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Discours

Remise de décorations à Claude Ruiz-Picasso, Myung-Whun Chung, Ismaïl Serageldin, et Evgueni Kissin



Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de laCommunication, prononcé à l'occasion du de la cérémonie deremises des insignes de Chevalier dans l’ordre de la Légiond’honneur, à Claude Ruiz-Picasso, de Commandeur dans l’ordre desArts et des Lettres à Myung-Whun Chung et Ismaïl Serageldin, etd'Officier dans l’ordre des Arts et des Lettres à Evgueni Kissin

Cher Claude Ruiz-Picasso,
Combien il est difficile de porter un patronyme : j’en sais moi-même
quelque chose ! Cela suppose des obligations, des devoirs aussi. Vous
êtes en effet le fils de Pablo et de Françoise GILOT qui nous a fait la très
grande amitié d'être parmi nous aujourd'hui. Chère Françoise, permettezmoi
de rappeler à cette occasion que votre talent d'artiste peintre a su
créer un lien idéal entre l'Ecole de Paris des années 40 et 50 et la scène
artistique contemporaine des Etats-Unis.

Au sortir de la guerre, Picasso retrouve les couleurs et les paysages de la
Méditerranée. Il connaît une période amoureuse et créative magnifique que
symbolise La Joie de Vivre, peinte en 1946 au Château Grimaldi d’Antibes.

De la rencontre entre les influences de l'Antique méditerranée et le
sentiment de force et de renaissance, qui accompagne toujours l’amour
naissant, jaillit cette oeuvre dionysiaque et jubilatoire. La nymphe danse
avec des centaures et d'allègres faunes joueurs de diaule, cette flûte
double connue des anciens Grecs. Il vous immortalise également, chère
Françoise, en de multiples compositions florales symboliques : ici déesse
de la Fertilité à la manière d’une Cérès, là Femme-fleur.

Vous êtes né, cher Claude [Picasso], comme votre soeur Paloma, pendant
cette période de lumière retrouvée, d'allégresse intense et de créativité
rayonnante. Picasso renoue alors avec une production importante de
documents, tableaux, gravures, sculptures dont vous êtes les modèles. Il
consacre une bonne part de son oeuvre à vous représenter dans vos jeux,
tableaux dans lesquels se lisent toute la complicité qui vous unit à Paloma
et la tendre attention d'une mère qui surveille ses enfants tout en les
peignant. Ils constituaient pour lui un sanctuaire réservé, ils ne furent
jamais mis en vente.

Mais son amour et son attention artistique ne s’arrêtent pas là. Pour vous,
il fabrique des jouets qu'il peint avec humour ; pour vous, il découpe des
cartons et construit des bonshommes aussi drolatiques qu’insolites. Pour
vous, il nourrit son oeuvre, à l’image des petites voitures offertes par
Kahnweiler qui se retrouvent dans La Guenon et son petit, en 1951.

Après des études en France puis en Grande-Bretagne, vous avez vécu à
New York de 1967 à 1974 dans un univers d’effervescence culturelle. Vous
avez été l’assistant du photographe Richard Avedon, vous avez étudié le
cinéma, la mise en scène au célèbre Actor’s studio et travaillé comme
photo-journaliste pour Time-Life, Vogue, ou encore Saturday Review.

Vous n’avez depuis lors jamais cessé d’exercer votre métier de
photographe pour les magazines, votre métier de graphiste et de
plasticien. Ce métier vous a amené à réaliser des objets en argent pour la
table, un service en porcelaine, des tapis : ayant baigné dans l’art, vous
savez ré-enchanter les objets et les lieux. La FIAC de Paris, l’ARCO de
Madrid, le Centre International de Recherche sur le Verre de Marseille
accueillent vos créations. Vous vous aventurez dans l’univers de l’image et
du cinéma, vous réalisez plusieurs films, notamment Tour de Manège
consacré à Barbara, cet « aigle noir » auquel vous apportez une lumière et
une couleur singulière.

