Véritable laboratoire où s'invente la politique culturelle de demain, l'ambitieux projet Médicis Clichy-Montfermeil croise les problématiques de la jeune création, de la transmission et de la diversité. Le point avec Olivier Meneux, directeur du projet auprès de Fleur Pellerin, pour le dernier volet de notre enquête sur l'enseignement supérieur culture et la banlieue (3/3).
Mise en place d’une structure éphémère dès 2016, accompagnement du temps fort que constituera la démolition de la Tour Utrillo, projet artistique et éducatif entièrement articulé au territoire, laboratoire où s’invente la culture de demain… le calendrier s’accélère pour l’ambitieux projet Médicis Clichy-Montfermeil. «Ce projet se pense autant autour de la création et de la transmission que du rapport à la cité », assure Olivier Meneux.
Sous l’impulsion de Fleur Pellerin, le projet Médicis Clichy-Montfermeil est de nouveau sur les rails. Quelle est l’histoire de cet ambitieux chantier ?
Le principe de voir émerger à Clichy-Montfermeil, territoire d’enclavement et de relégation, un projet de cette envergure date d’il y a sept ou huit ans. Les villes de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil souhaitaient défendre un projet qui fasse en quelque sorte « contre-rumeur ». Après les émeutes de 2005, ce territoire s’est en effet trouvé doublement exclu puisqu’il est symboliquement devenu l’épicentre d’un mouvement inédit de révolte sociale, voire, selon certains commentateurs, d’une déchirure de la société française beaucoup plus profonde. Déjà éloigné de tout, Clichy-Montfermeil s’est retrouvé dès lors complètement ostracisé. A partir d’un projet porté par le journaliste Jérôme Bouvier, et Claude Dilain alors maire de Clichy-sous-Bois, le ministre de la Culture de l’époque, Frédéric Mitterrand, a témoigné le premier d’une volonté ministérielle d’un grand projet culturel pour le territoire en faisant racheter la Tour Utrillo par l’État. L’initiative était intéressante, mais elle n’a pas prospéré. Quand Fleur Pellerin a pris la tête de ce ministère, forte de son ambition en faveur de la jeunesse et des émergences artistiques, le projet Médicis Clichy-Montfermeil lui est apparu emblématique de la politique qu’elle souhaitait porter, emblématique aussi comme laboratoire de son action.
« Avec le projet Médicis Clichy-Montfermeil, c’est la question de la culture de demain qui est posée »
Qu’entendez-vous par « laboratoire de son action » ?
Ce projet aujourd’hui est au croisement d’ambitions aussi fortes que celles portées dans le cadre des Assises de la jeune création, de la Stratégie nationale pour l’architecture, de la politique culturelle de mobilité pour l’ensemble du grand Paris, d’une offre revisitée de culture pour tous et de l’impérieuse nécessité d’une éducation artistique et culturelle dès le plus jeune âge... Sur pratiquement tous les curseurs du projet Médicis Clichy-Montfermeil, on retrouve des ambitions fortes du ministère, ministère qui vit aujourd’hui un tournant de son histoire. La révolution des usages et des pratiques du côté des publics autant que des artistes et du monde intellectuel, plaide en faveur de nouvelles modalités d’intervention. C’est la question de la culture de demain qui est posée. Ce projet va réellement émerger dans une dizaine d’années. Penser en 2015 un projet qui adviendra progressivement dès 2016 mais qui trouvera sa réalisation pleine et entière vers 2023 pose d’emblée de manière forte la question du temps long. Aujourd’hui la gageure que me propose la ministre quand elle me confie cette mission, c’est de penser sans modèles prédéfinis et préétablis tout en prenant en compte une expertise culturelle que le monde entier nous reconnaît.
Vos interlocuteurs – préfectures, villes, Société du Grand Paris… – sont multiples, les préoccupations que vous devez intégrer également. Comment la culture peut-elle rester la clé de voûte du projet ?
