"Rêvolutions", c’est le titre de la proposition artistique de Céleste Boursier-Mougenot qui représente la France à la 56e édition de la Biennale d’art contemporain de Venise. En tandem avec la commissaire Emma Lavigne, l’artiste compose une des partitions – aussi singulières que séduisantes – dont il a le secret. Le pavillon français a été inauguré le 7 mai par Fleur Pellerin. Portrait.

« Il m’a tout appris. Avant de le rencontrer, je n’avais pas ce rapport à l’écoute, cette découverte a apporté une autre dimension à mon travail, nous nous sommes rencontrés à vingt ans, nous sommes nourri l’un l’autre, ce que Céleste m’a donné, c’est cette capacité à essayer de rendre compte aux yeux des autres du flux incroyable de la vie qui coule devant nous. Aujourd’hui, il le fait à travers des installations sonores et visuelles tandis que je travaille sur une sorte de flux de conscience ininterrompu avec le langage, mais nous avons tous les deux la même passion du réel et de sa transformation en œuvres d’art. Tandis que Céleste plugge la sève des arbres et produit des images et du son, je plugge en quelque sorte mes acteurs, c’est exactement le même processus d’écoute du réel ». L’auteur du compliment – et quel compliment ! – n’est autre que Pascal Rambert, l’auteur et le metteur en scène de Clôture de l’amour, qui ajoute « avoir ressenti une immense émotion » en apprenant que Céleste Boursier-Mougenot allait représenter la France lors de la Biennale d’art de Venise.

« On apparente parfois le travail de Céleste à quelque chose de difficile, c’est une erreur, ses œuvres sont au contraire d’un abord très facile ! » (Pascal Rambert)

Musicien formé au Conservatoire de musique de Nice, Céleste Boursier-Mougenot a été en effet au début de sa carrière et pendant près de dix ans, le compositeur de Pascal Rambert. Parmi les nombreuses œuvres écrites pour le dramaturge, il évoque encore volontiers aujourd’hui la partition composée pour De mes propres mains et le souvenir que lui ont laissé les représentations sur le toit de la faculté de Dijon : aux notes se mélangeaient le paysage sonore environnant, les oiseaux, le bruit des voitures, des avions… L’attention qu’il porte à l’environnement sonore né du vivant est assurément une clé pour entrer dans l’œuvre de Céleste Boursier-Mougenot. Celle-ci est pour beaucoup dans sa décision de donner une forme autonome – plastique, donc – à sa musique en réalisant des installations artistiques à partir de 1995. La reconnaissance est arrivée dans la foulée et les expositions personnelles, à l’intérieur comme en dehors de l’Hexagone, n’ont cessé depuis de se succéder.

« Quand il est venu pour la première fois à la galerie pour présenter son travail, il travaillait déjà sur les pianos – le projet Index, un dispositif dont le programme informatique transforme en direct les données textuelles saisies sur clavier d’ordinateur en musique pour piano acoustique – c’était assez fascinant de l’écouter expliquer de quelle manière il avait réussi à donner une forme plastique à sa musique, nous comprenions que l’informatique était partie prenante dans cette entreprise même si certaines données techniques nous échappaient, mais peu importait, la beauté de l’œuvre, elle, était immédiatement évidente », se souvient Elodie Buisson, administratrice de la galerie Xippas qui représente Céleste Boursier-Mougenot depuis une dizaine d’années – c’est lors de l’exposition personnelle que le FRAC Champagne Ardenne lui a consacré en 2006 que Renos Xippas a eu le coup de foudre. Un avis entièrement partagé par Pascal Rambert : « On apparente parfois le travail de Céleste à quelque chose de difficile, c’est une erreur, ses œuvres sont au contraire d’un abord très facile, la pièce avec les oiseaux – From here to ear – dont j’ai vu la première version à Milan à ses côtés est un enchantement, elle émerveille un enfant de six ans autant qu’un adulte qui n’a pas fait d’études d’art, c’est la vie, mais il déplace le regard, il dit : regardez de ce côté-là, ça vit aussi ».

From here to ear est l’œuvre fétiche de Céleste Boursier-Mougenot. Alors qu’il l’a présentée pour la première fois en 1999, il ne cesse, année après année, d’en inventer et d’en proposer de nouvelles versions. On serait tenté de dire qu’elle contient l’ADN d’une œuvre qui ne cesse d’étendre la notion de partition et d’extraire le potentiel musical des situations ou des objets les plus divers. Des oiseaux sont réunis dans un endroit clos où ont été installées des guitares électriques reliées à des amplificateurs. Les oiseaux, allant de leurs perchoirs aux guitares produisent chaque jour de manière aléatoire des notes de musique. Le visiteur « invité à faire une promenade en territoire oiseau » attrape les sons au vol autant qu’il entre en rêverie et poésie. Aujourd’hui, pour la Biennale, l’artiste sollicite des arbres mobiles et poétiques, comme doués d’humanité, qui inventent une étrange chorégraphie dans les Giardini comme à l’intérieur du Pavillon français. Des arbres pluggés dont les bruissements électriques captés en direct modèlent l’environnement sonore du Pavillon. Après Venise, c’est à Paris que la magie de Céleste Boursier-Mougenot va prochainement opérer. Le Palais de Tokyo lui consacre en effet une exposition monographique – acquaalta – à partir du 24 juin. L’artiste imagine pour l’occasion un paysage lacustre, inspiré de l’inondation annuelle touchant la lagune vénitienne, qui entrainera le visiteur dans une expérience visuelle, textile et auditive inédite.

56e Biennale d’art de Venise : une édition engagée

All the World’s Futures, tous les futurs possibles : le thème de l’exposition principale de cette 56e édition de la Biennale d’art de Venise, qui ouvre au public le 9 avril, sonne comme un titre de manifeste politique. Et de fait : en ouverture, le commissaire américano-nigérian, Okwui Enwezor, a invité l’artiste Isaac Julien à venir lire l’intégralité des volumes du Capital de Karl Marx. On ne peut s’empêcher d’y voir une salutaire invitation à la réflexion sur les valeurs d’usage et d’échange à l’heure où le marché de l’art se signale régulièrement par des prix dépassant l’entendement. La place importante donnée aux créateurs d’origine africaine est un autre signe fort adressée par Okwui Enwezor : seize d’entre eux, parmi lesquels Barthélémy Toguo, Adel Abdessemed ou encore le collectif nigérian The Invisible Borders Trans-African Project, seront présents sur les 136 créateurs conviés par le commissaire. Enfin, un Lion d’or sera attribué au plasticien ghanéen El Anatsui pour l’ensemble de sa carrière.