Depuis plusieurs années, les initiatives solidaires en relation avec la musique se sont multipliées, faisant du mécénat un acteur important du secteur. Tour d’horizon.

« Au sein du mécénat culturel, la musique, qui représente un tiers des dons à hauteur de 90 millions d’euros, fait partie des domaines les plus soutenus », rappelle Hervé Merlin, sous-directeur des affaires économiques et financières au ministère de la Culture, en introduction de la 78e édition des « Jeudi du mécénat » consacrée, le 2 juin, à « musique et solidarité ». Un thème on ne peut plus actuel, qui démontre « l’importance du mécénat croisé qui associe culture et volet social ».

Pour en donner une illustration, Dominique Muller, délégué général à la musique à la direction générale de la création artistique au ministère de la Culture, cite deux opérations emblématiques : les séances « relax » à l’Opéra-Comique qui, grâce au mécénat, facilitent la venue au théâtre de personnes en situation de handicap, ou l’Orchestre Démos à la Philharmonie de Paris, dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale et « son modèle économique innovant associant État, collectivités locales et mécènes ». A côté de ces actions issues d’opérateurs publics, nombre d’initiatives émanent des acteurs privés.

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Partager la musique avec ceux qui en sont éloignés

Les actions qui illustrent ce mécénat croisé sont au premier chef celles qui font de la musique un art en partage pour les publics exclus, empêchés ou éloignés. « Le lien entre musique et solidarité est au cœur de notre démarche, indique Hugo Biancheri, directeur du développement de l’orchestre de l’Alliance, les bénéfices des actions labellisées « Saisons de la solidarité », financées à 100% par du mécénat d’entreprise, sont ainsi reversés aux causes prioritaires que nous soutenons. Et en organisant comme nous le faisons quinze concerts dans quinze lieux différents dans le bassin d’Arcachon pendant le festival « Les escapades musicales », nous allons, grâce notamment au mécénat de la fondation ENGIE, à la rencontre de publics variés avec une tarification accessible ». Un engagement qui prend racine dans l’histoire de Pejman Memarzadeh, son directeur artistique, d’origine iranienne : « Je suis arrivé en France à l’âge de cinq ans, vers quinze ans, j’ai connu des moments d’émerveillement en allant à l’Opéra de Paris, c’est de là que vient cette conviction que les artistes doivent prendre leur part dans la politique d’égalité des chances ».

« J’ai expérimenté très jeune le miracle de la musique », poursuit Jean-Philippe Sarcos, à la tête de l’orchestre Le Palais-Royal  qui propose des concerts « coup de foudre », dont 10 000 jeunes sont bénéficiaires chaque année dans toute la France. Des concerts bien nommés. « Quand j’ai découvert l’orchestre, témoigne Sophie Gasperment, mécène, j’ai immédiatement été séduite par sa manière de recréer du lien, mais c’est en assistant à un « concert coup de foudre » que j’ai vraiment senti que quelque chose se passait et que j’ai décidé de devenir mécène ».

« J’ai été frappée à mes débuts par le manque de diversité du public, raison pour laquelle je suis allée jouer dans des centres de réinsertion, des hôpitaux ou devant des sans-abris », souligne Alexandra Soumm, violoniste. Pour que « les actions soient menées dans la continuité », la violoniste a fondé par la suite Esperanz’Arts aux côtés de Paloma Kouider et Maria Mosconi. Aujourd’hui, Esperanz’Arts, c’est 150 bénévoles de toutes les disciplines et une expérience, que vivent aussi des personnes sans-abri, en situation de handicap et des détenus, dont tout le monde sort « transformé ».

« Les rencontres sont bien sûr décisives dans l’amorce des partenariats, dit Philippe Peyrat, délégué général de la fondation Engie, la musique n’était pas notre angle prioritaire mais aujourd’hui, nous souhaitons accompagner cet enthousiasme autour de la musique. Le vrai défi, une fois que la rencontre a eu lieu, est d’inscrire les actions dans la durée ».
 
