Les mystères de l’autre ne sont pas votre objet. Lorsque vous vous
plongez dans une vie, c’est avec l’intention de remonter à la surface ce
qu'un témoignage peut porter d’universel, et sans aucun doute votre
expérience du théâtre vos débuts de comédienne dans les ateliers de
Peter Brook vous ont-ils influencé dans cette voie. Bas les masques,
certes, mais toujours avec ce respect pour autrui qui a fait la qualité de
votre programme sur France 2.
Votre première pige traitait de la folie, si je ne me trompe pas, autant dire,
comme l’attesteront plus tard vos émissions, que la normalité sécurisée est
à des lieues de votre esprit d’investigation et de vos prises de risque.
Vous débutez votre carrière de journaliste dans divers journaux comme Le
Coopérateur français, Le Matin de Paris ou Le Monde. En 1981, vous
intégrez la télévision. A vos débuts vous vous intéressez au montage puis
vous travaillez pour une série de documentaires sur des villes comme
Naples au quotidien, des reportages sur des célébrités, sur des sujets de
société pour Antenne 2, FR3 ou TF1. En 1984 vous signez un
documentaire audacieux sur l’inceste, André et Jacqueline, les liens du
passé, qui vous vaut le Prix International ONDAS. Puis vous vous tournez
vers la vie privée de personnalités célèbres, je pense à la série Passé
retrouvé, qui met en scène l’univers personnel de Guy Bedos en Algérie,
d’Alice Sapritch en Turquie, ou de Yannick Noah au Cameroun.
Au début des années 1990 vous fondez votre propre maison de
production, MD Productions, qui sort une trilogie documentaire sur les
crimes passionnels : Crimes et passions. Une exploration des abîmes qui
remporte de nombreuses distinctions prestigieuses : une nomination aux 7
d’Or, le Fipa d’Argent de Cannes, le Prix Spécial du Jury Italia et celui du
Cinéma Européen de Berlin.
Quant à votre émission Bas les masques, elle est un moment à part
entière de l'histoire de la télévision. Les tabous de la société sont abordés
sans ambages à travers des témoignages d’individus en marge :
l’immigration, l’univers carcéral, autant de sujets s’invitant sur le petit écran
et esquissant le portrait d’une France souvent mal connue.
Loin de compter sur la seule levée des émotions pour fidéliser votre public,
c’est le métier même de journaliste, à travers son souci d’information, que
vous servez, comme en atteste, sans complaisance, votre triptyque
documentaire Prostitution, nommée par ailleurs aux 7 d’Or.
Quand les masques tombent, il reste des lots de solitudes, des drames
tendres, violents, ou des ciels mouillés de rêves, je pense à La double vie
de Johnny… Rock, des soleils après la pluie dans La Vie à l’endroit, des
confessions dans Vie privée, vie publique.
La télévision, nous le savons, est à la fois un observatoire privilégié des
tendances et des moeurs, à la fois jauge de la société et outil de son
évolution. « La télévision est impitoyable, mais la vie l’est aussi » confiezvous
; et dans cet univers difficile de l’audiovisuel public, c’est avec un
grand professionnalisme, que vous avez radiographié la France, prenant
en compte aussi bien l’individu que les appartenances sociales. Les
portraits en guise d’esquisses sociologiques, les questions pertinentes, les
clichés brisés, le rendu des aventures de la condition humaine, sont votre
signature.
Chère Mireille Dumas, au nom du Président de la République et en vertu
des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Chevalier de la
Légion d’honneur.
Cher Alex Descas,
Dans le monde du cinéma et de la télévision, vous vous distinguez par un
profil très singulier, un style construit au fil des rôles à travers des
personnages à la fois denses et austères, quasi-mutiques, mystérieux,
pudiques et merveilleusement expressifs à la fois. Vous appartenez à ceux
dont la ligne de jeu est immédiatement reconnaissable, signe distinctif des
grands acteurs.