En 1973, à la mort de votre père, vous rentrez en France. Commence
alors l’inventaire de la succession : la tâche est immense. Avec l’appui
d’une Commission - dont Maurice Rheims fait notamment partie - avec
patience et minutie, vous inventoriez, estimez et cataloguez plus de 65 000
oeuvres de Pablo Picasso ! Chacun le sait ici, les éditions du catalogue
raisonné de l’oeuvre gravé de Brigitte BAER et du catalogue des sculptures
de votre père par Werner SPIES vous doivent beaucoup.

C'est sous votre impulsion que le projet de dation en paiement des droits
de succession a pris l'ampleur qui devait donner naissance au grand projet
de musée. Réunissant autour de vous Jacqueline Picasso, les enfants et
petits-enfants de Picasso, vous vous êtes engagé dans le projet de
création du musée national Picasso dès ses origines.

Alors que Dominique Bozo, le premier directeur du musée, effectue la
sélection des oeuvres en vue de la dation avant le partage entre les
héritiers, vous apportez de votre côté une contribution essentielle lors du
chantier de rénovation de l’Hôtel Salé en apportant toute votre
connaissance de l’oeuvre et de son entourage, facilitant les relations entre
les conservateurs du musée, l’architecte, Roland Simounet chargé de la
transformation de l’hôtel Salé en musée, l’administration du ministère de la
Culture et les différents membres de la Succession Picasso.
Le musée national Picasso vous doit en partie la richesse et de
l'exhaustivité de sa collection. Vous avez joué un rôle essentiel dans la
donation à l’Etat, en 1978, de la collection personnelle de Picasso
rassemblant des oeuvres de ses amis - Braque, Matisse, Miro, Derain - des
maîtres qu'il admirait - Cézanne, Le Douanier Rousseau, Degas, Le Nain -
une collection enrichie de nombreuses pièces africaines, océaniennes et
ibériques.

Vous avez obtenu l’accord des héritiers pour placer en dépôt, puis donner
à l’Etat l’exceptionnel ensemble des archives personnelles de Picasso.

Avec leurs milliers de documents et de photographies, qui couvrent toute la
vie de Picasso, elles contribuent à faire du musée le principal centre
d'étude sur la vie et l'oeuvre de l'artiste.

Vous avez fait diverses donations à l’établissement, notamment, en 2000,
un ensemble de 12 000 ektachromes relatifs aux fonds des oeuvres de
Pablo Picasso qui sont d’un intérêt documentaire essentiel pour la
compréhension de l’oeuvre.

Je voudrais rappeler également votre disponibilité en matière de prêt de
votre collection personnelle aux expositions organisées par le musée tant à
l’Hôtel Salé qu’ailleurs dans le monde. Vous soutenez avec conviction les
différents projets scientifiques et culturels de l’établissement en intervenant
notamment auprès de musées, fondations et collections particulières pour
garantir des prêts importants aux expositions. Je sais que vous avez
actuellement le projet d'une Fondation à l'étranger qui contribuera à
accroître l'autonomie financière et le rayonnement international du musée.
Comme vous le savez, comme je vous l’ai dit, vous connaissez mon
attention dans sa phase de rénovation actuelle. Mon engagement dans cet
ambitieux chantier est total et je tiens à saluer la formidable énergie et le
travail exceptionnel de sa Présidente, Anne Baldassari. Je suis certain que
nous aurons l’occasion de travailler dans le même sens avant sa
réouverture.

Vous avez également accompli un travail remarquable pour protéger les
droits d’auteur et l’oeuvre de votre père. En 1989, vous êtes nommé
Administrateur judiciaire de l’Indivision Picasso. Aux États-Unis, vous
témoignez à plusieurs reprises lors de procès afin de faire valoir les droits
des auteurs face à des jurisprudences moins protectrices pour les artistes.

Votre combat en faveur des créateurs et de leurs droits, je le partage, je le
fais mien : à l’ère de la numérisation, alors que la reproductibilité de
l’oeuvre semble s’imposer, il est l’une de mes préoccupations
permanentes.