Dans le montage de ce projet, la culture est en réalité partout. Prenons un exemple. Ce territoire est aujourd’hui inaccessible aux franciliens : alors que l’on se trouve à douze kilomètres de Paris à vol d’oiseau, il faut une heure et demie, voire deux heures, pour rejoindre le centre de Paris en transport en commun. Il s’agit déjà d’une question culturelle au sens large, au sens anthropologique : est-ce que l’on est dans un territoire qui s’articule avec Paris ou dans un territoire qui est « en dehors », à « l’extérieur » ? Il y a une vraie fierté de l’ensemble des protagonistes du projet à considérer que ce qui va « faire territoire » dans les dix ans à venir, c’est à la fois l’arrivée d’une gare majeure du réseau du Grand Paris et un projet artistique et culturel de référence. Avec la mise en œuvre du Grand Paris Express, on aura un métro automatique qui, à quelques encablures du périphérique, va faire le tour de l’Ile-de-France. Les frontières franciliennes s’étendront en reliant près de dix à douze millions de personnes. C’est une révolution des mobilités et un projet de plus grande justice territoriale qui va transformer la vie des citoyens en profondeur. En adossant une gare du Grand Paris à un projet culturel de portée nationale, au cœur d’une banlieue de la République jusqu’à maintenant isolée,il s'agit d’offrir le meilleur à ce territoire, à la fois le transport physique, urgence vitale, gage d’une mobilité retrouvée mais aussi le meilleur de la culture, un transport poétique en quelque sorte. En fondant une véritable porte au plan architectural, culturel et urbain, l’articulation de ces deux ambitions placera Clichy-Montfermeil au cœur de la construction métropolitaine.
Comment faut-il entendre le mot « Médicis » dans ce projet ?
Le cahier des charges prévoit de monter un projet territorial d’envergure nationale et internationale autour de la création artistique au cœur d’un territoire. Dès l’origine, une autre ambition s’est greffée : pourquoi les cités, la banlieue, en particulier Clichy-Montfermeil n’auraient-ils pas droit au meilleur ? Le terme Médicis renvoie à un état d’esprit, un marqueur de l’intervention publique française en faveur de la culture – l’humanisme, la recherche – qui accompagne le soutien que nous devons aux artistes pour qu’ils creusent le sillon des projets de demain. C’est l’esprit qu’il faut retenir davantage que la modalité. Il y a la Villa Médicis à Rome, il y aura un établissement d’un genre nouveau à Clichy – ils collaboreront naturellement. Le modèle de la Villa Médicis à Rome – un lieu en surplomb de la ville dans un site magnifique, un lieu de retraite pour la pensée et la création – est parfaitement pertinent, mais celui du projet Médicis Clichy-Montfermeil sera différent : il se pense autant autour de la création – de la mise en commun d’artistes et de chercheurs de disciplines différentes, de la transmission – que du rapport à la cité.
« Pourquoi les cités, la banlieue, en particulier Clichy-Montfermeil, n’auraient-ils pas droit au meilleur ? »
Selon vos prévisions, le lieu devrait ouvrir ses portes en... 2023. D’ici là, qu’avez-vous prévu ?
La première question de la rencontre au public est celle du temps long. Il a été décidé de déployer physiquement un avant-projet, une sorte de « projet Médicis avant les murs » et de bâtir, dès l’année prochaine, une structure éphémère. Si nous nous donnons du temps quant à la définition finale du projet scientifique et culturel, on peut estimer que, d’ici deux ans, l’ensemble des hypothèses envisagées aura trouvé sa traduction opérationnelle. À l’instar de ce qui existe pour l’emploi ou la sécurité, on est quasiment en train de définir une « zone de priorité culturelle ». Il est difficile de faire des projections dès maintenant mais, en plus des artistes, il est également prévu d’accueillir en résidence des chercheurs, toutes disciplines confondues. Demander, par exemple, à un danseur contemporain, un généticien, un plasticien, un artiste web mais aussi à un mathématicien ou un philosophe, quel monde ils imaginent pour demain.
La dimension « recherche » est également prépondérante...
Ce projet ne pourrait être qu’un lieu de recherche sur lui-même à partir d’un territoire – ce serait déjà une magnifique ambition – mais si l’on considère que la rencontre et la transmission au public sont tout aussi importants, il y a une obligation faite aux chercheurs et à l’ensemble des protagonistes d’aller au-devant du territoire. A Clichy-Montfermeil, 80 nationalités, cultures cohabitent en permanence, c’est un territoire-monde, l’Île-de-France concentrée dans un territoire de 50 000 habitants, notre République dans sa diversité, or nous décidons d’y adjoindre des équipes artistiques et de médiation et de faire en sorte que l’ensemble de ces protagonistes se croisent. C’est là un projet qui témoigne d’une ambition autant que d’une utopie politique.
Dans le déroulement du projet, il est prévu que la Tour Utrillo soit démolie...
