Franc succès du colloque "Vie des musées – Temps des publics", organisé par le ministère de la Culture les 21, 22 et 23 juin. L’occasion de revenir sur la restitution des débats, faite dans le cadre de la plénière de clôture, à l’auditorium du Musée d’Orsay (3/3).

4 grandes thématiques, identifiées selon un principe de travail participatif et abordées à travers 17 ateliers-actions co-conçus par les professionnels de 50 musées, tel était le programme du colloque qui s’est déroulé à Paris et en Île-de-France.

Autres temps ? Autres lieux ?

« Le musée est-il simplement un espace de culture ? ». C’est en ces termes que Virginie Mathurin, chargée de l'éducation artistique et culturelle à la Direction générale des patrimoines du ministère de la Culture, résumait, en amont de la plénière de clôture, cette première thématique. « Que viennent y chercher les publics suivant leurs âges, leurs envies ? Le temps et le lieu du musée évoluent-ils ? Vers quoi ? ».

La nécessité d’insérer les musées dans leurs territoires en faisant corps avec les relais locaux est sans conteste l’un des principaux enjeux de ces trois jours de débats. A titre d’exemple, les partenariats avec les acteurs du tourisme -  à l’instar des contrats de destination, récemment mis en place - se révèlent particulièrement fructueux et font partie des initiatives à encourager. L’ancrage donné aux collections via le parcours muséographique constitue un deuxième point essentiel, comme le montre le travail d’analyse critique mené sur les textes des salles d’exposition dans le cadre de l’atelier « Propos du musée et parcours muséographique : quelles articulations ». « C’est parfait, on sait désormais tout ce qu’il ne faut plus faire », glisse Mathias Dreyfuss, responsable du service éducatif du Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, avec une pointe de malice qui suscite les rires d’une partie de l’audience.

Garder le corps à l’esprit

Le sensoriel, un élément clef de la réflexion sur l’appréhension et la transmission du patrimoine ? Pour Marc Bayard, conseiller pour le développement culturel et scientifique au Mobilier national, « le corps dans tous ses états » est bel et bien au coeur de cette problématique. Le développement de médiations innovantes ne saurait se faire sans une réflexion de fond sur la perception sensorielle des œuvres par le public, les parcours physiques au sein des musées, les changements de posture des visiteurs liés aux outils numériques ou encore la place de la transmission par le geste dans les métiers d’art.

« Le médiateur c’est celui qui essaye de rassembler des personnes, des positions qui ont éclaté. Il semblerait donc que la médiation parte, quelque-part d’un échec, d’un locuteur qui n’a pas su trouver son auditeur », commente Marc Bayard. La culture est-ce, d’un côté, le rassemblement, de l’autre la diversité ? L’intellect contre le geste ? La transmission opposée à la création ? La narration, le temps long face à l’émotion, dans l’instant ? « Dans toutes ces oppositions, le corps est constamment présent », observe-t-il, avant d’évoquer les points saillants des trois jours de débats dédiés à la question. En premier lieu, l’importance du rapport au temps qu’il s’agit de prendre, d’accélérer ou encore de ralentir - suivant le mouvement du slow-made invitant à « faire avec le temps nécessaire ». Puis celui du rapport au réel, qu’il s’agit de ne pas perdre de vue. « Une œuvre d’art n’est pas quelque-chose de virtuel. Pour témoigner de sa réalité, il faut défendre et expliquer sa matérialité, son ancrage dans l’histoire », précise encore Marc Bayard. Enfin l’intérêt du processus de création, du « faire », qui est un acte du corps. Un corps qui demeure trop souvent déconnecté du processus de connaissance, jugé extérieur au savoir.

Engager le débat

« Cette thématique aborde la question du musée en tant que lieu de débat des questions d’aujourd’hui : comment accueille-t-on tout le monde ? Peut-on débattre de tout dans un musée ? Quel est son rôle dans la société ? », commentait Virginie Mathurin. Pour Jamila Al-Kathib, responsable du département pédagogique et culturel du Musée des arts et métiers, l’accomplissement du musée du XXIe siècle en tant que « véritable forum citoyen ouvert » permettant « l’expression de toutes les paroles » nécessite l’engagement d’un débat sur « la légitimité de la prise de parole de l’autre », débat dont les réflexions seraient intégrées aux politiques institutionnelles.

