Elles sont des révélateurs de choix esthétiques souvent passionnants, permettent à certains collaborateurs de vivre une expérience au plus près de la création en train de se faire, et fédèrent les salariés autour de valeurs et d’engagements communs : les collections d’art dans l’entreprise, thème du dernier Jeudi du mécénat du ministère de la Culture et de la Communication qui s'est tenu 22 septembre, sont gagnantes sur toute la ligne.
« Une collection d’entreprise a un motif d’intérêt général quand elle est proposée au public. L’œuvre d’art seule ne suffit pas, il faut aussi qu’elle soit activée par un public », affirme Pierre Oudart, directeur adjoint de la direction générale création artistique au ministère de la Culture et de la Communication, en ouverture de ce jeudi du mécénat consacré aux collections d’art dans l’entreprise. Un propos que Nathalie Moreau, professeur à l’Université Paul Valéry de Montpellier, auteur d’une récente étude sur les collections d’art dans l’entreprise pour le compte d’AXA ART complète : « La communication interne et la responsabilité sociale sont deux motifs importants dans la constitution d’une collection d’entreprise ». Autant de points débattus par les principaux intéressés dans le cadre de trois tables rondes, « collection versus mécénat », « communication corporate, politique de marque et management interne » et « créer, diffuser et conserver une collection ».
« La collection démontre qu’il est possible de réaliser une synergie entre intérêt privé et intérêt général » (Anne-Sophie Nardon, avocate)
Collection versus mécénat
Pourquoi « versus » ? Parce que « la compatibilité du mécénat, soutien accordé sans contrepartie à une activité d’intérêt général, avec l’activité de l’entreprise, qui vend des biens sur le marché, se pose d’emblée », précise Anne-Sophie Nardon, avocat, cofondatrice du cabinet Borghese associés. Un possible conflit que résout précisément la collection d’entreprise. « La collection démontre qu’il est possible de réaliser une synergie entre intérêt privé et intérêt général ». Dans le cas de l’entreprise Colas, spécialisée dans la construction et l’entretien d’infrastructures de transport, le fonctionnement de la Fondation qui s’occupe de la collection d’art est à ce point structuré qu’il sert de modèle aux autres actions de mécénat de l’entreprise. « L’originalité de notre collection est de reposer sur le principe de la commande à des artistes, la seule contrainte qu’on leur impose est de travailler sur le thème de la route. Un jury composé de collaborateurs de l’entreprise et de personnalités du monde de l’art choisit quinze œuvres chaque année », précise Sophie Sadeler, sa directrice de la communication. Créée en 2000, la Fondation Carmignac, quant à elle, est née de la passion pour la création contemporaine de son fondateur, Edouard Carmignac, témoin privilégié à New-York de l’activité de la Factory d’Andy Wahrol. « Les œuvres de la collection, exclusivement des grands formats, sont toutes rattachées à de grands courants artistiques, comme le pop art, et sont systématiquement accrochées dans l’entreprise, car nous voulons que nos collaborateurs soient happés par les tableaux », explique Gaïa Donzet, sa directrice. Un choix qui se teinte parfois d’une pointe d’humour. Ainsi de cette toile de l’artiste américain Ed Ruscha, Level As A Level, récemment acquise par la Fondation et installée en face d’un gérant nouvellement arrivé. Du côté de la Société Générale, la collection est complémentaire des valeurs de la banque. « Au démarrage, il s’agissait de donner un supplément d’âme au siège de l’entreprise et d’orner les murs. Aujourd’hui, la collection est constituée de plus de mille œuvres et nous l’ouvrons très largement au grand public ; notre engagement entre en résonance avec les valeurs de la banque, l’innovation, l’esprit d’équipe, l’engagement et la responsabilité », détaille Aurélie Deplus, responsable du mécénat artistique à la Société Générale. Une volonté de synergie avec les valeurs du groupe que l’on retrouve au sein du LAB BEL, le Laboratoire artistique du groupe BEL. « Notre collection d’art contemporain, créée en 2010, s’inspire des valeurs du groupe, l’humour, l’impertinence, le décalage ; au départ le lien entre le fromage [le groupe BEL détient la marque La Vache qui rit (NDLR)] et l’art contemporain n’était pas toujours évident, mais on constate à présent un mouvement d’appropriation des marques du groupe par les artistes », observe Laurent Fievet son directeur.
