La Nuit européenne des musées, dont l'édition 2019 est lancée samedi 18 mai par Franck Riester, c'est aussi une occasion unique de faire des rencontres inoubliables avec les œuvres et les collections. Comme le montre, tout au long de l'année, un dispositif original d'éducation artistique et culturelle : "La Classe, l’œuvre !" Focus sur 3 musées.

Né d’un partenariat entre le ministère de la Culture et le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, « La classe, l’œuvre ! » est une opération d’éducation artistique et culturelle adossée à la Nuit des musées. Son objectif est de favoriser le contact direct entre les élèves et les collections par le biais d’une collaboration toute l'année entre musées et établissements scolaires de proximité. À la veille de la Nuit des musées, illustration avec trois projets emblématiques menés en région Provence-Alpes-Côte d’Azur 

Musée d'archéologie d'Antibes : empreintes végétales, entre science et art

« Au musée, nous présentons beaucoup de mobiliers céramiques et archéologiques issus des fouilles terrestres et sous-marines d’Antibes, mais pour appréhender l’environnement végétal, nous n’avons pour ainsi dire pas de sources directes et exploitables. Pour cela, il faut passer par des laboratoires. L’objectif du projet était donc de mettre en relation le travail des archéologues en laboratoire et l’activité d’un musée de site », explique Elyse Poignant, responsable de gestion des collections et des médiations au musée d’archéologie d’Antibes. Le projet, « Empreintes végétales, entre science et art », conçu dans le cadre du dispositif « La Classe, l’œuvre ! » associe des lycéens de 1ère bac pro et des étudiants de BTS inscrits au Pôle de Formation Vert d’Azur d’Antibes.

Le laboratoire du  CEPAM de l’Université de Nice Sophia-Antipolis, tout près, qui abrite un laboratoire d’archéo-botanique, a été le premier à répondre à l’invitation du musée, bientôt suivi par le Conservatoire du littoral. « Nous voulions que les élèves comprennent que ce que l’on montre dans le musée n’est finalement qu’une petite partie de ce que l’on peut connaître du passé humain, qu’ils aient un recul sur les choses anciennes. Nous souhaitions également qu’ils aillent sur des sites naturels et se rendent compte de l’impact de l’homme sur l’environnement végétal. C'est pourquoi nous avons organisé une visite au Cap d’Antibes et sur le sentier du littoral ».  

Nous travaillons avec des matériaux du quotidien. Pour en comprendre le sens et la richesse, des actions de médiation, qui font appel, entre autre, à des connaissances artistiques, sont importantes

Outre cette sortie, le projet s’est construit autour de deux autres temps forts  : une visite du musée au cours de laquelle ont été présentés des restes de végétaux, dont des noisettes provenant d’une épave antique, La Tradelière, ainsi que des charbons de bois issus des fouilles du sous-sol antibois. Tout récemment, s'est ajoutée une séance de laboratoire, qui a donné lieu à plusieurs ateliers. Notamment un atelier de fouilles des restes archéobotaniques, où « le but était de savoir comment les restes botaniques sont préservés sur des sites, et comment ils sont mis au jour et récoltés, puis identifiés, par les archéologues et archéobotanistes » ; mais aussi un atelier où «  les graines et fruits qui sont retrouvés dans le contexte archéologique renseignent sur les pratiques des cultures anciennes » et un atelier sur l’archéologie du paysage, « à partir des charbons de bois, on peut savoir s’il y a eu des épisodes de déforestation ou connaître le type de plantes présente à une époque donnée ». Enfin, un jeu a permis aux élèves de prendre conscience qu’il y a beaucoup de plantes que l’on utilise aujourd’hui qui en réalité sont d’introduction récente.

La production artistique qui en résulte, autour de l’empreinte qui donne son nom au projet, a été savamment pensée pour être le plus possible en lien avec le couvert végétal. « On a choisi du martelage sur tissu, une technique ancestrale de teinture japonaise : l’empreinte végétale reste ou ne reste pas, cela dépend du tanin contenu dans la plante et de la période de végétation. Cette technique s’est faite sur de grands draps blancs, nous allons en exposer un ou deux à l’occasion de la Nuit des musées. Le but, c’est que ces draps puissent aussi à l’avenir être installés sur site naturel. Nous avons également utilisé le cyanotype, ce procédé photographique monochrome négatif ancien grâce auquel on obtient un tirage photographique bleu cyan. On peut ainsi porter l’empreinte du végétal par contraste. Une botaniste anglaise au 19ème siècle a été la première de sa profession à mettre en œuvre cette technique pour faire des herbiers ». À la veille de la Nuit des musées, les étudiants, qui pour l’occasion joueront les ambassadeurs auprès des visiteurs, ont tout lieu d’être fiers de leurs créations.

