Monsieur le Gouverneur général de la Banque de France, cherChristian NoyerMonsieur le Président du World Monuments Fund Europe, cher Bertranddu Vignaud,Mesdames et Messieurs,Chers amis,

« Les boiseries de la chancellerie d’Orléans » : c’est l’évocation d’ une
peinture souriante et claire, celle du tournant du XVIIIe siècle, c’est
l’illustration d’un âge d’or des arts décoratifs, où la recherche graphique le
dispute à l’élégance, le raffinement à la maîtrise du trait. C’est cette même
ambition et cette même exigence que je poursuis aujourd’hui dans la
politique que je conduis en faveur de la valorisation des métiers d’art.

En écoutant ces quelques mots, qui sonnent si bien et de façon si
élégante, l’intérêt du profane s’éveille tant il pressent que l’on va lui parler
d’un trésor. Ce qu’il ignore encore, c’est que, jusqu’à présent, ce trésor
sommeillait dans des caisses sagement conservées dans un dépôt de la
Banque de France à Asnières ! Je suis donc tenté de commencer mes
propos par cette formule si chère à nos mémoires, si elle n’était par trop
galvaudé : « il était une fois les boiseries de la chancellerie d’Orléans….. ».

Il était une fois, donc, un magnifique hôtel particulier édifié en 1707 par
l’architecte Germain Boffrand et décoré par Antoine Coypel, puis redessiné
en partie par Charles de Wailly, enrichi des sculptures d’Augustin Pajou et
des oeuvres de Jean-Honoré Fragonard, Pierre Gouthière et Louis-Jean-
François Lagrenée. Cet hôtel, de modeste dimension mais d’un goût et
d’un décor exquis, propriété de Philippe d’Orléans qui y loge sa maîtresse,
passera dans différentes mains avant de revenir en usufruit, puis en pleine
propriété, au chancelier des Orléans, le comte de Paulmy d’Argenson,
celui que l’on voit apparaître furtivement – au détour d’un banc oserais-je
dire, dans Le Neveu de Rameau de Diderot. C’est alors que cet hôtel
acquiert certains de ces plus beaux décors et aussi son nom, ou
appellation, de chancellerie d’Orléans.

Comme dans tous les contes, après une période faste et heureuse, l’hôtel,
situé au 19 rue des Bons Enfants, connaît une période moins glorieuse. Il
passe de mains en mains jusqu’à devenir la propriété de la Banque de
France. Cette dernière est alors à la recherche d’espace et, hélas, ce
précieux petit hôtel ne lui est pas d’une grande utilité. Bien que classé
monument historique depuis février 1914, son déclassement exceptionnel
permet de le démolir en 1923, mais à la condition pour la Banque de
France de veiller à ce que ces plus beaux décors soient sauvegardés et
qu’ils soient un jour prochain remontés. De cet hôtel et de certains de ces
décors, il nous reste aujourd’hui d’émouvantes photographies d’Eugène
Atget prisent en 1905 qui témoignent de la beauté et du charme teinté de
mélancolie de cet édifice.

Tel le château de la Belle au bois dormant les boiseries de la chancellerie
d’Orléans sont alors déposées dans quelques centaines de caisses et
conservées dans les dépôts de la banque de France à Asnières. D’où ils
ne sortiront plus.

Comme dans les vrais contes de fée, c’est alors que surgit un preux
chevalier pour réveiller la belle endormie : Bertrand du Vignaud, téméraire
président du World Monuments Fund Europe, commença à solliciter les
meilleurs chercheurs pour étudier comment restaurer et rendre enfin
accessible au grand public ces trésors, jusqu’alors ensevelis dans l’oubli.

Avec le concours et l’aide de la Banque de France Quinze ans de patience
et de travail sont alors nécessaires pour vaincre les réticences, dépasser
les craintes et les a priori et réaliser les recherches permettant d’assurer
que ces décors pouvaient être remontés dans un autre hôtel d’une facture
prestigieuse : l’hôtel de Rohan-Strasbourg aux Archives nationales.

En effet - hasard de l’histoire - ce bel hôtel qui abrita l’imprimerie nationale
– pour le plus grand malheur de ses décors d’origine qui furent détruits –
se trouve disposer d’espaces entre cours et jardins propres à recevoir,
après leur restauration, les décors de ce qui fut la chancellerie d’Orléans.