« Au-delà de la transmission de contenus, la médiation culturelle est là pour créer des liens – que ce soit entre les objets, les lieux ou les visiteurs », affirme-t-elle encore. Le public doit être remis au cœur de l’exposition, dans le cadre d’une démarche citoyenne, et bénéficier de la possibilité d’être entendu. « La métaphore de la partition, qui nous a été présentée par le Palais de Tokyo, est à cet égard parlante : un objet peut être vu comme un instrument de musique que le médiateur, l’artiste ou les visiteurs peuvent s’approprier pour en jouer de diverses manières », ajoute Jamila Al-Kathib. Cette idée d’appropriation est déterminante car le musée porte une histoire patrimoniale propice à la formation d’un sentiment d’appartenance à une communauté. Via cette mémoire partagée, les liens que la médiation culturelle doit chercher à créer sont aussi des liens à la société.

Le musée indiscipliné

Comme Jamila Al-Kathib, Francois Parain, responsable du service de la recherche de l’Ecole nationale supérieure d’architecture Paris-Malaquais, insiste sur la nécessité de « revisiter les usages des services publics » en vue de permettre « une appropriation plus efficace des services du musée par le citoyen ». Chargé de synthèse de la thématique musée indiscipliné, il évoque la question de l’interdisciplinarité et du jeu - l’exploration des formes nouvelles, amusantes et parfois déroutantes que pourrait prendre l’accès au patrimoine.

Parmi les questions déclinées dans les trois ateliers concernés, se pose celle du difficile dépassement des oppositions entre éducatif et ludique, ruse pédagogique et jeu libre, discours d’autorité scientifique et place du mentir-vrai dans le musée. D’où l’importance de réactiver le regard du public, de l’amener à se dire « je décide ». « Il faut faire en sorte qu’intervienne ce moment décisif où le visiteur choisit de se saisir des œuvres du musée », observe François Parain. « Il ne s’agit pas tant de transmettre des connaissances que de donner les conditions de cette décision, en autorisant nos concitoyens à se sentir en mesure de porter un regard, une parole légitime sur les collections. Sans cela, il ne peut pas y avoir de bien commun, il ne peut pas y avoir d’émancipation ».

Les enjeux de la médiation au Musée d’Orsay

« Même si les collections d’Orsay, l’impressionnisme notamment, apparaissent comme plus accessible, que des expositions d’archéologie ou de peinture du 17ème siècle pour des raisons d’immédiateté sensorielle, il n’en demeure pas moins que leur compréhension ne va pas plus aujourd’hui de soi », estime Luc Bouniol-Laffont, chef du service culturel et Directeur de l’Auditorium au Musée d’Orsay et de l’Orangerie, à l’occasion de la plénière de clôture du colloque « Vie des Musées – Temps des publics » du vendredi 23 juin. « La relative maturité de notre établissement oblige à le confronter avec son temps. Il faut aujourd’hui savoir comparer le musée d’Orsay et le musée de l’Orangerie avec d’autres institutions, françaises ou étrangères, plus jeunes et plus innovantes, mesurer avec justesse leurs immenses atouts mais aussi reconnaître leurs fragilités et trouver des moyens d’aller plus loin », ajoute-t-il.
Pour Luc Bouniol Laffont, le succès critique et populaire d’expositions temporaires dotées d’une approche pluridisciplinaire telles que « Splendeurs et misères. Images de la prostitution, 1850-1910 », « Sade, attaquer le soleil » ou encore « Apollinaire, le regard du poète », traduit le fort besoin de contextualisation du public. « On touche là à l’un des plus grands défis des musées de beaux-arts comme le nôtre pour les prochaines années : comment transmettre ? Comment rendre facile d’accès un patrimoine artistique d’exception quand nos institutions muséales ont entretenu depuis le 18ème siècle une forme de culte envers les œuvres d’arts, de rapport quasiment sacré à celle-ci ? Au Louvre, comment peut-on parler de la Joconde ? A Orsay, comment expliquer Van Gogh quand on est dans un tel rapport de sacralisation ? Est-ce dégrader le ‘Déjeuner sur l’herbe’ que d’en tenter une interprétation, ou, au moins, de souligner la pluralité des interprétations possibles ? ».

« Si ce défi est complexe il doit pourtant être relevé, et c’est l’œuvre du musée d’en proposer aujourd’hui des clefs, en trouvant le bon niveau, le bon récit et le ton juste », conclut-il. « La réaffirmation d’un musée polyphonique est indissociable de l’effort de médiation que nous devons faire pour reconstituer le grand récit de la modernité. Cela passera par une présentation des collections où l’histoire, le cinéma, la littérature auront toute leur place mais aussi par une programmation culturelle renforcée. Orsay et l’Orangerie doivent se réaffirmer comme lieu de dialogue entre des arts qui font tous partie d’un même grand récit et constituent en soi une forme de contextualisation et de médiation ».