« Nous travaillons avec des matériaux du quotidien. Pour en comprendre le sens et la richesse, des actions d'explication, qui font appel à des connaissances artistiques, sont importantes. Ce projet allie toutes les dimensions. Nous avons à la fois une médiation scientifique de laboratoire avec des chercheurs spécialistes du sujet, mais aussi une ouverture artistique sur un environnement naturel. C’est peut-être le meilleur moyen pour que les jeunes, qui ont un vécu à la fois émotionnel en sensible du projet, gardent en tête ce qu’ils ont fait - et reviennent ensuite au musée », se réjouit Elyse Poignant. 

Musée des Arts et Traditions Populaires de Draguignan :  la mythologie en question

« La mythologie », le projet du musée des Arts et Traditions Populaires de Draguignan au titre du dispositif « La Classe, l’œuvre ! », s’intègre dans une opération d’éducation artistique et culturelle plus vaste - mêlant littérature, bande dessinée et cinéma - en partenariat avec la médiathèque de Draguignan, associant la classe de CM2 de l’école Marie Curie et la médiathèque de Draguignan. Il s’inscrit aussi dans le projet de liaison CM2/sixième qui unit l’école et le collège Ferrié. « C’est ce qui m’a plu tout de suite », indique Sandrine Nau, responsable de la médiation et de la communication au musée des Arts et Traditions Populaires. « En mobilisant les ressources propres au musée, en plus de toutes les autres, on arrive à un projet global qui fait sens pour l’élève ».

Pour ce projet, on a fait appel à la sensibilité des élèves. Certains élèves qui ne sont pas les meilleurs en classe, d’autres qui sont introvertis, se sont complètement révélés

La première de ces ressources, décisive, réside dans la présence d’une unité archéologie au sein du musée. « Paul Bailet, l’archéologue anthropologue qui anime l’unité, part régulièrement en mission. À son retour, cela décuple le champ des possibles en termes de médiations scolaires ».  Au cours de cet atelier, en plus d’une séance autour des dieux grecs et égyptiens, les élèves ont ainsi pu découvrir l’état des recherches effectuées dans les catacombes d’un quartier populaire d’Alexandrie,  Kom El Chougafa où des fresques à 10 mètres sous terre, invisibles à l’œil nu ont été rendues visibles grâce à des techniques de photographie aux ultra-violets, l’atelier donnant lieu ensuite à un travail de linogravure. 

Second atout, la présence d’un céramiste sous l’impulsion duquel a été lancé un travail de création avec de l’argile qui a idéalement complété le travail pédagogique, comprenant lectures de contes, et descriptions de dieux et de déesses, mené avec l’enseignante. « En tant que musée des Arts et Traditions populaires, nous avions naturellement à cœur de faire ce lien avec les métiers d’autrefois. Qui plus est, il était intéressant de créer des liens entre les différents partenaires. D’un côté, il y avait ces descriptions des dieux et déesses écrites par les élèves, de l’autre, la rencontre avec un artisan et la découverte d’un savoir-faire ». Enfin, sous la direction d’une conteuse, les élèves ont retravaillé certaines scènes de la mythologie.

L’ensemble des créations - linogravures, production dans le cadre de l’atelier de céramique, et scènes de la mythologie - sera présenté au public et devant les familles lors des Journées nationales de l’archéologie, les 14, 15 et 16 juin. L’exposition des œuvres se poursuivra ensuite jusqu’au 12 juillet. « Quand on leur a dit qu’ils allaient être exposés, il y avait la crainte de mal faire, et en même temps, ils se sont complètement pris au jeu avec le plus grand sérieux ».En attendant cette apothéose, « nous avons prévu, lors de cette Nuit des musées, de faire une déambulation contée et un spectacle de contes. Même s’il s’agit de conte provençal, nous restons donc dans cette thématique du conte ».

Alors que le projet bat son plein, Sandrine Nau est enthousiaste. Sur la dimension liaison CM2/6e, d'abord : « Le 13 juin, les CM2 feront leurs répétitions devant les 6ème. Les élèves ont appris à se connaître tout au long du projet. À la veille du passage en collège qui est une étape sensible dans la scolarité, cette proximité compte ».Mais aussi sur un autre plan : « Pour ce projet, on a fait appel à la sensibilité des élèves. Certains élèves qui ne sont pas les meilleurs en classe, d’autres qui sont introvertis, se sont complètement révélés. J’ai été frappée par ailleurs par leur aisance au dessin. Aujourd’hui, les enfants ont souvent beaucoup de difficultés à créer avec leurs mains. Je n’imaginais pas qu’ils puissent avoir un tel niveau à leur âge. Il y a de l’espoir, il n’y a pas que les tablettes ! ».

