Tout au long de 2015, on commémore dans le monde le cinquantenaire de la disparition de Le Corbusier. La France lui consacre plusieurs expositions et soutient – au plus haut niveau – la candidature de son œuvre architecturale à l'inscription sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco. Michel Richard, directeur de la Fondation Le Corbusier, fait le point.
En cette année du cinquantenaire de la mort de Le Corbusier, les hommages au grand architecte abondent...
Un jubilé est bien sûr un anniversaire important. Au-delà de l’hommage rendu à un créateur qui a marqué son temps, c'est aussi l'occasion de faire le point sur sa réception actuelle et pour ce qui concerne Le Corbusier, à l’échelle mondiale. C'est le propre des commémorations que de permettre, avec le recul des ans, de mesurer l’audience d’une œuvre, d’une personnalité. On peut constater quotidiennement que Le Corbusier est resté vivant : au cours de ces dix dernières années, il a été l’objet de nombreuses expositions monographiques à travers le monde, notamment à Berlin, Londres, Moscou, New York, Rome, Stockholm, Tokyo, Lisbonne, Barcelone, Madrid, Rio de Janeiro, Brasilia, Marseille... En 2015, trois manifestations lui sont consacrées en France, au Centre Pompidou, à la Cité de l’architecture et du patrimoine et au musée Picasso d’Antibes-Juan-les-Pins. Il aura également été présent en Chine, à Hong Kong et Schenzhen.
"On peut constater quotidiennement que Le Corbusier est resté vivant"
Cet anniversaire aura été l’occasion de mobiliser les chercheurs et les étudiants dans de nombreux pays où son influence est persistante et où l’on trouve de nombreux passionnés de son geste architectural. À la suite des Rencontres de la Fondation consacrées à la question de la restauration de son œuvre architecturale - au mois d’avril dernier à l’Institut national d’histoire de l’art à Paris - de nombreux colloques et des expositions ont été ou vont être organisés dans les universités ou les écoles d’architecture en Italie, en Amérique latine, au Japon, en Inde, en Espagne, en Grèce... Cet anniversaire vient parfois s’ajouter à d’autres célébrations corbuséennes comme, par exemple, les soixante ans de la Maison radieuse de Rezé, les cinquante ans de l’Unité d’habitation de Firminy ou encore les quatre-vingts dix ans de la maison La Roche à Paris : autant d’événements qui permettent aux habitants de manifester leur solidarité et leur fierté d’appartenir à la communauté corbuséenne. Cette année aura été aussi – on s'en doute - l’occasion d’un très grand nombre de publications, rééditions de ses ouvrages, en français et en langues étrangères, catalogues d’exposition, nouvelles éditions ou rééditions de livres consacrés à l’homme et à son œuvre architecturale, plastique et théorique.
Comment expliquez-vous les sentiments très contrastés que suscite Le Corbusier aujourd'hui encore ?
Il est vrai que les choses ne se sont pas apaisées depuis le discours de Malraux, dans la Cour carrée du Louvre lors des obsèques nationales de le Corbusier, au cours duquel il évoquait tout à la fois l’hommage des pays dans lesquels il avait construit et l’hostilité dont il avait été constamment l’objet au cours de sa carrière d’architecte. Aujourd’hui encore on observe que ses idées – voire ses œuvres – sont capables de susciter la plus extrême détestation ou la passion tout aussi excessive… à mes yeux il faut y voir un signe de vitalité de son travail et de sa pensée. On sait aussi qu’on lui a fait porter abusivement la responsabilité de l’urbanisme très controversé des grands programmes d’habitat social de l’après-Seconde Guerre mondiale… Sa fréquentation et celle de ses œuvres permet de faire la part des choses et de l’apprécier plus justement : entre le discours du propagandiste et la matérialité de son œuvre construit, il y a bien évidemment tout un jeu de nuances. L'homme que l’on caricature comme la terreur de l’angle droit et le fanatique du « blanc » a surtout fait chanter les courbes et les univers polychromes… L'architecture et l’urbanisme sont des domaines particulièrement sensibles, ils touchent de près au politique, au social, au quotidien de l'homme.
« L’homme que l’on caricature comme la terreur de l’angle droit et le fanatique du « blanc » a surtout fait chanter les courbes et les univers polychromes »
La figure de Le Corbusier fait l'objet d'une célébration quasi perpétuelle...
Au cours de ces dernières années, on a pu effectivement constater un renouveau d’intérêt pour son œuvre grâce au travail de certains chercheurs et curateurs qui ont mis en évidence l’aspect polymorphe de sa pratique artistique : on a découvert son travail de peintre, de sculpteur, de graveur, de designer… Des expositions ont mis en avant la relation profonde de ces productions plastiques avec son travail d’architecte. Contribuant à une nouvelle compréhension de la genèse de ses œuvres, elles ont aussi permis une ouverture à un plus large public. L’exposition « Mesures de l’homme » organisée par le Centre Pompidou en est une bonne illustration et l’on pourra aussi apprécier l’importance de son œuvre dessiné au mois de novembre prochain au musée Picasso d’Antibes.
Déposée en 2015, la candidature de l'œuvre architecturale de Le Corbusier au patrimoine mondial de l'Unesco sera examinée en juillet 2016. Pourquoi une telle démarche ?
