Grâce à un mécénat collectif original, un agenda inédit ayant appartenu à Marcel Proust est entré le 14 octobre dans les collections de le Bibliothèque nationale de France. Voici, en trois points, l'histoire d'un agenda petit, mais précieux.
De la découverte à l'acquisition. Premier temps, le repérage. C'est en épluchant le catalogue de vente de Christie's, une veille qui s'avère souvent très fructueuse, que Guillaume Fau, conservateur au département des manuscrits de la BnF, repère cet agenda inédit de Proust. L'une des missions d'un conservateur est en effet d'enrichir les collections de son département – celles du Fonds Proust en l'occurrence. Un fonds immense de 122 volumes qui s'est constitué par acquisitions successives. D'abord auprès de la nièce de Proust en 1962 et 1977, puis par dation en 1983 auprès d'un collectionneur privé. Notre agenda, quant à lui, était chez un particulier français. Deuxième temps, l'acquisition. Chez Christie's, la vente avait déjà eu lieu le 29 avril, et un grand libraire parisien avait acquis l'agenda 130 000 euros pour son compte. Comment donc, dans ce cas, se retrouve-t-il dans les collections de la BnF ? « Bruno Racine [président de la BnF] a pu contacter le libraire par l'entremise de Christie's, raconte Kara Lennon Casanova, déléguée au mécénat à la BnF. ll a accepté spontanément de le revendre sans un centime de marge. C'était un beau geste de sa part. Pour l'acquérir, nous avons fait appel au mécénat ». Attention, pas n'importe lequel...
L'agenda de Proust au dîner des mécènes. Ce n'est pas une fiction. L'agenda a bel et bien été acquis le 14 octobre lors d'un dîner de mécènes – une formule créée il y a six ans par la BnF. Le principe est simple. Une fois par an, dans l'enceinte de la BnF, a lieu un dîner dont les bénéfices permettent d'acquérir un objet de prestige. Les participants au dîner – libraires, maisons d'édition, amateurs d'art, fondations, entreprises mécènes de la BnF - achètent des places ou des tables entières pour financer l'objet qui leur a été signalé. Et l'objet, présenté pour l'occasion dans une belle vitrine, est la vedette de la soirée avant de rejoindre les collections de la bibliothèque.
Il en était ainsi le 14 octobre pour l'agenda de Proust et les 230 convives mécènes qui s'étaient émus de son sort. Kara Lennon Casanova salue l'élan des mécènes. «Depuis dix ans, le mécénat est une valeur profondément ancrée dans les entreprises, les fondations d'entreprises et chez les particuliers. Les chiffres sont importants. Chaque année, on lève entre 4 et 5 millions d'euros. Malgré les temps difficiles, la qualité des projets – projets d'acquisition, d'exposition, de restauration, projets sociaux - mobilise la générosité ». Il ne s'agit pas d'actions ponctuelles mais d'une vraie fidélisation. « Les mécènes restent à nos côtés sur le long terme et nous permettent, à nous institution, d'avoir une vision sur plusieurs années ».
La plus ancienne pièce du puzzle (à ce jour). C'est un petit agenda trimestriel de 9 X 6 cm (janvier à mars 1906) réapparu l'année même du centenaire de Du côté de chez Swann, premier tome de A la Recherche du temps perdu. Sous la couverture de maroquin rouge grenat, on découvre 80 feuillets couverts de notes, listes de termes et noms propres, préfigurant dès 1906 l'univers de Swann. On tient là la matrice de La Recherche, du moins la pièce la plus ancienne du gigantesque puzzle que constitue cette oeuvre. Une pièce plus ancienne encore que les quatre carnets de l'écrivain datés de 1908 à 1917 et conservés dans le Fonds Proust de la BnF.
Pour Guillaume Fau, « c'est un vrai trésor pour les chercheurs, en particulier pour cette branche de la recherche littéraire appelée la génétique des textes ». Car traquer la genèse de La Recherche, c'est être pris dans un roman à rebondissements. Découvrira-t-on d'autres agendas encore plus précoces ? Et que signifient les notes des 11, 12, 13 et 14 août semblant indiquer que Proust avait demandé la filature d'une jeune femme ? Est-ce bien elle qui inspirera La Prisonnière, le tome 5 de La Recherche où Proust traitera des affres de la jalousie et du désir de tout connaître de la personne aimée ? Gageons que le petit agenda de 1906 que Proust utilisait comme un carnet de notes et sur lequel il griffonna jusqu'en 1910 « d'une écriture nerveuse, rapide, souvent presque illisible », va déplacer la foule des chercheurs. L'original est accessible en salle de lecture de la BnF « avec toutes les précautions d'usage », pour ceux qui justifient d'un travail de recherche. Il sera prochainement numérisé sur Gallica afin d'être accessible gratuitement à tous. Avec une fonction zoom qui ne sera pas inutile.