Vous n'étiez pas particulièrement destiné à devenir comédien. Dans un
premier temps, vous vous destiniez à la musique, avec le charme dilettante
des personnes qui se cherchent. C’est plutôt dirigé par le hasard, et peutêtre
par un désir inconscient, que vous avez découvert l’art dramatique en
accompagnant un ami venu s’inscrire à un cours de théâtre. La magie du
théâtre a opéré, vous vous inscrivez du jour au lendemain aux cours
Florent.
C’est en 1984 que vous débutez dans L’Arbalète de Sergio Gobbi.
S’ensuivent Le Train d’enfer de Roger Hanin, Bleu comme l’enfer d’Yves
Boisset, Je hais les acteurs de Gérard Krawczyk, Taxi Boy d’Alain Page,
ou Y’a bon les blancs de Marco Ferreri et, en 1987 également, Les Keufs
de Josiane Balasko, aux côtés de Isaac de Bankolé.
Quand ce dernier vous présente à la cinéaste Claire Denis, elle est
immédiatement séduite, et le cinéma qu’elle propose vous séduit
également. C’est le début d’une collaboration prolixe qui s’échelonnera sur
près de vingt ans, avec cette cinéaste nomade et éternellement marginale,
anciennement assistante de Jim Jarmusch, de Wim Wenders, ces esthètes
de l’image, et de Jacques Rivette, entre autres. En 1990, à l’occasion de
son troisième film, elle vous offre un premier grand rôle dans S’en fout la mort,
où vous interprétez Jocelyn, éleveur de coqs pour des combats
clandestins à Rungis, héros solitaire, en exil de lui-même. De ce film
naîtra la légende Descas. Pour votre interprétation, vous obtenez le Prix
Michel Simon et êtes nommé aux César du Meilleur espoir masculin.
Devenu l’acteur fétiche de Claire Denis, vous tournez 6 films avec elle : J’ai
pas sommeil, Nénette et Boni, qui reçoit la Léopard d’Or au Festival de
Locarno, Trouble Every Day, L’Intrus et 35 Rhums où vous interprétez un
cheminot. À cet égard Claire Denis confiera : « Quand Alex est allé
travailler à la SNCF pour apprendre à conduire, il n'était pas le seul Noir.
Je me suis dit, c'est bien, la SNCF va plus vite que le cinéma. »
Longtemps, une discrimination tacite vous aura sans doute empêché
d’accéder à des rôles à la mesure de votre talent. L’idée vous a d'ailleurs
effleurée de partir tenter votre chance aux États-Unis, mais vous avez
finalement fait le choix de rester, en prenant le pari de l'évolution des
représentations. Les plus grands réalisateurs du cinéma international
s’intéressent à vous, et entre 1984 et 1999 vous tournez avec Peter
Handke, Wim Wenders, Idrissa Ouedraogo, Olivier Assayas, Sharunas
Bartas, Alain Guesnier, et je ne peux les citer tous.
Vous avez entre autres incarné le dictateur Mobutu dans Lumumba de
Raoul Peck en 2000. On peut vous voir également dans Coffee and
Cigarettes, dernièrement dans The Limits of Control de Jim Jarmusch, et
chez un metteur en scène français aussi exigeant que Patrice Chéreau,
dans Persécution en 2009, aux côtés notamment de Romain Duris,
Charlotte Gainsbourg et Jean-Hugues Anglade.
Parallèlement à cette carrière cinématographique française et
internationale hors du commun, vous êtes également devenu une star du
petit écran et de nos séries télévisées, je pense aux Cordiers juges et flics,
aussi bien qu’à La poursuite du vent de Nina Companéez, dans un liste
longue d’une quinzaine de téléfilms et séries TV. C’est surtout dans le rôle
titre de la série Un flic de Patrick Dewolf sur France 2 où vous incarnez le
Commissaire Schneider, que vous placez la barre haute dans l'univers des
séries françaises. Un personnage étranger aux compromissions qui a sans
doute eu pour vous une résonance particulière, car vous avez toujours
combattu les injustices de couleur sur des bobines qui ne sont plus, depuis
longtemps, en noir et blanc.
