Excellence, Madame l’Ambassadeur de Nouvelle-Zélande, chère Rosemary Banks,
Mesdames et Messieurs les représentants de la délégation maorie du Musée Te Papa Tongarewa de Wellington, Monsieur Derek Lardelli [aîné maori], Madame Michelle Hippolite [chef de la délégation maorie],
Madame la présidente de la Commission de la Culture, de l’Education et de la Communication du Sénat, chère Marie-Christine Blandin,
Madame la Sénatrice, chère Catherine Morin-Desailly,
Mesdames et messieurs les élus,
Monsieur le Directeur général des Patrimoines, cher Philipppe Bélaval,
Monsieur le Président du Musée du Quai Branly, cher Stéphane Martin,

Mesdames et Messieurs,

« Or, comme il achevait avec grand soin sa tâche pour la nuit (…), voici que le Récitant se prit à balbutier… Il s’arrêta, et redoublant son attention, recommença le récit d’épreuve. On y dénombrait des séries prodigieuses d’ancêtres d’où sortaient les chefs (…), divins par la race et par la stature. (…) Un silence pesa, avec une petite angoisse. (…) Que présageait l’oubli du nom ? »
Ces lignes ont été écrites par un médecin de la Marine française, il y a un peu plus de cent ans. Un des auteurs les plus inclassables de la littérature française, aussi. Victor Segalen, dans les Immémoriaux, nous parle d’un autre monde, à la fois proche et lointain de quelques milliers de kilomètres, celui des Maori de Tahiti, vos cousins.
Comme tant d’autres pakeha [Européens], Segalen, pendant son séjour dans le Pacifique sud, aura été frappé par un autre rapport à la mémoire, aux ancêtres, à la généalogie ; par la sacralité singulière d’un lien qui se chante. Un lien qui relève sans doute d’une grande universalité, présent dans toutes nos cultures, mais qui prend chez le peuple maori une forme exceptionnelle, comme nous le montre cette magnifique cérémonie.
Les visages anonymes que nous honorons aujourd’hui ont traversé une histoire complexe. Celle du fait colonial et de la prédation. Celle du sacré devenu objet de trafics. En 1824, des membres de l’expédition Dumont d’Urville constataient les manipulations, les détournements matériels et symboliques  dont ces restes humains faisaient l’objet, et que la Grande-Bretagne tentera d’interdire par la loi en 1831. Chez ces observateurs, il y avait déjà un dégoût commun pour une forme de déchéance mémorielle dont la responsabilité était collective, et la conscience de la nécessité de restaurer l’aura d’un pan de la mémoire de l’humanité. On ne monétise pas le mana.

En Nouvelle-Zélande, la réflexion commune que mènent les institutions et le peuple maori sur les phénomènes de perte des références, je le sais, est particulièrement avancée. Nous en avons eu l’écho, en Europe, avec notamment L’Âme des Guerriers d’Alan Duff, adapté au cinéma par Lee Tamahori, sur l’expérience de la perte de repères en milieu urbain, sur le retour au clan. Les valeurs de cette mise en débat, difficile et constitutive de la société néo-zélandaise contemporaine, nous les partageons avec vous. C’est je crois l’une des dimensions que nous pourrions développer d’avantage dans le cadre de notre coopération culturelle, au-delà des échanges de grande qualité dans les domaines de la littérature, du cinéma, du spectacle vivant – je pense par exemple à la présentation en novembre dernier, au Théâtre de la Ville, de « Tempest without a body » de Lémi Ponifasio.
Je souhaiterais rendre hommage ce matin au Parlement français et à son travail – et tout particulièrement à la Sénatrice Catherine Morin-Desailly, qui a été à l’origine d’une démarche législative originale, ainsi qu’à Philippe Richert et Colette Le Moal, qui présentèrent au Sénat et à l’Assemblée leur rapport.
Il est rare, en effet, qu’une loi suscite l’unanimité, comme c’est le cas pour celle du 18 mai 2010. Cette démarche, lancée en février 2008, a permis de résoudre les difficultés juridiques rencontrées dans le cas de la ville de Rouen, que Catherine Morin-Desailly, Sénatrice de Seine-Maritime, connaît bien, en prenant en compte le cas des têtes maories dans leur ensemble. Le texte de la loi avait été adopté à l’unanimité par les Sénateurs le 29 juin 2009, devant lesquels j’étais intervenu favorablement, au nom du gouvernement. En 2010, l’Assemblée est venue confirmer la position du Sénat et la tête maorie de Rouen a été restituée lors d’une cérémonie à l’Hôtel de Ville de Rouen en mai dernier.
Cette loi, je le rappelle, autorise la restitution des 20 têtes maories dont la présence a été identifiée dans les collections françaises. Elles sont remises à la Nouvelle-Zélande, au Musée Te Papa Tongarewa, auquel le gouvernement néo-zélandais a confié la responsabilité du programme de rapatriement des restes humains maoris. Elles ne seront plus désormais des objets de collections et seront entreposées dans un espace sacralisé. En prenant en compte la notion de dignité humaine, cette loi française vient, par son geste éthique, répondre à une forte attente du peuple maori ; elle traduit par les actes l’engagement commun à la France et la Nouvelle-Zélande pour le dialogue interculturel.
Je remercie nos partenaires néo-zélandais de leur disponibilité pour avoir maintenu un dialogue permanent pendant le travail du Parlement français et du Service des musées de France (Direction générale des Patrimoines). Il me revient à cet égard de souligner que mon ministère a proposé d’assurer le groupement des 20 têtes maories à Paris, grâce au travail de coordination de Claire Chastanier et au travail d’authentification de Michel Van Praet, alors membre de l’Inspection générale des musées. Ce dialogue a permis à chaque étape de déjouer les éventuelles difficultés juridiques et de garantir nos convergences de vue.

