Un manuscrit rare apportant un éclairage inédit sur la France de la Renaissance (le Registre des comptes des travaux du château d'Amboise) et un fonds d’archives retraçant le parcours d’un musicien de génie (les archives d’Olivier Messiaen) participent à l’enrichissement des collections nationales. Le point sur ces acquisitions d’exception.

Registre du château d’Amboise : « Des registres aussi complets sont rares »

En classant « Trésor national », en juin 2015, le Registre des comptes des travaux du château d'Amboise pour la période 1495-1496, Fleur Pellerin a empêché la mise en enchères et – sans doute aussi – la sortie du territoire national d'un témoignage unique sur l'un des premiers grands chantiers de la Renaissance française. Dépêché chez Sotheby's à fins d'expertise, Jean-François Moufflet, conservateur du patrimoine aux Archives nationales, département du Moyen Âge et de l'Ancien Régime, a aussitôt mesuré l'intérêt exceptionnel de ce manuscrit : un épais registre de près de 300 feuillets de parchemin conservé dans sa reliure en basane sur ais de bois. « Le jeune roi Charles VIII, qui avait commandé de somptueux travaux d'agrandissement de son château natal, a confié à son trésorier la supervision des travaux. Celui-ci a désigné un comptable commis au paiement des dépenses, Alexandre Blandin, pour tenir un registre des comptes aussi détaillé que possible. Des registres aussi complets sont rares. Celui-ci est d'ailleurs le seul rescapé d’une série de six. Les autres ont disparu à Amboise, et les exemplaires conservés à la Chambre des Comptes de Paris ont vraisemblablement brûlé dans l'incendie de ses archives, en 1737 ». Ces exercices comptables se lisent comme un roman d'aventures. Les 700 ouvriers du chantier sont désignés par leurs noms et corps de métier : maçons tailleurs de pierres, charpentiers, couvreurs, plombiers, serruriers, etc. Les artisans-femmes gagnent autant que leurs homologues masculins. Une couveuse artificielle de poulets – la première ! – tourne à plein régime. L'augmentation, à certaines dates, des commandes de bois et de chandelles, laisse entendre que le roi va venir visiter le chantier et qu'on y travaille de pied ferme la nuit...

« Témoignage unique sur l'un des premiers grands chantiers de la Renaissance française, ces exercices comptables se lisent comme un roman d'aventures »

Devant un tel « monument » – le terme a également le sens de « source » ou de « témoignage » – la décision s'imposait aux yeux du Service interministériel des Archives de France, responsable de la politique des archives en France : il fallait classer le manuscrit Trésor national, quitte ensuite à ce qu’il soit revendiqué par les Archives nationales et rejoigne les « Grands Dépôts » de leur site parisien, un bâtiment qui abrite les archives les plus prestigieuses de l'Ancien Régime. « La place de ce manuscrit est dans la partie considérée dans l’esprit des concepteurs des Dépôts comme la plus "noble", avec d'autres pièces prestigieuses de l'histoire nationale. Il sera ainsi réuni à un Compte de l’ameublement du château royal d'Amboise datant des années 1493-1496, afin de reconstituer l'agencement et la décoration de ce château à son âge d'or ». Comment réunir les 100 000 euros qui permettront d'acquérir et de restaurer ce document ? Là aussi, la réponse s'imposait : faire appel au mécénat. Pour l'acquisition du manuscrit, 90 000 euros sont d'ores et déjà réunis grâce au mécénat d'entreprise. Pour la restauration, la moitié des 10 000 euros est déjà réunie à ce jour depuis le lancement de la souscription publique, le 15 janvier, par le Service interministériel des Archives de France et la Société des Amis des Archives de France, sous l'égide de la Fondation du patrimoine. Grande pionnière du « mécénat participatif », la Fondation du patrimoine aide depuis vingt ans les porteurs de projets à financer la sauvegarde et la valorisation de leur patrimoine : églises ou retables, aussi bien que lavoirs ou jardins... Sauver un « monument écrit » est donc une première pour elle. En quelque sorte, elle prend le relais du chanoine qui, à la Révolution, extirpa le Registre des archives du chapitre de Saint-Florentin d’Amboise. Génération après génération, la famille du chanoine l'a conservé, puis l'a donné au Comte de Paris en 1953. Toute une histoire !