La démarche a été initiée par le ministère de la Culture en France. La Fondation s’y est immédiatement associée et nous avons été rejoints par d’autres pays. Il apparaît que Le Corbusier a construit soixante-dix bâtiments à travers le monde, ce qui est relativement peu, mais ce qu'il a apporté à l'histoire et à la pratique de l'architecture moderne et contemporaine est fondamental. Son caractère innovant, sa qualité plastique, son influence à travers le monde, justifiaient à nos yeux que son œuvre architecturale figure au patrimoine mondial de l’Unesco, aux côtés de celle d’autres grands architectes du XXe siècle : Gaudi, le Bauhaus, Barragan, Rietveld, Mies van der Rohe ou encore Auguste Perret. La demande d’inscription sur la Liste du patrimoine mondial concerne une série de dix-sept bâtiments ou ensembles de bâtiments situés dans sept pays sur trois continents. Il s’agit de maisons privées, de bâtiments religieux – Ronchamp, La Tourette – ou collectifs (Unité d’habitation de Marseille, Immeuble Molitor à Paris). On y trouve aussi le Cabanon de Le Corbusier à Roquebrune-Cap-Martin, l'usine Duval à Saint-Dié, et des bâtiments publics : le Capitole de Chandigarh, le musée des beaux-arts de l’occident de Tokyo, la maison de la Culture de Firminy... L'originalité du dossier consiste dans son caractère transcontinental. Il s'agit même d'une première pour ce genre de classement. La France est, bien sûr, très concernée par ce projet, dix bâtiments figurant dans la série. C'est le pays qui compte le plus de réalisations de Le Corbusier, quasiment toutes étant déjà protégées au titre des monuments historiques.
Qu'a à attendre la France de ce classement ?
La reconnaissance en tant que « Valeur universelle exceptionnelle » de cette série de bâtiments de Le Corbusier a bien évidemment une portée symbolique incontestable. Cette décision engagera les états qui portent la candidature. L’inscription sur la Liste constituera par conséquent pour ces réalisations une garantie de pérennisation. C'est le principal objectif de l’inscription sur la liste de l’Unesco ; il est vrai aussi que l’attrait touristique de certains sites s’en verra nécessairement renforcé. L'un des bénéfices immédiats de la démarche engagée auprès de l’Unesco a été de resserrer les liens entre tous les partenaires intéressés par l’œuvre de Le Corbusier, qu’ils soient concernés directement ou non par la candidature. Depuis 2004, la mise en œuvre du projet a entraîné une mobilisation progressive des états, des propriétaires, des gestionnaires, des habitants et des services en charge du patrimoine. Un réseau s’est ainsi constitué avec lequel la Fondation est en contact permanent. Au mois de juin 2015, à l’initiative de la Fondation, l’ensemble des propriétaires des bâtiments de Le Corbusier s’est retrouvé à la Villa Savoye pour une journée d’information et d’échanges fructueux. L’enjeu de la candidature va bien au-delà de l’attribution d’un label à une collection de bâtiments : il concerne des milliers d’habitants et d’usagers.
De quelle manière le label Unesco peut-il garantir la pérennisation des bâtiments de Le Corbusier ?
L'Unesco exerce une vigilance permanente sur les œuvres qui figurent sur la Liste du patrimoine mondial. Elle peut rappeler à l’ordre les pays qui ne respectent pas leurs engagements et - dans certains cas très exceptionnels - aller jusqu’à exclure des œuvres ou des sites qui ne justifieraient plus de leur valeur universelle exceptionnelle. Dans le cas de la candidature de l’œuvre architecturale de Le Corbusier, cette vigilance va s’exercer sur l’ensemble des éléments de la série, chacun apportant sa contribution à la valeur de la série entière. Tous les acteurs concernés devront par conséquent être particulièrement attentifs à en préserver sur le long terme l’intégrité et l’authenticité. Ils devront veiller sur l’environnement de chaque bâtiment de façon à ne pas mettre en péril la totalité du bien tel qu’il a été inscrit sur la Liste du patrimoine mondial. Cette solidarité entre tous les bâtiments représente une contrainte, un défi pour tous les partenaires embarqués dans le projet, mais c’est aussi ce qui constitue l’originalité et la richesse de cette candidature.
LE CORBUSIER, REDESSINER LE MONDE
Du 6 juillet au 31 décembre, les vitrines du Palais-Royal proposent une exposition-voyage intitulée « Redessiner le monde ».
Les sept vitrines ainsi que le film panoramique projeté dans la galerie et le péristyle de Valois font revivre l'homme, le créateur et le visionnaire.
Le Corbusier fut le premier architecte à construire sur quatre continents : Europe, Afrique, Amériques et Asie. Il est l'un des représentants du Mouvement moderne.
Il fut un géant de la création du Xxe siècle. A la fois peintre et dessinateur (plus de 400 peintures, plus de 10 000 dessins inventoriés), auteur d’une centaine de bâtiments construits, inventeur du tracé d'une ville, concepteur d'une centaine de meubles, designer et urbaniste, théoricien de la modernité.
Depuis son registre de naissance, le film déroule ses bâtiments les plus emblématiques, ses premiers croquis et ses dessins tardifs...
On découvre le « vrai » Le Corbusier, né Charles-Edouard Jeanneret-Gris à la Chaux de Fonds dans le Jura suisse le 6 octobre 1887. Naturalisé français en 1930, il meurt à Roquebrune-Cap-Martin le 27 août 1965.