Mes remerciements vont également aux institutions qui se sont engagées dans toute la France pour garantir le succès de cette entreprise : les musées nationaux et territoriaux  - le Musée du Quai Branly, le Muséum national d’histoire naturelle, le Musée national de la Marine, le Muséum de Nantes, le Muséum de Lille, le Musée des Beaux-Arts de Dunkerque, le Musée des Confluences de Lyon, le Musée de Sens, le Musée des Arts africains, océaniens et amérindiens de Marseille ; ainsi que l’Université de Montpellier, dont je suis heureux qu’elle ait accepté de s’associer à une démarche qui concernait principalement les musées de France.
Parmi les établissements , je tiens à saluer tout particulièrement le Muséum national d’histoire naturelle,  qui détient l'une des plus importantes collections scientifiques d'anthropologie biologique du monde. Il s’agit là d’une responsabilité complexe, dont les enjeux éthiques et juridiques nécessitent une véritable expertise. La qualité du colloque scientifique qui s’est tenu à la fin de la semaine dernière avec les représentants du musée Te Papa, et la conférence destinée au grand public sur la démarche scientifique qui sous-tend l’ensemble de l’opération en témoignent.
L’engagement de tous ceux qui ont travaillé à cette démarche à la fois législative, diplomatique et scientifique a permis en effet d’apporter une contribution importante à l’histoire du peuplement maori et des migrations maritimes dans le Pacifique Sud, grâce notamment aux recherches menées sur les traces d’ADN des Toi Moko. Je suis heureux que les responsables de la recherche scientifique au sein du Muséum national d’histoire naturelle aient pu apporter, avec l’aide de leurs collègues néozélandais et le médecin légiste Philippe Charlier, à ces découvertes.
Je tiens par ailleurs à vous annoncer l’installation prochaine de la Commission scientifique nationale des collections, instaurée par la même loi du 18 mai 2010, chargée notamment d’encadrer les procédures de déclassements dont la complexité doit pouvoir s’appuyer sur l’expertise et le dialogue dans une enceinte qui leur est dédiée.
En quelques années, le Musée du Quai Branly s’est imposé comme une institution de référence pour le décentrement des regards. En plein Paris, il matérialise une sorte de « point de capiton » pour le rapport à autrui. Il est devenu une fenêtre essentielle, en France, sur les cultures extra-occidentales et un instrument remarquable au service du dialogue interculturel : ses succès exceptionnels de fréquentation en témoignent. Et la récente exposition « Exhibitions », que j’ai eu le plaisir, cher Stéphane Martin, d’inaugurer avec vous ainsi qu’avec Lilian Thuram, nous a rappelé l’importance du travail sur la mémoire et sur les questions de dignité qui est mené dans cet établissement public de mon ministère.
Les grands partages de nos histoires coloniales expliquent sans doute la dimension modeste du fonds néo-zélandais du Musée, qui comporte néanmoins des objets remarquables, comme les capes maories, ou encore les Tiki en jade venus du Musée national des Arts d’Afrique et d’Océanie. Mais au-delà de ce que l’histoire nous lègue, le Musée du Quai Branly a développé une coopération remarquable avec le Musée Te Papa Tongarewa de Wellington, notamment pour l’organisation de l’exposition « Maori – leurs trésors ont une âme », que nous venons de clore. Cette exposition a permis aux visiteurs de découvrir un panorama d’une culture très vivante, marquée par la volonté d’un peuple de maîtriser son devenir. Pendant trois mois, les contes, la danse, l’art du tatouage maoris se sont invités au Quai Branly.

L’aboutissement de cette aventure commune pour le rapatriement des Toi Moko en Nouvelle-Zélande nous donne l’occasion, Madame l’Ambassadeur, de renforcer les liens professionnels entre nos institutions, et d’envisager de développer des coopérations scientifiques et culturelles sur le long terme, à l’instar de la dynamique qui anime déjà le Musée du Quai Branly et le Musée Te Papa. En effet, nous ne sommes pas uniquement « liés par le jeu » - pour reprendre le beau titre de la photographie monumentale des All Blacks offerte au Musée du Quai Branly en 2006.
Aujourd’hui, la France est fière de rejoindre les 14 pays qui se sont d’ores et déjà engagés dans cette démarche de rapatriement initiée par le gouvernement néo-zélandais et le peuple maori. En vous remettant officiellement ces Toi Moko, nous tenons à honorer une mémoire, et une démarche de portée universelle qui vient lutter contre « l’oubli » dont parlait Segalen.
Je vous remercie.