Dans une étude qui vient d’être publiée, le département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la Culture et de la Communication se penche sur les raisons de la lente féminisation des professions culturelles. Extraits.
Une féminisation massive, mais plus lente, des professions culturelles
Depuis les années 1960, la croissance du taux d’activité féminine constitue l’une des transformations majeures du monde du travail. Cette progression ininterrompue et de grande ampleur conduit aujourd’hui, pour la première fois, à une répartition quasiment paritaire des actifs (48 % de femmes actives en emploi en 2013 contre 37 % seulement en 1975).
Les professions culturelles ne sont pas restées à l’écart de cette tendance de fond (...) : la part des femmes y progresse de façon régulière et dans une proportion tout à fait comparable à celle observée dans l’ensemble de la population active. Pourtant, cette part demeure, comme il y a vingt ans, inférieure à la moyenne nationale : 39 % seulement de femmes dans les métiers culturels en 1991 et 43 % en 2013, contre respectivement 43 % et 48 % dans l’ensemble de la population active.
La sphère des activités rémunérées serait-elle l’exception qui confirme la règle d’un univers massivement investi par les femmes ?
Le paradoxe de la féminisation des métiers culturels
[Ce constat] prend même l’allure d’un paradoxe lorsqu’on le rapproche d’autres observations attestant, exactement à l’inverse, d’une implication privilégiée des femmes dans le champ artistique et culturel. Toutes les enquêtes sur la fréquentation des équipements culturels, sur les pratiques artistiques et culturelles en amateur font en effet le constat (...) d’une surreprésentation féminine qui tend à s’amplifier notablement et continûment sur période longue, en France comme ailleurs. Il en va de même lorsqu’on observe la composition des populations étudiantes qui fréquentent les très nombreuses formations artistiques et culturelles à visée professionnelle : déjà majoritaire au début des années 1990, la part des femmes y est, depuis cette date, en développement continu.
La sphère des activités rémunérées serait-elle l’exception qui confirme la règle d’un univers massivement investi par les femmes ?
D’une répartition sexuée à une répartition équilibrée
En vingt ans, la physionomie du champ professionnel constitué par les métiers artistiques et culturels sous l’angle de la répartition par sexe s’est profondément modifiée.
En 1991, dans un paysage d’ensemble au sein duquel les femmes ne représentaient qu’un gros tiers des effectifs totaux, l’observation de premier abord était celle de métiers très fortement sexués : sept groupes de professions sur treize apparaissaient comme nettement masculins et comptaient au moins deux tiers d’hommes, et deux sur treize se révélaient, à l’inverse, largement féminins (au moins deux tiers de femmes). Seuls deux groupes de métiers présentaient, au début des années 1990, une répartition de leurs actifs assez proche de la parité : les professionnels des arts graphiques, de la mode et de la décoration (graphistes, stylistes, designers…) d’une part, les auteurs littéraires, d’autre part.
En 2013, le changement mesuré est important : cinq groupes de professions culturelles sur treize présentent désormais une répartition sexuée sensiblement équilibrée de leurs actifs, parmi lesquels le métier d’artiste plasticien, très fortement masculin en 1991 (67 % d’hommes) et celui de professeur d’art, très féminin au contraire (65 % de femmes). Plus généralement, tous les métiers fortement masculins vingt ans plus tôt se sont ouverts aux femmes – et certains d’entre eux, de façon spectaculaire : c’est le cas tout particulièrement des métiers d’art et du métier d’architecte au sein desquels la part des femmes a plus que doublé en vingt ans.
Temps partiel, horaires décalés : comment les femmes ont adopté les caractéristiques de l’emploi culturel
En accédant plus largement que par le passé à l’exercice des différents métiers artistiques et culturels, les femmes y occupent-elles des emplois présentant [l]es mêmes caractéristiques générales [que celles des emplois occupés par leurs homologues masculins]? (…)
Les femmes salariées qui exercent une profession culturelle sont deux fois plus nombreuses que les femmes salariées en général à travailler dans le cadre de contrats courts (en 2013, par exemple : 29 % contre 15 %), mais leurs homologues masculins également (en 2013, 32 % des hommes salariés dans le champ culturel travaillent sous contrat à durée limitée contre 13% des hommes salariés en moyenne). (...)
