Monsieur le Directeur général des Patrimoines, cher Philippe Bélaval,
Monsieur le directeur en charge des archives de France, cher Hervé
Lemoine,
Mesdames et Messieurs les Membres du Haut-Comité,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,

Avant toutes choses, je voudrais rendre hommage aux personnalités
éminentes du Haut-Comité pour les Commémorations nationales, pour la
qualité de leur travail, de leur expertise, ainsi qu’aux Archives de France.
Tous auront démontré, une fois de plus, tout ce que cet exercice mémoriel
auquel les Français sont très attachés peut apporter à la construction d’une
histoire partagée.

Mes amitiés et mes souhaits de rétablissements vont tout d’abord à Jean
Favier, dont je connais les difficultés de santé, et qui a su présider ce Haut-
Comité avec la clairvoyance et la sagacité qu’on lui connaît.

Et je suis convaincu qu’Alain Corbin, avec toute l’érudition qui est la sienne
et son talent hors pair pour explorer les pistes anthropologiques et
sensorielles de l’histoire contemporaine, va en assurer une présidence
intérimaire remarquable.

Je souhaite également saluer la mémoire de deux membres du Haut-
Comité qui nous ont quitté : MM. Emmanuel Poulle et Jacques Thuillier,
éminents savants, tous deux grandement appréciés pour leur exigence
intellectuelle et leur engagement pour la transmission du savoir et de la
culture. Un grand archiviste, paléographe et historien des sciences, ainsi
qu’un des plus grands historiens de l’art français se sont éteints cette
année. Nous leur rendons hommage aujourd’hui, et je tiens à saluer leurs
proches, ainsi que les familles scientifiques auxquelles ils appartenaient,
pour lesquelles ils incarnaient l’excellence.

Je remercie également, très chaleureusement, ceux qui quittent cette
année le Haut-Comité, ainsi que les personnalités éminentes qui ont donné
un accord de principe enthousiaste pour remplacer les « partants » : vous
assurez ainsi une transition qui permet au Haut-Comité pour les
Commémorations nationales de maintenir tout le prestige et la compétence
dont il a besoin.

En amont du foisonnement d’événements qui sont chaque année
organisés en France dans le cadre des commémorations nationales, il y a
un recueil, toujours très attendu, qui est le fruit de votre travail. Il attire
l’attention de publics extrêmement divers : collectivités territoriales,
journalistes, sociétés savantes, bibliothécaires, enseignants, réseau
culturel français à l’étranger (Alliances françaises, Institut français), mais
aussi centres pénitentiaires, maisons de retraite, ce recueil est l’outil d’un
patrimoine commun et d’une mémoire mieux partagée. Il est d’ailleurs
complété, depuis l’année dernière, par une application smartphone qui a
remporté dès ses débuts un vif succès.

Marguerite Yourcenar prête ces propos à l’Empereur Hadrien : « Le
véritable lieu de naissance est celui où l’on a porté pour la première fois un
coup d’oeil intelligent sur soi-même : mes premières patries ont été les
livres ». Publié et distribué gratuitement par le ministère, cet ouvrage, de
très haut niveau, qui bénéficie de la contribution des meilleurs spécialistes,
honore pleinement cette tradition civique que Marc Fumaroli désigne, dans
une belle expression où l’on reconnaît le grand spécialiste de l’art oratoire,
comme une « mnémotechnique nationale ».

Le recueil des Commémorations nationales est une incarnation de papier
du cabinet de curiosités. Chaque lecteur vient y puiser, au gré de ses
inclinations et de ses références propres, les multiples récits qui constituent
la trame institutionnelle et politique, littéraire et artistique, scientifique et
technique, économique et sociale, d’un patrimoine commun.

Commémorer, et non pas célébrer. Si j’ai tenu à cette inflexion sémantique,
c’est parce qu’elle nous permet de suspendre les jugements de valeur, afin
de préserver la réflexion critique sur ce qui est constitutif de notre mémoire
collective. Il y a six siècles, Jeanne d’Arc naissait à Domrémy, où je me
rendrai avec le président de la République ce vendredi. Il y a cinquante
ans, la guerre Algérie s’achevait. Faire cohabiter, dans un même recueil,
ces deux points mémoriels majeurs de notre histoire, c’est précisément
rappeler que commémorer, ce n’est pas convoquer des vignettes du repli
sur soi, mais des fragments d’universel où les blessures et les mythologies
doivent s’effacer devant l’exigence et le temps de la compréhension.

