C’est assez prodigieux lorsque l’on songe aux frontières que vous
traversez. Vous parlez dans une langue qui ne nous est pas du tout
étrangère, et pas seulement quand vous dites « My chérie amour » ! Car
vous avez ce don de conférer à la moindre inflexion du chant une vérité
humaine qui nous parle par-delà l’obstacle du langage. Bien sûr, l’anglais
n’est une langue rare, mais malgré tout, votre timbre, vos accents, votre
grain de voix si familiers parlent en quelque sorte une langue dans la
langue, une langue universelle qui est celle même de la musique.
Par la magie de la musique et de ce don que vous incarnez et que votre
voix porte à la perfection, vous êtes immédiatement de plain-pied avec
chacun d’entre nous. Et même lorsque nous vous admirons, nous gardons
pour vous une sorte d’amitié et de fraternité intuitive et immédiate, avec vos
grandes chansons qui nous reviennent dans toutes les circonstances de la
vie, au gré des associations d’idées, parfois même les plus surprenantes et
les plus révélatrices. Je crois que chacun d’entre nous s’est surpris au
moins une fois à fredonner « I Just Called because I Love You » après avoir
appelé quelqu’un dont il ne s’était même pas rendu compte qu’il lui était si
cher... Je suis sûr que ça arrive à des gens très bien, même à des
ministres, quand ils raccrochent leur téléphone après une conversation avec
un personnalité importante… ! Non, ce n’est pas une confidence !
Je ne vais évidemment pas retracer votre parcours, ni égrener votre
palmarès : chacun les connaît et les admire, et surtout ils se confondent
tellement avec nos propres vies, dont chacune de vos chansons a su
marquer les moments forts, les joies fugaces ou les passages plus difficiles,
auxquels elles ont su tellement souvent, par leur rythme et par leur style,
donner une forme pleine de sens.
Il était dans la logique des choses, au fond, que de cette musique fraternelle
vous fassiez aussi un engagement citoyen, éthique et politique, au sens le
plus noble du terme. Il était naturel que vous mettiez cet incroyable pouvoir
de créer de l’universel au service de la lutte humaniste contre toutes les
formes de discrimination, en faveur de l’harmonie et de la paix. Avec vous,
pour inverser une formule célèbre, j’ai envie de dire que « la paix n’est rien
d’autre que la continuation de la musique par d’autre moyens »…
Ce soir, vous allez recevoir justement une Victoire, mais une « Victoire de
la Musique », et donc de la paix, et cela pour l’ensemble de votre carrière.
J’en suis très heureux pour vous et pour tous les Français qui vous aiment
et qui ont pour vous cette sorte de reconnaissance que l’on éprouve pour
ceux qui ont su nous faire rêver. Ils viendront nombreux pour vous voir et
vous écouter, et j’aurai, moi aussi, ce plaisir d’être présent pour ce
moment qui promet beaucoup d’émotion…
Mais j’ai voulu profiter de votre passage parmi nous – je me suis dit que
vous ne seriez peut-être que « One Night in Paris » – pour vous rendre un
hommage à la fois personnel et, en tant que ministre de la Culture et de la
Communication, au nom de tous les Français qui vous aiment. En somme,
« I just called to say We Love You » !...
Cher Stevie WONDER, au nom de la République française, je vous
remets les insignes de Commandeur dans l’ordre des Arts et des Lettres.