Fonds Olivier Messiaen : « Approcher au plus près l'atelier du créateur »

Léguer l'ensemble de leurs archives était un souhait du compositeur Olivier Messiaen (1908-1992) et de son épouse, la pianiste Yvonne Loriod (1924-2010). De son vivant, celle-ci avait créé la Fondation Messiaen, placée sous égide de la Fondation de France, pour promouvoir l’œuvrede ce musicien absolu, à la fois pianiste, formateur, théoricien et compositeur. C’est aujourd’hui la Bibliothèque nationale de France (BnF)qui est la dépositaire de ce fonds prestigieux. Pour une musicologue comme Marie-Gabrielle Soret, conservateur au département de la musique de la BnF, il s'agit d'une chance exceptionnelle. « Les archives de quelque soixante années d'activité ont été soigneusement classées et annotées par Yvonne Loriod depuis la disparition du maître. Leur mise à disposition va permettre aux chercheurs, musicologues et interprètes d'approcher au plus près l'atelier du créateur. Il existe, par exemple, un enregistrement « maison », totalement inédit, de son opéra Saint-François d'Assise : Messiaen y chante tous les rôles et est accompagné par son épouse au piano.»

« Celui qui avait ajouté sur sa carte de visite « ornithologue et rythmicien » savait reconnaître à l'oreille quelque cent chants d'oiseaux. Il en a rempli deux cents carnets ! »

Plus de cent cinquante mètres linéaires de documents de toute nature sont actuellement en cours de traitement. Ils témoignent des sources d'inspiration du compositeur. De simples pierres disent sa passion pour le monde minéral. Des cartes postales d'églises romanes, de sa passion pour les vitraux et la religion. Les oiseaux occupent une place de choix dans l’œuvre de ce grand défricheur et assimilateur de sonorités nouvelles. Celui qui avait ajouté sur sa carte de visite « ornithologue et rythmicien » savait reconnaître à l'oreille quelque cent chants d'oiseaux. Il en a rempli deux cents carnets ! Ses compositions ont pour titres Le Merle noir, La Fauvette des jardins, Un vitrail et des oiseaux… Mais ce sont surtout les manuscrits musicaux autographes de ses grandes œuvres (près de 6000 pages de musique) qui constituent la partie la plus précieuse de ces archives. Marie-Gabrielle Soret souligne aussi l'aura de pédagogue de Messiaen. « Sa classe de composition, au Conservatoire, était très courue. Pierre Boulez ou Xenakis y ont trouvé leur voix propre, grâce à cette faculté qu'il avait de mettre en valeur l’originalité de chacun ». Ce fonds sera réparti entre le département de la musique, sur le site Louvois, et le département audiovisuel, sur le site de Tolbiac, qui accueillera les enregistrements sonores. « Certains documents précieux comme, par exemple, les agendas de Messiaen, nécessitent des nettoyages minutieux qui sont en cours. Leur catalogage se fera progressivement, à partir de février ». Au premier trimestre 2017, à l'occasion de l'anniversaire des vingt-cinq ans de la disparition du musicien, une exposition dans la Galerie des donateurs marquera l'entrée à la BnF de ce fonds remarquable.

Deux chefs d’œuvre de Rembrandt acquis conjointement par la France et les Pays-Bas

C’est un accord totalement inédit, que viennent de signer, le 1er février, la France et les Pays-Bas. Ces deux pays ont en effet décidé d’acquérir en commun deux chefs d’œuvre de Rembrandt, après que la famille Rothschild, qui en était propriétaire depuis plusieurs générations, eut décidé de s’en séparer. Ce mode d’acquisition, qualifié d’ « historique » par Fleur Pellerin et son homologue néérlandaise, Jet Bussemaker, présente plusieurs avantages. D‘abord, il permet de conserver les deux portraits des époux Soolmans peints par Rembrandt en 1634 au sein de deux des plus grandes collections publiques au monde. Ensuite, cela permet de ne jamais séparer les deux tableaux, l’accord consacrant leur caractère « inséparable et inaliénable ». Par ailleurs, l’accord précise leur mode de présentation au public : ils seront « conjointement et alternativement » exposés au musée du Louvre, à Paris, et au Rijksmuseum, à Amsterdam. Enfin, cette coopération entre la France et les Pays-Bas est un signe très fort – et très concret – de l’engagement de ces deux pays en faveur d’une véritable Europe de la culture. « Chaque visiteur, à Paris ou à Amsterdam, pourra désormais contempler ces deux œuvres, longtemps tenues au secret des collections privées. C’est bien ce que nous souhaitions rendre possible, car c’est la vocation même des musées de nos pays respectifs », a souligné Fleur Pellerin.