Une chose est certaine, le miracle de la musique opère à chaque fois. Le mieux est de laisser la parole à Alexandra Soumm : « Après un concert dans un établissement psychiatrique à Londres, un homme m'a demandé de jouer du Mozart. il n’avait pas parlé depuis son arrivée au centre cinq ans auparavant... »

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Favoriser l’initiation à la pratique musicale pour tous

Les témoignages abondent tout autant s’agissant de l’initiation à la pratique musicale. Anne Jordan, responsable du mécénat de l’orchestre des Champs-Élysées à Poitiers, cite le projet « musique et cinéma » qui grâce au mécénat permet aux personnes sous main de justice « de découvrir ou redécouvrir la musique classique grâce au cinéma ». Mariannig Hall, haute fonctionnaire travaillant dans le secteur social, est devenue mécène de l’Orchestre et parle de son action avec passion : « Quand on prononçait le mot de mécénat, je pensais à des milliardaires ou à Laurent de Médicis, et si je connaissais des émotions incroyables en assistant à des concerts de l’orchestre, je ne pensais pas alors le soutenir autrement qu’en payant ma place. Puis un jour j’ai vu un tweet – « devenez mécène d’un projet musical et de réinsertion sociale » – et j’ai franchi le pas ».

Chantal Ardouin, est directrice de l’association Music’O Senior (MOS) qui propose des concerts dans des maisons de retraite. « L’acronyme de notre association « MOS » pourrait d'ailleurs vouloir dire indifféremment « musique, opéra, santé ou musique, opéra, solidarité », précise celle qui, ancienne directrice des ressources humaines, a souhaité prendre ce virage social au moment de la retraite et s’est attelée à la construction d’un « projet global » : des médiateurs sont aujourd’hui formés au lyrique qui « travaillent en interne de façon à préserver ces moments uniques que sont les concerts ». Music’O Senior a organisé plus de 600 concerts en 10 ans. « Le public restitue la puissance de l’art lyrique », dit-elle enthousiaste.

« En 2016, Jordi Savall, que nous accueillons en résidence, a improvisé un concert dans la jungle de Calais et a été choqué par la situation dans laquelle vivent les migrants. C’est là qu’est né Orpheus XXI » indique Serge Bufferne, chargé du projet à la Saline royale d’Arc-et-Senans. « Nous avons répondu à un appel à projet concernant des artistes réfugiés. Permettre à ces musiciens de pratiquer leur art correspondait à notre volonté d’ouvrir la Saline royale à un public varié ». Des musiciens de douze nationalités ont été réunis pendant un an à la Saline. 45 concerts ont eu lieu en France et en Europe, et « des ateliers dans les écoles, donnant également lieu à des rencontres avec les parents, ont aussi été mis en place dans les villes où vivaient les réfugiés ».

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« La dissonance en musique, c’est toujours ce qui fait avancer », note David Grimal, violoniste, directeur artistique de l’orchestre sans chef « Les dissonances », qu’il a fondé en 2004. « Notre société dysfonctionne particulièrement avec les personnes qui sont en grande difficulté. Il fallait que l’exigence de la musique participe à l’inclusion ». Aujourd’hui, le collectif joue en particulier régulièrement à l'église Saint-Leu-Saint-Gilles, rue Saint-Denis, à Paris : « Les concerts sont organisés avec les personnes sans abris. Une quête est faite à la fin. De grands artistes viennent. Entre 250 et 300 personnes ont été aidées. Nous voulons que la fertilité dans la pratique de la musique et la fertilité sociale aillent de pair ».

« Nous avons très vite mêlé culture et maladie », explique Nathalie Martin, déléguée générale de la fondation Swiss Life qui, aux côtés de France Alzheimer, organise notamment des formations pour les aidants sur l’ensemble du territoire incluant la visite de grands musées en France pour les malades et les aidants. « Une exposition fait remonter des souvenirs. Il faut que la culture aille beaucoup plus à l’hôpital, que la cause soit portée par le plus grand nombre », plaide celle qui accompagne notamment l’association « Music’O Senior » de Chantal Ardouin.

Des actions de nouveau plébiscitées : « Des relations différentes s’inscrivent dans l’établissement après les concerts », dit Chantal Ardouin, « les témoignages de détenus ont été formidables », abonde Anne Jordan. « Nous utilisons les réseaux sociaux pour montrer que des choses sont faites et qu’elles marchent », coclut Nathalie Martin.