 

Musée Picasso, à Antibes : une histoire dans le tableau

« Ce projet est le fruit d’une collaboration étroite entre le collège l’Éganaude à Biot et le musée, explique Lucie Landais, médiatrice culturelle et artistique au musée Picasso d’Antibes. Au départ, avec la professeur d’arts plastiques et la documentaliste du collège, nous avons visité le musée ensemble en nous demandant quelle œuvre était la plus intéressante au regard du programme des élèves, la plus à même aussi de leur apporter une bouffée d’oxygène. Notre choix s’est naturellement porté sur le tableau Ulysse et les sirènes de Pablo Picasso ».

Un choix évident tant en raison du sujet du tableau, lequel fait directement écho à la mythologie au programme de la classe de sixième concernée par le projet, « les élèves commencent à étudier les textes fondateurs en littérature. Nous nous sommes dit qu’il n’y avait pas de meilleure œuvre pour faire le lien entre la partie scolaire et la partie arts plastiques », qu’en raison de son illustre auteur, qui n’est pas le seul artiste, contrairement à ce que le nom du musée pourrait laisser penser, dont les œuvres soient présentées.

En définitive, les élèves ont réinterprété à leur manière l’Odyssée d’Homère, s’appropriant dans un premier temps l’œuvre de Picasso, pour mieux s’en affranchir par la suite à travers leur propre regard

« Une histoire dans le tableau/ l’histoire du tableau… bref : une histoire de tableau ! » dit de façon amusante le titre du projet. « Le travail plastique a constitué la base du projet. Celui-ci s’adressait aux 6ème mais également aux CM2 de l’école élémentaire La Calade à Biot dans le cadre du projet de liaison entre les écoles primaire et les collèges. Les élèves des deux classes ont travaillé ensemble, deux par deux, ou trois par trois. C’était une façon pour les élèves de CM2 de connaître leurs camarades de 6ème avant même d’entrer au collège. Ce travail en binôme a également été très fructueux sur le plan de la création car les élèves viennent d’horizons différents ».

Cette production a aussi été l’occasion d’une réflexion stimulante sur la notion de repentir. « Cette notion est très présente dans l’œuvre de Picasso. On a donné des petits détails aux élèves, par exemple, dans l’histoire, à un moment donné, quand Ulysse arrive, il y a une berge, on ne vous a pas parlé de cette berge, où est-elle dans les peintures ? Il faudrait en rajouter une. Ulysse a des émotions, est-ce qu’on les voit dans cette œuvre ? Ce sont des petits détails. Ce n’est pas forcément dire que l’on s’est trompé, plutôt qu’on n’a peut-être pas vu dès le départ tous les éléments, et par conséquent qu’il faut trouver un moyen pour les retranscrire, les ajouter pour que le public puisse bien comprendre. Ce travail a amené de la matière et de la profondeur dans les peintures ».  Au final, les élèves ont réinterprété à leur manière l’Odyssée d’Homère, s’appropriant dans un premier temps l’œuvre de Picasso, pour mieux s’en affranchir par la suite à travers leur propre regard.

Recherches sur des textes fondateurs, restitutions écrites et orales, travail de typographie, chant… indépendamment de son volet plastique, le projet a donné lieu à une vaste production protéiforme. Dernière en date, une scénette qui sera jouée samedi par les élèves lors de la Nuit des musées en parallèle de la présentation des œuvres. « Cette scénette, montée avec leur professeur de français, sera jouée devant le tableau de Picasso. Elle va durer une vingtaine de minutes. C’est assez humoristique, les élèves sont très drôles. Ils vont se chamailler devant le tableau. Qui a raison ? qui a tort ? pourquoi Picasso a-t-il fait cela ? Avec l’humour et la légèreté, ils vont réussir à transmettre les informations nécessaires pour comprendre ce que l’on a devant les yeux ».  

« Le projet a été monté en étroite collaboration et concertation, cela dit beaucoup de nos motivations respectives. Qui plus est, nous nous adressions à deux classes dans le cadre du projet de liaison. Tout le monde y a trouvé sa place » se réjouit Lucie Landais.