Il faut avoir en tête que les dix ans à venir sont dix ans de chantier : on va creuser un trou de 30 mètres de profondeur pour amener des tunneliers, 70 gares vont être créées… nous allons travailler sur cette période de renouveau d’un territoire en interrogeant les habitants. S’agissant de la Tour, il est préconisé de la démolir car elle n’est pas propice au projet tel qu’on le définit aujourd’hui. Les habitants l’appellent la tour noire parce qu’elle n’est jamais éclairée, c’est une sorte de verrue en termes d’identifiant local, un des derniers stigmates du territoire d’avant. Cette opération de démolition/reconstruction, il faut la considérer comme un moment de culture. Ce territoire se réinvente. Les équipes de rénovation urbaine avec lesquelles je travaille passent leur temps à dialoguer finement avec les habitants. Convier des artistes à ce moment de la mise en récit d’un territoire par lui-même et de sa transformation profonde constitue une aventure passionnante, il faut gager que cette présence constituera un catalyseur et participera de la mise en mouvement de la Cité aux côtés de l’ensemble des acteurs qui contribuent à la vie de ce territoire.
Quelle offre précisément ce nouvel équipement proposera-t-il ?
Dans le volet création, on trouve naturellement des résidences artistiques ; elles évolueront dans la forme mais nous partons sur un modèle d’une trentaine de résidences de recherche artistique associées par an. Premier principe, celui de la curation: l’artiste travaille seul à un projet personnel mais la promotion à laquelle il appartient définit chaque année un cadre de recherches communes. Une partie des artistes accueillis sera issue des émergences, des scènes artistiques ainsi que des grandes écoles d’art. Mais le mode de sélection devra aussi être complètement objectivé avec des jurys transparents. Par ailleurs – deuxième principe – nous souhaitons mettre en place un « foyer » Médicis, constitué de cinq à six élèves post-diplôme, à côté de la promotion des artistes associés. Troisième modalité : les résidences d’entreprises. Si l’on accueille trois ou quatre entreprises émergentes qui se posent les mêmes questions que les artistes autour de la transmission et de la diffusion, cela peut créer des chambres d’écho. Enfin, je souhaite mettre en place des résidences de recherches ciblées avec un appel à projet chaque année autour de quatre ou cinq thèmes de recherche.
« Avec la création d’un Campus Médicis, la dimension éducative est l’un des cœurs du projet Médicis Clichy-Montfermeil »
Le projet Médicis Clichy-Montfermeil ne comprend-il pas également une dimension éducative ?
C’est même l’un des cœurs du projet avec la création d’un Campus Médicis qui veillera à la généralisation de l’éducation artistique dans l’ensemble des établissements scolaires comme au déploiement d’actions dédiées à la transmission et l’enseignement. Les classes préparatoires aux écoles d’art sont très peu nombreuses en Île-de-France. S’agissant des modalités du concours, elles devront intégrer le principe d’une classe préparatoire qui soit ouverte à l’ensemble du territoire. Ces classes préparatoires comprendront également une disposition originale : les artistes associés auront à accompagner nos étudiants dans la classe préparatoire, ce qui nous obligera à travailler sur le lien entre ces deux mondes. Les accords qui seront passés avec les grandes écoles d’art seront de ce point de vue déterminants. Dernier aspect, l’équipement de Médicis Clichy-Montfermeil sera aussi un lieu de relation forte et de partenariat avec les grands établissements publics franciliens, il ne faut pas oublier pas que l’on se trouve en Ile-de-France, soit un territoire de près de 12 millions d’habitants. On pourra ainsi monter des saisons culturelles Médicis en lien avec les grands établissements publics. Le projet Clichy Montfermeil sera une institution de premier plan qui inventera son modèle en dialogue avec ses partenaires. Dans les esquisses aujourd’hui, nous sommes à 9000 m2 de bâtiment, une trentaine d’artistes associés, un lieu d’exposition et une salle de diffusion de 450 places, ce n’est donc pas un très grand équipement culturel. C’est davantage la connexion avec le territoire qui en assurera le rayonnement.
Fleur Pellerin : "Un emblème de mon offensive en faveur de la jeune création et de la diversité"
Le 23 juillet, lors d’une réunion rassemblant les différents partenaires, le projet Médicis Clichy-Montfermeil est entré dans une nouvelle phase de son développement : après la phase stratégique, on est passé à un « processus actif de réalisation », selon Fleur Pellerin. La ministre a ainsi annoncé la « création dans les prochains mois d'une structure de préfiguration in situ, sous la forme d'un établissement public de coopération culturelle », qui sera placée sous l’égide d'Olivier Meneux. Cette structure de préfiguration « mettra en place un "Médicis avant les murs", en lieu et place de l’actuelle Tour Utrillo. Ce lieu éphémère fera vivre le projet avant l’achèvement du bâtiment ». Avant le lancement officiel du projet, il s'agit pour Fleur Pellerin d'engager « un premier projet culturel pour ancrer l'ambition de ce projet Médicis dans la réalité du territoire ».