Je n’oublierai pas de mentionner votre parcours au théâtre, où vous
comptez une vingtaine de pièces à votre actif. Sur les planches, vous jouez
pour Peter Brook dans Sizwe Banzi est mort, pour sa fille, Irina Brook,
dans L’île aux esclaves de Marivaux, qui battit des records de
prolongations…, ou encore dans Martin Luther King ou la force d’aimer de
Hammou Graïa.
Je suis très heureux d’honorer aujourd'hui un comédien français dont la
contribution à la création cinématographique, en France et dans le monde,
se construit avec l'exigence et le talent propre aux plus grands.
Cher Alex Descas, au nom du Président de la République, nous vous
faisons Chevalier de l’ordre national du Mérite.
Chère Thérèse Laval,
Je me réjouis de pouvoir honorer aujourd’hui la grande prêtresse fiscale du
ministère de la Culture et de la Communication, et j’en suis d’autant plus
heureux que votre vocation à servir l'Etat vient servir avec talent et
engagement les responsabilités qui sont les vôtres aujourd'hui à la sousdirection
des affaires juridiques du ministère.
Depuis votre arrivée à la Culture et à la Communication, vous êtes un
interlocuteur dynamique unanimement apprécié par les cabinets successifs
et les différentes directions du ministère. Votre parfaite connaissance de
son fonctionnement, la finesse de votre analyse, votre capacité de
proposition et d’anticipation, à tous les égards, audacieuse, votre
engagement personnel, font de vous, une collaboratrice essentielle.
Dès 1969, vous enseignez le droit et l’économie. Vous êtes jusqu’en 1980
contrôleur des impôts à la direction des services fiscaux de Nancy comme
responsable de la cellule « révision de la valeur locative des propriétés
bâties ». Vous intégrez ensuite, en qualité d’inspecteur des impôts, la
direction des vérifications d’Île-de-France, où vous avez en charge la
vérification des entreprises culturelles, puis la prestigieuse direction des
vérifications nationales et internationales des multinationales. C’est là où, à
l’initiative de Jack Lang, on vient vous chercher en septembre 1992, pour
créer une mission des affaires fiscales au sein du ministère de la Culture et
de la Communication. Cette mission répond au besoin du ministère de
disposer d’un pôle d’expertise fiscale, afin de mieux appréhender les
modalités d’application du droit fiscal interne et communautaire aux
différents acteurs de la vie culturelle, et d’apprécier les possibilités
éventuelles d’évolution du droit fiscal dans le domaine culturel.
Dans le cadre de cette mission, vous êtes devenue une référence
essentielle pour toutes les questions fiscales touchant le secteur culturel,
et l'on vous doit bon nombre de propositions législatives et réglementaires
de réforme fiscale. Je pense aux chantiers qui vous ont été confiés pour la
réforme du régime fiscal applicable aux structures associatives culturelles
et artistiques, ou encore l’élaboration d’une importante instruction du
ministère des Finances en collaboration avec notre ministère, la rédaction
de plusieurs fiches techniques à destination des institutions culturelles
dans les domaines du spectacle vivant, du cinéma et du patrimoine.
Vous avez également participé à l’élaboration d’un nouveau régime des
frais réels pour les professions artistiques en 1999, à la rédaction de la loi
du 1er août 2003 relative au mécénat sous l’autorité d'Eric Garandeau,
alors conseiller chargé du mécénat au cabinet du Ministre, ainsi qu’aux
travaux préparatoires de la loi réformant la redevance d’archéologie
préventive en 2003 en liaison avec la direction de l’Architecture et du
Patrimoine.
Chaque année, dans la cadre de la loi de finances et du collectif
budgétaire, vous préparez les mesures fiscales proposées par le ministère
de la Culture. En ont découlé par exemple l’instauration de crédits d’impôts
dans les secteurs de la production cinématographique et audiovisuelle, de
la production phonographique, ou encore des métiers d’art, mais aussi
l’exonération de taxe professionnelle pour les photographes-auteurs, ainsi
que l’amélioration du dispositif de la retenue à la source des artistes
étrangers, et l’amélioration du dispositif fiscal du mécénat, des monuments
historiques et des objets mobiliers classés.