En 1995, vous fondez Picasso Administration afin d’améliorer la protection
et le contrôle de l’utilisation du nom, de l’image et de l’oeuvre de Pablo
Picasso dans les domaines de la propriété littéraire et artistique mais aussi
sur le terrain, plus exigeant, du droit des marques et des droits dérivés de
la personnalité. C’est une orientation inédite dans le monde de l’art :
Picasso devient une véritable marque avec dépôt de nom et signature.

Plus qu’un combat d’héritier, un sacerdoce judiciaire !

Parallèlement, vous n'avez cessé d'organiser des expositions pour mieux
faire connaître l’étendue de la créativité de Picasso, de Londres à New
York, de Berlin à Madrid. Vous êtes d’ailleurs l’un des membres du conseil
d’administration du musée Reina Sofia, en hommage à votre père qui fut
nommé par le gouvernement du Frente Popular, directeur du Prado.

Cher Claude Ruiz-Picasso, vous avez su tisser et conforter des liens
harmonieux entre votre famille et les institutions culturelles nationales.

Aussi, pour la générosité que vous avez toujours manifestée, pour votre
contribution au rayonnement de l'oeuvre d’un des « maîtres » du XXe
siècle, au nom du Président de la République, et en vertu des pouvoirs qui
nous sont conférés, nous vous faisons Chevalier de la Légion d’honneur.

Cher Myung-Whun Chung,
C’est un chef passionné de musique et de bonne chère que j’ai l’honneur
d’accueillir aujourd’hui dans le Salon des Maréchaux. Un artiste, un
« messager » pour reprendre vos propres termes, qui a pour qualité
essentielle de savoir restituer l’esprit de chaque oeuvre avec une pureté et
une simplicité sans égales. Cette simplicité, dont Leonard de Vinci disait
qu’elle était la sophistication suprême, vient du coeur et de l’étude, et c’est
par elle que vous vous êtes distingué. Car le Sud-Coréen, Américain et
Français de coeur que vous êtes, comme un grand Romanée Conti, se
bonifie avec le temps. Car dans toute oeuvre, naturelle ou artificielle, le
temps est le garant de la maturation des choix. C’est d’ailleurs votre maître
Carlo Maria Giulini qui vous a fait prendre conscience que les vrais souffles
de l’esprit, ceux qui mènent loin, sont de grandes voiles qui se hissent
avec la majesté de la lenteur.

De la virtus latine, le français a tiré les mots de vertueux et de virtuose –
deux mots qui se prêtent à merveille à votre personnalité. Car votre vie et
vos engagements s’inscrivent aussi dans une démarche philanthropique et
altruiste exemplaire.

Revenons d’abord sur le virtuose qui est en vous. Enfant prodige qui
découvre la musique sur le clavier du piano, vous donnez vos premiers
concerts à l’âge de 7 ans et intégrez l’Orchestre philarmonique de Séoul.

Vos parents déménagent aux Etats-Unis, et c’est à Los Angeles que la
voie de la direction d’orchestre se montre à vous. C’est Gregor Piatigorsky,
qui vous met la puce à l’oreille après vous avoir entendu accompagner vos
soeurs dans le Double Concerto de Brahms en vous demandant « As-tu
pensé à la direction d’orchestre ? ». Vous aviez 13 ans. Puis la révélation
explosive se produit deux ans plus tard, quand à New York, vous entendez
la Cinquième Symphonie de Beethoven dirigée par Daniel Barenboïm.

Vous ne renoncez pas encore à une carrière de soliste - vous remportez
d’ailleurs le deuxième prix au Concours international Tchaïkovski de
Moscou -, mais vous entreprenez parallèlement de suivre des cours de
direction musicale au Mannes College de New York, puis à la Juilliard
School. C’est auprès d’un chef, en qualité d’assistant du maestro Giulini
qui vous encourage et qui vous confirme dans votre vocation de chef, que
vous vous décidez à servir la musique sans produire un seul son par vous même.

