Pour la première fois, une campagne nationale est dédiée à la création pour l'enfance et la jeunesse. Portée par le ministère de la Culture et de la Communication, « La Belle Saison avec l'enfance et la jeunesse » mobilise la profession et dévoile un secteur d'une vitalité insolente. Explications de Gwénola David, coordinatrice nationale (1/3).

Pourquoi une campagne au long cours – La Belle Saison dure dix-huit mois – en faveur de la création jeune public ?

La création pour l'enfance et la jeunesse connaît depuis une quinzaine d'années un remarquable élan créatif qui touche tant les écritures que les langages scéniques. Qu'il s'agisse de théâtre, musique, danse, conte, cirque, arts visuels ou marionnette, ces spectacles séduisent bien au-delà du cercle jeune public. Les spectacles pour l'enfance représentent, en nombre de représentations, l'un des rares secteurs artistiques où la demande n'est pas satisfaite. Il faut dire que ce public représente un tiers de la population ! Et pourtant, cette création pâtit d'un manque de reconnaissance au sein même du monde du spectacle, qui la voit encore au travers de clichés « rose bonbon ». Souvent diffusée dans de petites salles, moins bien dotée que le spectacle grand public, elle connaît des conditions de production fragiles. L'idée de La Belle Saison est née de cette situation paradoxale.

Quelle est la singularité de la création pour l'enfance et la jeunesse ?

Cette création aime à se nourrir au contact direct de l'enfance, en particulier lors de résidences en milieu scolaire ou d’ateliers. Le metteur en scène Olivier Letellier, par exemple, met en place des laboratoires où des auteurs, des jeunes et des artistes de plateau se côtoient pour inventer ensemble. Se développent ainsi des processus de création très inventifs, à la croisée des disciplines, qui impliquent parfois les enfants comme acteurs. Next Day, signé Philippe Quesne, le nouveau directeur du Théâtre Nanterre-Amandiers, en est un exemple, de même que les nombreux opéras participatifs, ou encore Rhizikon de la circassienne Chloé Moglia : une petite forme de trente minutes qui circule dans les collèges, avec débat à la sortie. Créer pour ce public très ouvert, vierge de tout préjugé, cela attire. On voit ainsi de plus en plus d'artistes venus du spectacle pour adultes plonger dans la création pour l'enfance, comme, depuis quelques années, la chorégraphe Nathalie Pernette qui va créer Ombres blanches, ou, tout récemment, Vincent Dupont avec Stéréoscopia. Les spectacles qui se définissent comme « Tout public à partir de cinq ans » fleurissent. Les œuvres pour l'enfance parlent à tous les âges parce qu’elles offrent plusieurs niveaux de lecture. Les classiques de la littérature jeunesse continuent d’inspirer les créateurs. Voyez les contes revus par Joël Pommerat, Olivier Py ou Jean-Michel Rabeux, ou encore Le Petit Prince, opéra du compositeur Michaël Levinas créé à l’Opéra de Lille. Bien sûr, les metteurs en scène puisent de plus en plus dans un répertoire théâtral contemporain maintenant très riche. Autre singularité évidente de cette création : la dimension de plaisir et de liberté. C'est jubilatoire pour un artiste de décacheter son propre imaginaire. En posant la question des limites et de la transgression, en donnant forme aux peurs que l'enfant ne sait pas nommer, le spectacle pour l'enfance aborde tous les sujets, sans tabou, loin de la visée moraliste qui l'a longtemps régi. C'est le cas de Mon frère, ma princesse, pièce de Catherine Zambon montée par Émilie Le Roux.

Le spectacle vivant aiderait à mieux grandir ?

Ce questionnement est au cœur de La Belle saison. La rencontre avec les œuvres fait partie intégrante des politiques d'éducation artistique et culturelle. Jean Vilar le savait déjà, qui organisait dès 1969 au Festival d'Avignon les premières journées pour les jeunes spectateurs. Et Jack Lang, qui créait en 1973 le premier Théâtre national des enfants au sein du Théâtre national de Chaillot... Aujourd'hui, les théâtres qui créent pour le jeune public sont des lieux où règne encore beaucoup de désir : Dominique Bérody, figure historique, continue son action au Théâtre de Sartrouville, tandis que Joris Mathieu, jeune directeur du Théâtre Nouvelle Génération de Lyon, commence la sienne... Avec moins d'argent que les autres, des gens bataillent tous les jours, dans les tous réseaux : scènes conventionnées pour l'enfance et la jeunesse, comme le Théâtre Dunois à Paris, services culturels municipaux comme Pessac en scènes, théâtres spécialisés comme le Théâtre Paris-Villette, compagnies aux noms pleins de fantaisie : Compagnies Hippolyte a mal au cœur, Les Mains de Camille, Les Anges au plafond... ; toutes petites structures, comme « Le Tout Petit Théâtre » pour les bébés spectateurs... L’évolution marquante de ces dernières années, qui doit encore être encouragée, est le décloisonnement de la création jeune public avec l’engagement croissant des scènes labellisées (centres dramatiques nationaux, centres chorégraphiques nationaux, scènes nationales, opéras, scènes de musiques actuelles, etc.).

Quelle stratégie déployez-vous ?

La Belle Saison répond à une demande de la profession et s’inscrit dans la continuité de travaux et de réflexions menés depuis plusieurs années. C'est une gigantesque aventure collective qui s'appuie sur la mobilisation de plus de cinq cents partenaires et le relai, à travers toute la France, des Directions régionales des affaires culturelles. La programmation compte plus de huit cents événements, dans des lieux répartis sur tout le territoire, dont beaucoup sont et seront créés spécialement pour l'occasion. L'ambition de La Belle saison va plus loin encore. Nous souhaitons en quelque sorte accompagner la reconnaissance et l’essor de ce secteur, un peu à l'instar de l'Année du Cirque en 1990 ou des Saisons de la Marionnette qui se sont tenues pendant trois ans, entre 2007 et 2010. Pour cela, nous organisons des commissions nationales thématiques et des plateformes territoriales où les professionnels de tous bords débattent de l'avenir du secteur. Appelée à ne durer qu'un an et demi, La Belle Saison laissera ainsi des traces durables jusque sur le plus petit territoire rural. Des festivals naissent, des coopératives de production se constituent, le Centre national du théâtre va créer un Grand prix de littérature dramatique enfance et jeunesse... A l'issue de cette opération, la création pour l'enfance et la jeunesse devrait être reconnue comme faisant pleinement partie des missions de tous les établissements culturels.

La Belle saison : les spectacles en décembre

- Capitaine Futur et le voyage extraordinaire : à la Gaîté Lyrique à Paris, jusqu'au 8 février. Une traversée poétique dans l'univers des réseaux avec des installations, objets, ateliers, performances, conférences scientifiques et concerts.

- Alon Zanfan : à La Réunion, du 23 au 27 janvier. Un festival qui mêle presque tous les arts.

- Le Préambule des étourdis : au Théâtre d'Arles les 8 et 9 janvier, puis à Evian-les-Bains les 13 et 14 janvier, puis à Nanterre du 20 au 27 janvier... Metteur en scène Estelle Savasta d'après La petite casserole d'Anatole d'Isabelle Carrier.

- Le Petit Z : au centre dramatique national de Haute-Normandie de Rouen, du 12 au 16 janvier, puis dans d'autres villes. Metteur en scène Bérangère Jannelle d'après les oeuvres de Gilles Deleuze.

- Demande à ceux qui dorment : au théâtre de Vanves depuis le 3 décembre. Texte et mise en scène de Yann Allégret.