Quand un document important pour la connaissance d’À la recherche du temps perdu devient, sous forme d’un fac-similé numérique réalisé par la Bibliothèque nationale de France, un petit bijou accessible à tous. Une première édition électronique intégrale d’un manuscrit de Proust.

« Il tient dans la paume d’une main » : Guillaume Fau, conservateur en chef au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France (BnF) avait joint le geste à la parole lors d’une présentation de l’agenda en février 2015 à l’Institut national du patrimoine. Et le public, ravi, de retenir son souffle en découvrant l’écriture manuscrite de Proust projetée sur l’écran. L’amphithéâtre faisait salle comble, preuve s’il en était besoin que l’actualité proustienne est scrutée à la loupe et diffusée à la vitesse de l’éclair auprès de ses admirateurs et connaisseurs. Antoine Compagnon, éminent spécialiste de l’œuvre de Proust, avait d’ailleurs pris place dans les premiers rangs.

Des filatures aux côtés de l’auteur d’À la recherche du temps perdu comme si on y était !

Cet objet de dimension modeste acquis en 2013 par la BnF grâce à un important apport de mécénat, chacun peut le feuilleter grâce à la version numérique désormais disponible sur le site des éditions de la BnF. Et quelle version ! Fac-similé numérique – où l’on découvre que l’agenda couvrant l’année 1906 a été acheté dans la boutique d’orfèvrerie anglaise, Kirby, Beard & Co, située rue Auber – notes manuscrites de Proust en transcription dite diplomatique, puis linéarisée, appareil critique, illustrations… rien ne manque ! Bonheur d’autant plus inestimable que cet agenda est « un petit objet en forme de lucarne ouverte vers la cathédrale proustienne », selon Nathalie Mauriac, directrice de recherche à l’institut des textes et manuscrits modernes (ITEM-CNRS) de l’Université de Grenoble, qui a réalisé cette édition en collaboration avec le BnF. Proust l’a en effet utilisé, entre 1909 et 1913, en vue de la composition d’À la Recherche du temps perdu.

Ainsi, à la mention d’un « tuteur de rosier » à la date du 1er janvier, on songe à la grand-mère du narrateur retirant les tuteurs des rosiers dans Du côté de chez Swann. De nombreuses notes consignées à cet endroit de l’agenda sont, du reste, assez faciles à élucider selon les auteurs de la version numérique, car elles reprennent l’ordre chronologique de Combray. Les suivantes un peu moins : elles remontent pour partie à 1909, au moment où Proust est en train de dicter la mise au net de Combray et sont pour l’essentiel des vérifications. Puis on passe à 1913. Proust attend les deuxièmes épreuves du livre et corrige encore. L’agenda est alors un témoignage du travail de l’auteur à quatre ans d’intervalle sur les mêmes parties du livre.

Quatre épisodes de filature datant d’août 1913 font ainsi l’objet d’un traitement exceptionnel. Citons-en quelques lignes, juste pour le plaisir. « Madame X rentre à l’hôtel et revient un quart d’heure après ressortent à 2 heures achètent un timbre de 25 centimes et mettent une lettre à la boîte vont acheter (en fiacre billets à la Porte Saint-Martin puis chez Kodak 7 boulevard des Italiens) y restent 10 minutes puis au restaurant italien ne font qu’entrer et sortir » Cet extrait est accompagné d’une carte postale du restaurant italien « Poccardi », où l’on suppose que les personnes suivies sont entrées brièvement, mais aussi d’une reproduction d’un timbre poste de 25 centimes bleu type « semeuse de Roty ». Les autres épisodes sont illustrés par une carte de Paris d’avant 1914 sur laquelle sont reproduits les trajets des filatures, la photo d’un taxi de l’époque… Des filatures aux côtés de l’auteur d’À La recherche du temps perdu comme si on y était !

1 million de pages numérisées chaque mois par la BnF

C’est en 1990 que la Bibliothèque nationale de France, répondant à sa mission de conservation du patrimoine français, s’est lancée dans un vaste chantier de numérisation de ses collections. Aujourd’hui, elle numérise plus d’un million de pages par mois. Depuis 2013, cette production est complétée par des documents numériques produits dans le cadre d’accords de partenariats. Les marchés de numérisation sont organisés par typologies de documents à traiter : livres reliés, presse, collections spécialisées (photographies, estampes, cartes, plans, etc.), livres exceptionnels. À noter que depuis le 1er octobre, une nouvelle version de Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF a été mise en ligne. Elle comprend une refonte technique complète ainsi que des évolutions ergonomiques et graphiques.