Vous dirigez l’Orchestre Symphonique de la Radio de Sarrebruck, vous
êtes invité au Teatro Comunale de Florence, vous assumez de 1989 à
1994 la direction musicale de l’Orchestre de l’Opéra National de Paris, et
de bon nombre des plus prestigieux ensembles orchestraux américains. Je
m’arrêterais volontiers ici, car je ne pourrais citer tous les orchestres
internationaux qui ont bénéficié de votre direction sans m’éloigner de mon
propos – mais je ne saurais omettre de rappeler que vous venez de fêter
vos dix ans comme directeur musical de l’Orchestre philharmonique de
Radio France, une magnifique institution sur laquelle vous exercez une
influence en profondeur.

Car à travers votre direction d’orchestre tour à tour ardente, habitée,
lumineuse, sauvage, à travers la sensibilité et la maturité qui se dégagent
de vos interprétations, vous êtes un chef hors du commun par votre
humanité. Vous avez bien plus d’estime pour les qualités humaines de
l’humilité et de l’éthique que pour les froideurs d’une technicité sans âme.

Dans votre quête de pureté, d’ouverture et de dépassement de soi, vous
relisez Messiaen, Debussy, Ravel, Bartók, Fauré, Bizet, Berlioz ou
Beethoven. Loin des grandiloquences et des mythologies du chef
d’orchestre omnipotent, dirigeant en démiurge, d’une main de fer, des
instrumentistes relégués au rang d’exécutants, le grand Giulini vous aura
légué l’esprit du dialogue, du silence et de l’écoute, au service de
l’intériorité des oeuvres.

Ces vertus, vous vous êtes proposé de les exercer au-delà du seul champ
de la musique. Vous vous investissez dans des projets liés à la
préservation de l’environnement - vous êtes par ailleurs le seul chef
d’orchestre, à ma connaissance, à tailler votre baguette dans les oliviers
de Provence ! - et vous vous êtes engagé avec force dans la défense des
droits de l’enfance. Ambassadeur auprès des Nations Unies pour le
programme de lutte contre la drogue, vous recevez de l’UNESCO le titre
d’« Homme de l’année » en 1995, avant de devenir ambassadeur itinérant
pour l’UNICEF. Non content d’être un chef reconnu, admiré, un chef que
l’on demande et même que l’on s’arrache, vous avez tellement à
transmettre. D’après vous, il y a trois étapes dans la vie de chaque
homme : d’abord l’enfance et l’étude, puis vient le moment du travail et
d’une famille, enfin celui de la transmission des savoirs - savoir restituer ce
que l’on a reçu, donner aux autres, en cadeau, l’empreinte laissée par une
vie de méditation et d’humanisme.

Pour toutes ces raisons, mais aussi parce que votre relation à la France
est une histoire d’amour, cher Myung-Whun Chung, au nom de la
République française, nous vous remettons les insignes de Commandeur
dans l’ordre des Arts et des Lettres.

Cher Ismaïl Serageldin,
Le 28 mai dernier, j’ai rendu un hommage au dialogue des langues et des
cultures entre la France et le monde arabe auquel, pour des raisons de
calendrier, vous ne pouviez malheureusement vous joindre. Je suis très
heureux que nous puissions enfin nous retrouver aujourd’hui.

Les contradictions de notre époque font se croiser périls et promesses.

L’affirmation plurielle des identités et l’accroissement des libertés
particulières, la richesse du monde dit développé d’un côté, l’extrême
pauvreté et la marginalisation de l’autre, autant de tensions favorisant des
replis identitaires qui peuvent s’avérer meurtriers, pour faire écho au titre
suggestif d’un ouvrage célèbre d’Amin Maalouf. À ces tensions, vous avez
opposé, toute votre vie, un engagement pour la diffusion des savoirs.

La poursuite de la liberté sur plusieurs fronts à la fois, vous en avez fait
une ligne de vie. Elle se décline chez vous dans plusieurs domaines :
l’architecture, l’économie, la sociologie, la littérature. Votre grande
érudition, cher Ismail Serageldin, vous permet d’instruire le débat dans
chacune de ces disciplines, même si votre modestie vous empêche de
l’avouer pleinement. Et c’est ce qui est formidable. La nature des réponses
que vous proposez est en accord avec votre engagement, votre
humanisme au sens où Hannah Arendt l’entend. Cette philosophie vous
élève au dessus des conflits entre l’Institution et l’Artiste, elle vous permet
de chercher la liberté par-dessus les spécialités. Cette ouverture à des
formes plurielles d’engagement, vous en faites la démonstration depuis
plusieurs décennies.

