Création en 2016 d’un Conseil national de la photographie, relance de la commande publique, soutien à la profession… Avec ces initiatives, Fleur Pellerin veut faire de la photographie – un secteur en pleine vitalité artistique mais qui doit faire face à d’importantes mutations – un fer de lance de la création.
Vitalité artistique, fragilité professionnelle. Artistes, professionnels, collectionneurs ou simples amateurs, les Français plébiscitent la photographie. Preuve en est le succès du principal rendez-vous mondial de la création photographique, le salon Paris Photo, qui s’est ouvert le 12 novembre à Paris, mais aussi les nouveaux – et passionnants – territoires explorés chaque jour par des auteurs avides de créativité et d’invention. Pour autant, à côté de cette vigueur artistique, le secteur est en proie à d’importantes mutations. Ainsi, une étude publiée en mai 2015 par le ministère de la Culture et de la Communication révélait que le métier de photographe est aujourd’hui une profession « attractive mais fragilisée ». Une précarité préoccupante, dont témoignent deux indicateurs : près de 90% des photographes sont aujourd’hui des photographes-auteurs, alors qu’au début des années 1990 l’exercice de la profession s’effectuait sensiblement à parts égales entre salariat et non-salariat ; de plus, nombre d’entre eux a recours à la poly-activité ; enfin,leur revenu connaît une baisse régulière (30% des photographes déclarent que leurs revenus ont « beaucoup baissé » ces dernières années). Pour inverser cette tendance, Fleur Pellerin compte sur plusieurs atouts.
Création du Conseil national de la photographie. Véritable « parlement de la photographie », cette nouvelle structure, annoncée le 6 juillet par la ministre lors des Rencontres d’Arles, sera un « espace de dialogue entre les pouvoirs publics, les professionnels et les organismes qui œuvrent dans le domaine de la photographie » pour « accompagner les évolutions du secteur », notamment économiques et juridiques. Alors que ses travaux devraient débuter « début 2016 », le Conseil national de la photographie pourra se pencher aussi bien sur « la création que la valorisation des fonds, en passant par les nouveaux modèles économiques ou par la protection des droits d’auteurs ». Une structure attendue par les professionnels, qui sont encouragés par la ministre à en faire une « véritable force de propositions ».
Pour l’heure, Fleur Pellerin a d’ores et déjà pris plusieurs initiatives. La première concerne le salaire minimum des photo-reporters pigistes. Parce qu’ « un photojournaliste doit pouvoir vivre de son œuvre », la ministre a lancé le 4 septembre une concertation en vue de l’établissement d’un salaire minimum, comprenant notamment l’exploitation des œuvres sur Internet. Autre initiative : la ministre a confié à Francis Brun-Buisson une mission pour établir un code de bonnes pratiques professionnelles entre les éditeurs, les agences de presse et les photojournalistes. Elle devrait permettre d’aboutir prochainement à un accord.
Relance de la commande publique. Deux initiatives soulignent l’importance de la politique de relance de la commande publique photographique voulue par Fleur Pellerin. La première, due au Centre national des arts plastiques (CNAP), dresse un portrait inattendu des habitants de Borderouge, un quartier de Toulouse. La seconde, à l’initiative du ministère de la Culture et de la Communication, entend documenter en détail un paysage en voie de mutation, celui du Grand Paris. Dans les deux cas, il s’agit de témoigner. Alain Bernardini – le photographe qui a réalisé cette commande du CNAP – propose une vision détournée d’un ambitieux projet de transformation urbaine. À travers un double « recadrage » – celui de la « découpe » des images, puis celui de leur positionnement sur du mobilier urbain – le photographe explique qu’il « fait advenir un état poétique imperceptible entre le travailleur et son espace ». Une manière originale – et réussie –de renforcer la place de la photographie dans l’espace public. Autre projet : celui, ambitieux par son ampleur et par sa durée, annoncé par Fleur Pellerin au dernier Visa pour l’image : documenter à partir du début 2016 un « territoire en mouvement », celui du Grand Paris. « Il bouleversera, dans les dix ans qui viennent, le visage de l’Île-de-France, comme l’ont bouleversé avant lui les grands travaux d’Haussmann, ou ceux de Paul Delouvrier », a souligné la ministre, en appelant « les photojournalistes et la photographie documentaire » à participer à cette vaste campagne. « C’est en renouant aussi avec la commande publique que l’État contribuera à diffuser et à soutenir la photographie ».
Paris Photo, le monde de l’image en ébullition
Principal rendez-vous mondial du marché de la photographie, le salon Paris Photo, qui a ouvert ses portes le 12 novembre au Grand Palais, à Paris, est aussi – et, peut-être, surtout – une sorte de musée anarchique, un lieu fou qui explore toutes les possibilités du visible. De précieux daguerréotypes du XIXe siècle aux créations les plus récentes de Valérie Belin, en passant par les grands classiques du genre, les Brassaï, Sander, Evans, Frank, Gursky, Moriyama, Bourdin, Lartigue, Friedlander, Araki, et la photographie dite documentaire – que l’on songe seulement à l’extraordinaire série de clichés de l’US Army représentant des marines contemplant, bouche bée, le panache blanc d'une bombe atomique lors des essais au Nouveau Mexique en 1952 – Paris Photo offre en effet au visiteur un panorama époustouflant de l’activité photographique. Sans oublier la part accordée aux éditeurs, ce support essentiel de la photographie. Cette année, une nouvelle section voit le jour, consacrée aux galeries émergentes : Prismes. Et on notera également le très bel ensemble constitué par l’une des collections privées les plus importantes d’Italie, celle d’Enea Righi, illustrant des œuvres majeures de la photographie, dont celles de Cy Twombly, Nan Goldin ou encore Hans-Peter Feldmann.