Chaque année, notre kaléidoscope nous offre une combinatoire nouvelle,
où se croisent des découvertes scientifiques et des publications d’ouvrages
révolutionnaires, la naissance d’artistes et de penseurs majeurs, des
événements plus ou moins lointains, toujours constitutifs du visage de la
société française telle qu’elle se présente aujourd’hui. Ce disparate a
toujours le goût de la surprise ; et le recueil des commémorations nous
offre à nouveau son lot de capsules de mémoire, dans un formidable
assemblage digne d’un catalogue chinois à la Borges, d’une pionnière de
la psychanalyse et grande lectrice d’Edgar Allan Poe comme Marie
Bonaparte au peintre Yves Klein, la disparition de Gaston Bachelard et la
sortie du premier numéro de Salut les copains !, le début de la réalisation
du retable d’Issenheim et la sortie de Jules et Jim de Truffaut, la
découverte de la mesure de la vitesse de la lumière par Léon Foucault, la
mort du grand mathématicien Henri Poincaré et la naissance de l’abbé
Pierre - dont les archives et celles d’Emmaüs ont été déposées aux
Archives du monde du Travail à Roubaix, où je me suis rendu hier.
Sans céder au vertige de la liste, je voudrais revenir sur quatre
événements.

2012 sera l’année Rousseau, avec la commémoration, en France et en
Europe, du tricentenaire de sa naissance et du 250ème anniversaire de la
parution de deux ouvrages fondamentaux de la pensée occidentale : Du
Contrat social et Emile ou de l’éducation. Ces anniversaires seront
l’occasion de manifestations coordonnées dans le domaine du livre, pour la
recherche universitaire, dans le domaine patrimonial, dans le champ du
spectacle vivant, dans le domaine de la langue française aussi avec
l’opération conduite sous l’égide de la Délégation générale à la langue
française « Dis-moi dix mots ». Je tiens à saluer la mobilisation de la région
Rhône-Alpes pour commémorer cette figure contrastée des Lumières, qui
sut se garder de ces « deux excès » que condamnait Pascal : « exclure la
raison, n’admettre que la raison ». À la fois newtonien dans sa pratique de
la raison, révolutionnaire dans sa philosophie politique et pré-romantique
dans l’écriture du « moi », Rousseau, « juge de Jean-Jacques » aura
marqué à jamais notre modernité. Je me réjouis à l’avance de me rendre
au lancement de l’année Rousseau, le 20 janvier à Chambéry, et dont la
création musicale de Philippe Hersant, Les Rêveries, inaugurera un cycle
remarquable de manifestations nationales et transfrontalières.

Parmi les personnalités mises en lumière cette année, il y aura aussi la
plus grande figure de la démocratisation et de la décentralisation du
théâtre : Jean Vilar. Pape du théâtre en son Palais d’Avignon et au théâtre
de Chaillot à Paris qui abritait le TNP fondé en 1920 par Firmin Gémier,
Jean Vilar fut lui-même le « poète de son engagement », et de son
ambition : « faire respirer un art qui s'étiole dans des antichambres, dans
des caves, dans des salons ; réconcilier enfin, architecture et poésie
dramatique ». À l’heure où la fréquentation des salles de spectacle ne
cesse de s’accroître, les manifestations qui accompagnent l’anniversaire
de sa naissance – notamment à Sète et à l’occasion du prochain festival
d’Avignon - vont permettre de souligner tout ce qu’on lui doit, et l’influence
considérable qu’il aura eue sur la politique culturelle en France.

Après l’Année des Outre-mer, qui nous a permis, grâce notamment à son
commissariat assuré par Daniel Maximin et son équipe, d’ouvrir une
nouvelle page de notre politique culturelle ultramarine, comme l’ont
notamment attesté à Cayenne les Etats généraux du multilinguisme dans
les Outre-mer à Cayenne auxquels je me suis rendu le mois dernier, 2012
marque le centième anniversaire de la naissance de Léon-Gontran Damas.
« Trois fleuves coulent dans mes veines », écrivait l’auteur de Black Label :
la mémoire du poète guyanais est à mes yeux d’autant plus actuelle pour
comprendre l’apport culturel inestimable des Outre-mer à la France comme
« pays-monde ».

Vous connaissez enfin mon attachement à l’histoire de l’art, à l’éducation
artistique et culturelle, à laquelle j’ai voulu donner une meilleure visibilité à
travers le Festival de l’histoire de l’art lancé à Fontainebleau l’an dernier et
qui a rencontré d’emblée un succès indéniable. Je me réjouis d’avance de
la qualité des manifestations en cours de préparation pour le centenaire
d’un très grand savant, d’un homme qui aura tant apporté à cette
discipline, notamment par ses ouvrages majeurs sur l’Italie de la
Renaissance, mais aussi d’un homme engagé dans les débats de la Cité,
notamment sur les enjeux du patrimoine, je veux parler d’André Chastel.
Voilà pour ces quelques exemples sur lesquels je souhaitais revenir
brièvement. Je reviendrai tout à l’heure sur l’Année Liszt, que nous allons
clore pour l’occasion ce soir.