Prises de vitesse, les mobilisations globales d’aujourd’hui sont souvent
soumises aux seules lois de l’urgence. Essentielles pour porter secours
aux victimes, mais insuffisantes dans la durée. Une perspective durable
exige des réformes à la fois profondes et globales. C’est ce que
démontrent vos efforts infatigables pour que la Science et la Culture dans
leur ensemble, trouvent leurs pleines résonances sociales. Dans tous les
domaines, qu’il s’agisse des questions globales de la production et de la
redistribution des ressources, du développement ou de la recherche, la
lutte que vous conduisez se déroule sur le terrain de la transformation et
de la transmission des savoirs.

Encore trop de personnes souffrent de la faim à cause de politiques dont
vous pointez le caractère inadapté. L’indignation grandit quand on sait que
le savoir scientifique qui pourrait porter secours aux déshérités, soit une
majorité de l’humanité, existe déjà. Savoir cela, c’est déjà refuser de céder
à la calamité. Votre diagnostic est sans appel : à nous de devenir, selon
vos propres termes, les « nouveaux abolitionnistes ». Mobiliser les savoirs
pour défier la pauvreté, renforcer la science en faveur du développement,
voici, en somme, le credo de l’ingénieur diplômé de l’Université du Caire et
du docteur de Harvard, celui que vous avez magistralement décliné cette
année, en partenariat avec l’Agence Française de Développement, au
Collège de France, où vous êtes titulaire de la Chaire « Savoirs contre
Pauvreté ».

Un cycle de conférence qui a mis l’accent sur les grandes questions
globales : les questions alimentaires, les droits humains, les nouveaux
visages de la responsabilité, de la production scientifique, de l’accès global
à l’information – autant de thèmes sur lesquels vous prônez, en les relisant
de manière transversale, une action réfléchie sur les transformations
sociales, conformément aux valeurs universelles de justice, de liberté, de
dignité humaine et de développement durable. On ne peut qu’être frappé
ici par les nombreux points d’accord avec la pensée d’Amartya Sen, pour
ne citer que lui, et les idées défendues par l’Organisation des Nations
Unies pour l’Education, la Science et la Culture, que la France a l’honneur
d’héberger. Les Prix Nobel qui ont massivement soutenu votre candidature
en 1999 à la direction générale de l’UNESCO ne s’y sont pas trompés.

En homme savant, vous inventez le futur en recherchant ses possibilités
d’expression. Autant dans l’exercice de la science que dans celle de la
liberté par la démocratie. En bon économiste, vous ne perdez jamais de
vue l'efficacité des moyens de sa réalisation. C’est cette capacité à marier
les angles de vue qui vous permet d’éviter les écueils d’une normativité
trop abstraite, celle qui si souvent nous empêche de penser et d’agir
autrement pour le bien de notre humanité commune.

Cet optimisme est porté aujourd’hui par les espoirs ressuscités de la
Bibliothèque d’Alexandrie. Cet établissement millénaire, plusieurs fois
incendié, fut le premier grand espace public de lecture, où plus de 700 000
volumes étaient répertoriés, malheureusement disparus dans les
destructions et les incendies. Ce n’est pas un hasard si c’est justement à
vous qu’a été confiée la mission de relever des décombres de l’histoire
cette ancienne Bibliothèque. Car l’entreprise devait être accomplie à la fois
avec l’idée du savoir universel dont elle se réclame, mais aussi avec les
instruments du troisième millénaire. Après avoir occupé les postes parmi
les plus prestigieux de la Banque Mondiale, dont vous avez vice-président,
vous vous êtes attelé à cette tâche prométhéenne : ressusciter le rêve de
la grande mise en commun des savoirs, un rêve qui avait animé autrefois
Zénodote d’Éphèse, Aristophane de Byzance ou encore Érathostène.