Ainsi, c’est la mobilisation du World Monuments Fund qui a permis à la
banque de France et à l’Etat de s’engager et de s’emparer à leur tour de
ce sujet qui depuis des décennies -quatre-vingt dix ans exactement -
préoccupaient les connaisseurs et les esthètes. Telle est bien le sens
profond de toute politique du patrimoine et cela depuis les origines, sous la
Révolution, à l’époque où Alexandre Lenoir ou Vivant Denon en
construisaient les prémisses : rendre à la vue du plus grand nombre les
chefs d’oeuvre qui étaient jusqu’alors dans des collections royales, passer
du cabinet de curiosités au musée !

Sans cette mobilisation exemplaire, il était à craindre que ces merveilleux
décors ne finissent par disparaître de la mémoire de tous et soient un jour
perdus à tout jamais, engloutis dans le Léthé, ce fleuve de l’oubli, contre
lequel mon Ministère, en gardien de la mémoire et de tous les patrimoines,
lutte depuis sa création. Il faut donc se réjouir aujourd’hui de voir enfin le
World monuments Fund récompensé et reconnu pour l’oeuvre et le rôle
essentiel qui est les siens depuis près de quinze années. Il est déjà
intervenu pour sauver et restaurer des pièces remarquables de notre
patrimoine national, à l’image du théâtre de la Reine à Trianon, du salon
de musique de l’Arsenal, du choeur de la cathédrale d’Albi, mais aussi de
la galerie des Carrache au palais Farnèse à Rome, siège de notre
ambassade.

Je suis également de la présence de la Banque de France, notre voisine,
dans la réalisation de cette restauration et dans cette « nouvelle
naissance » de décors qui appartiennent à la mythologie de l’histoire des
arts, notamment des arts décoratifs.

Je suis particulièrement heureux que ce projet prenne un tour concret
grâce au protocole tripartite que nous allons signer, qu’il permette de
mettre en valeur l’un des hôtels du quadrilatère de Rohan-Soubise, site
historique des Archives nationales pour lesquelles j’ai, comme vous le
savez, non seulement un grand attachement, mais un grand dessein.

Après l’ouverture et la restauration – toujours en cours – de ses jardins, et
alors même que s’achève la construction du futur centre de Pierrefitte-sur-
Seine, magnifique vaisseau amiral conçu par Massimiliano Fuksas, les
Archives nationales disposeront au coeur de Paris d’un ensemble d’hôtels
du XVIIe siècle sans équivalent. Ainsi, plus que jamais, l’histoire, ses
sources, les documents qui la nourrissent et la constituent en tant que
science du passé y trouveront un écrin digne de ce nom.

C’est l’amour du Beau et celui des grandes choses qui a guidé la
démarche du World monuments Fund ; c’est aussi cet amour et le désir de
donner à voir un patrimoine décoratif exceptionnel qui animent la banque
de France et le ministère de la culture et de la communication aujourd’hui.

Il s’agit notamment de restaurer le merveilleux plafond d’Antoine Coypel
qui nous parle du « Triomphe des Amours sur les Dieux » alors que nous
fêtons le 350e anniversaire de la naissance de ce peintre de l’histoire et de
ce décorateur à la fois brillant et fin lettré. Devenu Premier Peintre de
Monsieur, duc d’Orléans, sous la Régence, il eut à travailler au Palais
Royal, son grand ouvrage, la galerie d’Enée, ayant malheureusement
disparu, n’étaient les dessins conservés au Musée du Louvre et l’esquisse
peinte au musée d’Angers ! Après Enée parti en quête de ses origines,
après Coypel, admirable maître de la décoration et de l’équilibre entre ce
que l’on nommait alors le « petit » et le « grand goût », il nous revient,
aujourd’hui, de redonner son lustre, son prestige et surtout sa visibilité à ce
travail artistique exemplaire. On y sent poindre, derrière les courbes et les
volutes, la rigueur d’un trait et l’exigence d’une architecture, en d’autres
termes une expression de ce moment esthétique où le « pli » - celui dont
parle Deleuze - est porté à l’infini, où l’oeuvre devient si familière mais
aussi si étrangère à nous-mêmes, en d’autres termes unique ! Je vous
remercie.