Les femmes des professions culturelles sont plus concernées que la moyenne des femmes actives par les horaires variables d’une semaine sur l’autre (40 % contre 24 % parmi l’ensemble des actives) ou par le travail en soirée (respectivement 21 % et 15 %). Mais elles le sont cependant toujours moins que les hommes exerçant les mêmes métiers : un homme sur deux exerçant une profession culturelle est soumis à des horaires variables. Il est très rare en revanche qu’elles travaillent habituellement de nuit (3 % contre 10 % des hommes), plus rare même que dans l’ensemble de la population active féminine où le travail nocturne est courant dans certains métiers fortement féminins (comme ceux de la santé, par exemple).
Freins visibles, freins invisibles
[Outre les freins « visibles », comme « le contenu technique des tâches, la pénibilité physique, la plasticité des horaires de travail et leur irrégularité »], il faut [également] à l’évidence invoquer d’autres freins, plus invisibles. On pense ici aux modalités d’accès à ces métiers (formation professionnelle, processus de recrutement) dont les recherches récentes sur la féminisation ont révélé toute l’importance. Celles-ci ont mis en évidence le lien entre la féminisation de certains métiers traditionnellement masculins et l’introduction d’un plus grand formalisme dans leur accès : création de formations qualifiantes et de diplômes spécialisés, énoncé de règles formelles régissant l’accès à ces formations professionnelles, définition des modalités de recrutement.
L’accès à certains métiers techniques du spectacle, au contraire, reste peu formalisé (c’est-à-dire non strictement subordonné au suivi d’une formation et à la détention d’un diplôme spécifique) et surtout, les modalités de recrutement font une large place à la cooptation par les pairs, au sein de réseaux professionnels essentiellement (voire exclusivement) masculins. La surreprésentation masculine au sein des instances de régulation professionnelle (syndicats, coordinations, groupements) et, sans doute, l’anticipation d’une plus grande difficulté à s’insérer durablement dans ces métiers et à y progresser contribuent vraisemblablement à décourager les vocations féminines à l’exercice de ces professions.
Vers une féminisation accrue des professions culturelles ?
Corrélée à la variable du niveau de diplôme, celle de l’origine sociale confirme et renforce le constat d’une sursocialisation des femmes dans les professions culturelles. Dans ce champ en effet, l’origine sociale des actifs des deux sexes fait nettement apparaître une surreprésentation des enfants de cadres : deux fois et demie plus que dans l’ensemble de la population active en 1991, deux fois plus en 2013. Mais les femmes, ici encore, se distinguent de leurs homologues masculins par une origine sociale plus favorisée (+ 7 points en 1991, + 2 points en 2013).
Cette observation générale ne concerne cependant pas toutes les professions culturelles au même titre. Elle se vérifie tout spécialement dans les métiers très masculins en début de période, qui se sont féminisés par la suite : le métier de photographe par exemple, encore peu féminisé au début des années 1990, où la part de femmes ayant un père cadre excède désormais de 20 points celle des hommes de la même origine familiale. Les métiers d’art en sont un autre exemple puisque la part d’actives ayant un père cadre excède de 12 points en 2013 celle de leurs homologues masculins.
Origine sociale et niveau de diplôme plus élevés – cumul des ressources scolaires et familiales – apparaissent donc pour les femmes, dans le champ des professions culturelles comme dans d’autres, comme des atouts essentiels pour investir les professions traditionnellement les plus masculines.
[NB : les intertitres sont de la rédaction]
Source : La lente féminisation des professions culturelles, par Marie Gouyon, Frédérique Patureau et Gwendoline Volat, chargées d'études au département des études, de la prospective et des statistiques, collection Culture Études, ministère de la Culture et de la Communication, novembre 2016