De cette Antiquité où la Bibliotheca Alexandrina rayonnait sur l’ensemble
du bassin méditerranée, vous avez gardé le souci de l’accessibilité
universelle, en mettant à profit les nouvelles technologies et les
plateformes numériques, qui permettent désormais au savoir d’être produit
et diffusé bien au-delà des rayonnages. Vous avez créé une institution
autonome, à l’abri des censures, qui marie dans un bâtiment unique les
outils du IIIème millénaire avec les espaces de lecture où l’on sait encore
préserver le temps de l’imprégnation face aux assauts de l’immédiateté et
aux vertiges de l’accès. Une institution à vocation universelle où le
multilinguisme est roi, et qui bénéficie des contributions des plus
prestigieuses bibliothèques du monde, dont la Bibliothèque nationale de
France.

Vous avez la conviction que la numérisation des savoirs constitue « le
grand service que l’on peut apporter à ce siècle ». Cette conviction, mon
ministère la partage pleinement, car elle est la condition de possibilité
d’une économie de la connaissance et d’une société du savoir, car elle est
aussi l’une des clefs de la démocratisation de la culture. Ce rêve d'une
bibliothèque universelle accessible à tous, Jean-Noël Jeanneney et
aujourd’hui Bruno Racine en ont fait leur fer de lance à la tête de la
Bibliothèque nationale de France. C’est le rêve de tous ceux qui prennent
la mesure de ce que le numérique peut apporter à notre bien le plus
précieux : la liberté de savoir.

De l’antique manuscrit aux tablettes d’aujourd’hui, l’idée d’une culture de
paix fondée sur la connaissance n’a jamais été une utopie. Elle est le
projet politique de tous ceux qui à travers les siècles auront compris, pour
reprendre vos propos, que « certains rêves n’ont pas d’époque ». Pour
toutes ces raisons, cher Ismaïl Serageldin, au nom de la République
française, nous vous remettons les insignes de Commandeur dans l’ordre
des Arts et des Lettres.

Cher Evgeny Kissin,
Je commencerai par la lecture de 4 répliques d’une petite tragédie de
Pouchkine, Mozart et Salieri, que je vous imagine très bien déclamer - je
sais que vous aimez la récitation - et qui réunissent entre autres deux
idées qui vous sont chères, je veux parler de la création et de l’amour. Les
voici, dans un passage où Mozart et Salieri devisent juste avant que ce
dernier n’empoisonne le premier :

SALIERI. - […] Beaumarchais me disait souvent : « Ecoute mon vieux
Salieri, quand te viendront des idées noires, débouche une bouteille de
champagne, ou bien relis Le mariage de Figaro.
MOZART. - Ah ! oui, c’est vrai que Beaumarchais a été ton ami. C’est pour
lui que tu as composé ton ‘Tartare’, une chose magnifique… On y retrouve
un motif... Je le fredonne sans arrêt quand je me sens heureux (…) À
propos, Salieri, est-ce vrai que Beaumarchais avait empoisonné
quelqu’un ?
SALIERI. – Je ne crois pas : il était trop jovial pour un métier pareil.
MOZART. - Et puis, c’est un génie, comme toi, comme moi. Or le génie et
le crime : deux choses incompatibles, n’est-il pas vrai ?

C’est un très grand honneur pour moi de vous recevoir aujourd’hui. Rares
sont ceux en qui coexistent la profondeur du coeur et le génie musical à un
tel niveau d’élévation. Un don miraculeux pour la musique, certes, mais ce
n’est pas ce don qui fait de vous un des plus grands interprètes du XXème
et XXIème siècle, de l’espèce si précieuse et si singulière des Horowitz,
Michelangeli, Gould, Richter ou Pogorelic. Inconditionnellement voué à la
musique, vous vivez avec le piano dans des sphères harmonieuses où
l’instrument se fait à la fois voix humaine et orchestre au mille couleurs,
dans une richesse de jeu qui vous a valu la reconnaissance internationale.