Communication corporate, politique de marque et management interne
« Un jour, j’ai appris qu’un artiste créait des œuvres avec des matériaux d’emballages, j’ai tout naturellement commencé à les acheter ». Danièle Kapel-Marcovici, présidente directrice générale de RAJA, leader européen de la distribution d’emballage, ne fait pas mystère de la façon dont est née sa passion pour l’art. Aujourd’hui, elle ne manque aucun des grands rendez-vous organisés autour de l’art contemporain et l’entreprise possède une impressionnante collection de photographies, peintures, sculptures, tous en lien avec l’emballage. Surtout, elle veut partager cette passion avec ses collaborateurs. « Il s’agit de se faire plaisir, de stimuler l’imagination et l’ouverture sur le monde artistique ; bienveillance peut rimer avec performance dans l’entreprise ». Même passion chez Matthias Léridon, PDG de Tilder, conseil en communication de grandes entreprises : « On ne peut pas s’intéresser au monde de demain sans largement soutenir la création contemporaine ». Une profession de foi devenue réalité pour ce dirigeant qui en 2009, avec sa femme Gervanne, a créé le Fonds de dotation African Artists for Development qui octroie entre 800 000 et un million d’euros à des actions humanitaires et culturelles. « Nous nous sommes intéressés à la création contemporaine africaine car l’Afrique est le grand continent du 21e siècle. Ce qui se passe aujourd’hui dans les entreprises est très particulier, nous devons imaginer collectivement ce que sera notre futur commun. Nous organisons un dialogue régulier entre les collaborateurs du groupe et les artistes africains dont nous acquérons les œuvres. Nous voulons que nos collaborateurs aient la capacité de réagir face à la création contemporaine. ». Enfin, Dick Snauwaert, membre du comité d’achat de Proximus Art Collection souligne la « qualité quasi muséale des œuvres de la collection ».
Créer, diffuser et conserver une collection
Sylvie Gleises, directrice générale d’AXA ART Europe du Sud et de l’Ouest, le dit sans ambages : « L’enjeu est de faire durer la collection dans le temps, or très peu de collections d’art sont bien assurées ». Une question qui, au démarrage de l’activité, est en effet souvent laissée de côté par des entreprises entièrement absorbées par la constitution de leur collection. Estelle Francès, créatrice et gérante d’ARROI, co-fondatrice de la fondation Francès avec son mari Hervé, reconnaît que jusqu’en 2014 les œuvres de la collection étaient « stockées dans les combles de l’entreprise ». Seulement voilà : la collection, caractérisée par sa radicalité, sa capacité à exprimer des valeurs sociales – les œuvres mettent en lumière la force mais aussi la détresse de l’humanité – comprend aujourd’hui 600 œuvres régulièrement exposées dans les locaux de l’entreprise. Un changement de dimension et de statut qui oblige à prendre certaines précautions. « Aujourd’hui, nous avons investi dans un logiciel de gestion de collection et le stockage se trouve chez un spécialiste », souligne Estelle Francès. Une préoccupation que partage la banque Neuflize OBC qui a constitué une collection de 800 œuvres autour du portrait et de la mémoire. « Nous prenons en compte la prise de risque. Dans l’entreprise, nous ne sommes pas dans des conditions muséales. Pour autant, nous essayons de nous en approcher au maximum », indique Céline Savy, la directrice adjointe de la communication. Changement de perspective avec la banque italienne Intesa Sanpaolo, émanation de 250 banques et caisses d’épargne, dont les collections sont réparties dans pas moins de trois musées, à Vicence, Naples et Milan. « Le rapport entre la beauté et la banque est très ancien en Italie. Il remonte aux Médicis et à Fra Angelico », précise Marie-Evangéline Maillard, responsable de la promotion, du marketing et des partenariats au service des activités culturelles. Il est des parrains moins prestigieux !