Certains esprits critiques ont tôt fait de se défier du succès des
commémorations nationales, en y voyant une sorte de fièvre mémorielle
improductive, propre aux nations de la vieille Europe. J’y vois au contraire
une multitude de manifestations qui traduisent autant de désirs de
mémoire, celui d’une mémoire vivante, à laquelle contribuent tous les
scientifiques, les artistes, les amateurs d’histoire, les associations, et
surtout les publics de ces innombrables événements, au service d’identités
en partage.

Pour atteindre leur but, en matière de recherche, de diffusion, de visibilité,
les commémorations nationales nécessitent souvent une énergie et des
talents hors du commun.

Alors que nous nous apprêtons à commémorer cette année Jules
Massenet et Claude Debussy, je voudrais ce soir remercier très
chaleureusement les organisateurs d’un cycle de manifestations
exemplaire, que j’ai eu le grand plaisir d’inaugurer il y a un an avec Géza
Szöcs, mon homologue hongrois, et Xavier Darcos, président de l’Institut
français : je veux parler de l’Année Liszt, et de son commissariat assuré
par Jean-Yves Clément, avec notamment la collaboration de Nicolas
Dufetel, son conseiller artistique et scientifique. Avec l’appui des services
de mon ministère, des conservatoires, du ministère de l’Education
nationale, de l’Institut Français, de l’Institut hongrois de Paris, ce sont
quelque 400 événements, tous genres confondus, qui ont émaillé cette
année d’hommages au prince des doutes et des éclairs extatiques qui
révolutionna dans toute l’Europe la performance musicale : conférences,
colloques, enregistrements, expositions, publications, valorisation d’un
fonds d’archives, et bien sûr les concerts, avec notamment le 22 octobre
dernier, l’oratorio Christus, donné en la cathédrale Saint-Louis des
Invalides par le Choeur et l’Orchestre de la Radio hongroise, sous la
direction de Zoltán Peskó.

A l’issue de l’année Liszt, j’ai souhaité honorer MM. Jean-Yves Clément et
Nicolas Dufetel.

Cher Jean-Yves Clément,
Votre très grand talent d’écrivain, de biographe, d’éditeur mais également
de directeur artistique de festivals prestigieux en France, font de vous une
personnalité passionnée et érudite qui apporte une contribution majeure à
la vie culturelle française. Vous avez réussi ce difficile exercice de forcer
les secrets de compositeurs illustres comme Chopin ou Liszt, avec une
finesse d’approche et d’écriture qui rend hommage à leur mémoire et à un
héritage musical qu’ils ont légué à des générations de musiciens et
d’auditeurs.

Créateur des « Lisztomanias » de Châteauroux, des « Romantiques
d’Ars », directeur artistique du festival « Chartres en plain chant », et du
Festival de Nohant, vous vous êtes engagé à valoriser un patrimoine
musical européen exceptionnel. Vous avez également créé le Prix Pelléas
qui récompense les meilleurs ouvrages littéraires consacrés à la musique.
À cet égard, la Hongrie vous a honoré, en décembre dernier, pour le rôle
majeur que vous avez joué dans l’année de commémoration en hommage
à Franz Liszt. À ma tour de vous exprimer notre gratitude pour cette saison
musicale qui a été en tous points une réussite.

Cher Jean-Yves Clément, au nom de la République française, nous vous
faisons Officier de l’ordre des Arts et des Lettres.

Cher Nicolas Dufetel,
Je suis heureux de saluer aujourd’hui le travail d’un jeune chercheur
français au service de l’histoire de la musique et la musicologie. La
musique religieuse de Liszt et ses connexions avec l’histoire sociale
française du XIXème siècle ont fait l’objet de votre thèse de doctorat à
l’Université François Rabelais de Tours, qui a contribué à approfondir la
connaissance d’une oeuvre majeure de notre patrimoine musical commun.

Conférencier, déjà reconnu par vos pairs comme l’un des spécialistes qui
comptent du saltimbanque européen, vous êtes aujourd’hui chercheur,
pour la Fondation Humboldt, à l’Institut de musicologie de Weimar-Iéna.

Aux côtés de Jean-Yves Clément, vous avez joué un rôle essentiel dans
l’organisation de l’Année Liszt, dont vous avez été le conseiller artistique et
scientifique avisé.

Cher Nicolas Dufetel, au nom de la République française, nous vous
faisons Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres.

Presque un an après le magnifique concert du lancement au siège
historique des pianos Erard, avec Brigitte Engerer, Adrienne Krausz et
Brigitte Fossey en récitante, je suis très heureux d’accueillir ce le jeune et
talentueux chef d’orchestre Clément Mao-Takacs pour un concert en
forme d’épilogue de l’Année Liszt et de prologue avec des compositeurs
commémorés en 2012. Sa présence ce soir et celle des musiciens qu’il
dirige témoigne de ce lien nécessaire, qui est au coeur des politiques de
mon ministère, entre le patrimoine et la création, entre le répertoire et
l’innovation, en d’autres termes entre ce que nous recevons et ce qu’il
nous revient de léguer et de transmettre.

Je vous remercie.