Pour le ministère, les organismes culturels, les établissements publics,
mais également pour les particuliers, les artistes, les propriétaires de
monuments classés, vous êtes devenue une conseillère indispensable,
une interlocutrice savante, attentive et rigoureuse qui peut les aider à voir
plus clair dans les méandres complexes des services fiscaux et de leur
procédure.
Enfin je sais que vous avez à coeur de transmettre votre savoir et de
sensibiliser les nouvelles générations aux subtilités de la fiscalité culturelle,
puisque vous dispensez un enseignement en Master 2 de management
des institutions culturelles au sein de la prestigieuse université Paris-
Dauphine.
À l’heure où vous vous apprêtez à cultiver votre jardin personnel, je suis
très heureux d’honorer un haut fonctionnaire qui a toujours fait preuve d’un
sens aigu du service public, une femme qui s’est engagée à servir l’action
culturelle en France, en contribuant à animer, à dynamiser et à rendre le
secteur culturel attractif, en permettant de préserver et d’encourager ce qui
fait la richesse artistique et culturelle de notre pays.
Chère Thérèse Laval, au nom du Président de la République, nous vous
faisons Chevalier de l’Ordre national du Mérite.
Cher Rémy Aron,
C’est à l’École des Beaux-Arts de Paris, dans l’atelier de Gustave Singier,
que vous faites votre apprentissage, avec notamment Roger Plin et Jean
Bertholle pour professeurs. Une fois diplômé, vous résidez à la Cité
Internationale des Arts de 1974 à 1975. Vos compositions s’orientent alors
vers un style figuratif qui favorise les techniques traditionnelles : le crayon,
l’huile, l’acrylique, le pastel, le fusain. Votre peinture, ouverte aux jeux de
lumière, a pour thèmes de prédilection les natures mortes, l’atelier, les
vues d’intérieur, les modèles vivants, les paysages, où dernièrement vous
introduisez des éléments architecturaux. Une couleur, un point, souvent, y
suffisent à évoquer un volume, dans un univers personnel fait d’allusions,
de suggestions, de décalages oniriques.
Votre oeuvre s'expose désormais dans les galeries du monde entier, des
États-Unis au Japon, en passant par le Liban et le Maroc. C’est en Chine
que vous organisez vos plus grandes expositions, à Canton, Dongguan,
Wuxi et Panjin. Votre oeuvre féconde obtient de nombreux prix : une
bourse de séjour à la Casa Velasquez à Madrid en 1979, une bourse du
Conseil régional d’Ile-de-France en 1982 et en 1985, le premier Prix
Noufflard décerné par la Fondation de France, puis le Grand Prix Fernand
Cormon, décerné par la Fondation Taylor. Vous recevrez également la
Médaille d’or des artistes français.
Vous qui connaissez l'univers particulier des salons pour y avoir très
souvent exposé, comme au Salon d'Automne, au Salon de Mai, au Salon
Grands et Jeunes d'aujourd'hui, à la Biennale 109, au Salon Comparaisons,
vous avez été également secrétaire général de la
Fédération des Salons Historiques du Grand Palais. Vous y avez défendu
l’expertise essentielle que les salons apportent à l’art, et leur capacité à
constituer un vivier de découvertes de nouveaux artistes, à la fois pour les
visiteurs, pour les institutions, et pour le marché de l’art.
Votre engagement au service de l’art et des artistes, c'est également votre
enseignement de la peinture et de la gravure depuis 1982 à l'atelier des
Beaux-Arts de la Ville de Paris ; et c'est bien sûr votre présidence, depuis
2005, de la Maison des Artistes, un mandat qui vous tient particulièrement
à coeur. Créée en 1952, la Maison des Artistes est un organisme unique
en France, qui protège les intérêts des artistes plasticiens en étant
gestionnaire de leur régime de sécurité sociale. Vous oeuvrez ainsi à
défendre la création, en soutenant les artistes et leur place dans la Cité
pour que leurs regards demeurent libres.
Les arts plastiques, en France, ont la chance de pouvoir compter sur l'un
des grands peintres de notre époque parmi leurs alliés privilégiés. Cher
Rémy Aron, au nom de la République française, nous vous faisons
Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres.