui vient s’y insérer avec
bonheur.
Je voudrais pour conclure rendre un hommage très chaleureux au
mécène qui a financé la totalité de cette acquisition et qui a souhaité
conserver l'anonymat : il s’agit là d’un geste exceptionnel qui mérite
amplement d’être salué.
Cette acquisition nous confirme par ailleurs l’efficacité des dispositions
fiscales de la loi du 1e août 2003 relative au mécénat, aux associations et
aux fondations, qui facilitent le mécénat d’entreprise pour les conditions
d’entrée des œuvres reconnues d’intérêt patrimonial majeur dans les
collections publiques. Il s’agit de la 32ème acquisition du genre qui
s’effectue dans le cadre de ce dispositif.
Je salue enfin, une fois de plus, le travail de Mme Laurence Sigal, grâce à
qui les Funérailles juives de Magnasco ont trouvé dans le Musée d’art et
d’histoire du Judaïsme la place idéale pour la mise en valeur de sa beauté
et de sa complexité.
Je vous remercie.
Discours de Frédéric Mitterrand, prononcé à l'occasion de la remise officielle du tableau « Funérailles juives », d'Alessandro Magnasco, oeuvre d'intérêt patrimonial majeur, au Musée d'art et d'histoire du Judaïsme
Monsieur l’Ambassadeur d’Italie, Madame la directrice du Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, Chère Laurence Sigal, Monsieur le Président du Conseil d’Administration, Cher Maître Théo Klein, Mesdames et Messieurs, Chers amis,
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