Les régions musicales, le baccalauréat musique, la démocratisation musicale... La politique culturelle de Marcel Landowski (1915-1999) va faire l'objet, le 17 mars, d'une journée d'étude au Centre d'histoire de Sciences-Po. Elle est organisée par le Comité d'histoire du ministère de la Culture et de la Communication. Entretien avec Noémi Lefèbvre, docteur en sciences politiques au Céfédem Rhône-Alpes.
Quel était le climat musical du pays en 1966, au moment où André Malraux fait appel à Marcel Landowski dans son ministère?
Il régnait une vie musicale intense. Des associations et fédérations nombreuses et dynamiques, comme par exemple les Jeunesses musicales de France ou la chorale A coeur joie, participaient à la vie des orchestres et essaimaient la musique à travers le pays. Deux facteurs, pourtant, inquiétaient les professionnels de la musique : l'irruption de la musique enregistrée et le développement d'une politique qui donnait la priorité à l'action culturelle. Par exemple, dans les Maisons de la Culture créées par Malraux, on favorisait avant tout la rencontre entre les grandes œuvres théâtrales et le public. C'est pour répondre à cette double inquiétude, que Malraux crée, en 1966, un service administratif autonome, doté d'un budget propre. Il nomme à sa tête le compositeur Marcel Landowski, qu'il charge d'édifier une vaste politique musicale.
Le premier geste de Marcel Landowski est de réformer l'enseignement musical, pourquoi ?
Malraux partageait avec Marcel Landowski la conviction qu'il ne peut y avoir de vie musicale de qualité sans enseignement de qualité. Jusque là, l'enseignement musical en France était l'héritage d'une histoire qui avait peu bougé depuis la guerre. Aussi a-t-il confié à Marcel Landowski la tâche de construire une réforme de l’enseignement musical avec un double objectif : d’une part, « rendre l’enseignement musical accessible à tous » et d’autre part « former des musiciens de haut niveau ». Sur la base d'un cahier des charges national, les Écoles nationales de musique, anciennes succursales du conservatoire de musique, sont ainsi devenues les Conservatoires nationaux de région (CNR) et ont eu pour mission de participer à l’aménagement musical du territoire, en développant les activités d'animation, en lien avec les structures de diffusion. Cette dimension de rayonnement territorial est d’ailleurs encore bien affirmée aujourd’hui, puisque les CNR sont devenus des Conservatoires à rayonnement régional (CRR). Pour autant, cette politique de réforme institutionnelle ne s’est pas réalisée en un jour ! Elle a concerné, progressivement, les conservatoires de Toulouse, Reims en 1966, Lyon, Rouen en 1967, Nancy, Tours en 1968, puis Besançon, Nancy, Strasbourg, Metz… Pour mener à bien une telle politique, il fallait une possibilité d’action sur la longue durée, ce que Marcel Landowski a très efficacement su faire valoir en rédigeant son fameux « Plan de dix ans », demeuré célèbre au Ministère.
Marcel Landowski accordait également une grande importance à l'éducation musicale...
A titre personnel, Landowski s'intéressait de près aux modes d'apprentissage de la musique, qu’il voyait davantage comme une « discipline de la sensibilité » que comme une discipline de la connaissance. En commençant par la théorie, on abîme le rapport de joie qu’un enfant peut avoir avec la musique, disait-il. C’est pourquoi il a beaucoup insisté sur la nécessité de développer l'éducation musicale dès les plus jeunes années dans le cadre scolaire. De façon plus générale, Landowski est le pionnier d'une action déterminée en faveur du développement, dans le cadre de l’enseignement public, des enseignements artistiques qu’il considérait comme élément fondamental d’une éducation humaniste. Au ministère de l’Éducation nationale, où il travaillera ensuite, il militera sans relâche en faveur de l'intervention artistique en milieu scolaire. Et c’est à lui que l’on doit la loi relative aux enseignements artistiques qui fut votée en 1988. Elle préconise notamment l'ouverture des établissements scolaires aux "personnes justifiant d'une compétence professionnelle dans les domaines de la création ou de l'expression artistique, de l'histoire de l'art ou de la conservation du patrimoine" qui "peuvent apporter leur concours aux enseignants". La politique d'éducation artistique et culturelle définie aujourd'hui par le ministère de la Culture en est l'héritière directe.
Comment les réformes de Marcel Landowski ont-elles été reçues ?
Dans une période de forte croissance, alors que, avec la radio et le microsillon, s’ouvrent de nouveaux rapports au monde sonore, tandis que la musique elle-même est porteuse de nouvelles formes d’écoute et de nouvelles pratiques, Marcel Landowski a su décliner, dans le domaine de la musique et de son enseignement, la mission cardinale du ministère des Affaires culturelles définie dans le décret de 1959 : "Rendre accessibles à tous les œuvres capitales de l'humanité". Cet objectif de démocratisation est la clé de son action, et cela sur tous les fronts de la politique musicale, depuis la rénovation des orchestres jusqu'au développement de l'animation musicale en passant par la valorisation des pratiques musicales amateurs.