Au moyen d’une technique pianistique infaillible, vous êtes devenu un
interprète volcanique et lumineux, volontaire et profond ; artiste possédé
au corps embrasé, à la chevelure folle, aux mains qui brûlent sur la laque
des touches. L’émotion dans votre jeu n’est jamais facile. Les notes se
conquièrent. Vous faites danser les légatos, vous imposez les cadences
qui vous semblent inévitables, vous racontez des histoires où la subtilité et
la nuance sont reines. Lorsque vous interprétez à 12 ans les Concertos
pour piano 1 et 2 de Frédéric Chopin sous la direction de Dmitri Kitaenko,
Martha Argerich s’étonne de la profondeur et de la maturité dans le
discours musical du jeune garçon que vous êtes alors ; vous ne cesserez
d’affirmer que « la musique elle-même suffit », qu’il n’est point besoin
d’expérience pour bien interpréter une pièce, que la musique contient déjà
tout en substance. Vous n’avez jamais été un jeune prodige : enfant, vous
étiez déjà un musicien mature.

Evgeny Kissin, c’est celui qui bouleverse aux larmes Herbert von Karajan
dans la ville de Mozart en 1988, en interprétant la Fantaisie en fa mineur
de Chopin. Et vous restez aujourd’hui encore un des meilleurs interprètes
du répertoire romantique, Beethoven, Liszt, Schubert, Schumann, Brahms
et bien évidemment Chopin pour qui vous ressentez une affection, un lien
du coeur tout particulier. Vous êtes au même titre qu’Ivo Pogorelic un
interprète remarquable des Tableaux d’une exposition de Moussorgski,
une oeuvre que vous interprétez avec contraste, théâtralité et cohérence,
avec une finesse du toucher, une clarté de l’articulation et parfois des
staccati - je pense en particulier au tableau des Tuileries, qui aura ému en
profondeur tous vos auditeurs. Vous avez le don de nous raconter des
histoires au moyen de sonorités parfois fragiles, éthérées, sorties parfois
des catacombes, jamais creuses, jamais attendues.

Vous ne craignez pas d’élargir votre répertoire au classicisme, au
romantisme tardif, à des compositeurs aux personnalités atypiques comme
Scriabine ou Medtner - ce qui vous réussit, puisque vous obtenez le
Grammy Award du meilleur soliste en 2002 et 2006 pour ces
enregistrements. Même récompense l’année dernière pour vos
enregistrements des concertos numéros 2 et 3 de Prokofiev sous la
direction de Vladimir Ashkenazy. Je ne pourrais citer toutes les
récompenses qui auréolent votre carrière de soliste. Je me dois toutefois
de mentionner une femme sans qui vous ne seriez peut-être pas devenu
le grand pianiste que j’ai à mes côtés, je veux parler de votre professeur,
votre amie, Anna Pavlovna Kantor.

Grâce à son enseignement, grâce à votre travail, vous avez joué avec les
meilleurs chefs d’orchestres contemporains : Abbado, Barenboim, Levine,
Svetlanov, Ozawa, Giulini ou Temirkanov, entre autres. En 1990 vous vous
produisez pour la première fois aux « Proms » de la BBC à Londres, l’un
des plus grands festivals de musique classique, ainsi qu’aux Etats-Unis où
vous interprétez, sous la direction de Zubin Mehta, les deux concertos pour
piano de Chopin qui firent naître votre légende. Cette même année, vous
ouvrez également la 100ème saison du Carnegie Hall avec un récital des
plus spectaculaires.
En vous, cher Evgeny Kissin, il y a la légende du pianiste russe qui se fait
réalité. En vous écoutant on ne peut pas ne pas songer à Tchekhov, au
Pouchkine shakespearien, Gogol ou Tolstoï. Bach, le compositeur que
vous placez au-dessus de tous les autres, disait « J’ai beaucoup travaillé.

Quiconque travaillera comme moi pourra faire ce que j’ai fait. » C’est au
nom de ce travail et de cette quête impossible de l’émotion et de la
perfection que j’ai le bonheur d’honorer votre art.

Cher Evgeny Kissin, au nom de la République française, nous vous
remettons les insignes d’Officier dans l’ordre des Arts et des Lettres.

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À télécharger

  • Remise de décorations à Claude Ruiz-Picasso, Myung-Whun Chung, Ismaïl Serageldin, et Evgueni Kissin (.pdf)

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