L’hospitalité est l’autre nom de la diversité de la littérature d’expression française, dont "Francfort en français" sera le fier ambassadeur dans la cité rhénane. Mais que signifie précisément cette expression ? La réponse dans le troisième volet de notre série avec l'éclairage apporté par Frédéric Boyer, conseiller littéraire de la manifestation aux côtés d’Alain Mabanckou (3/5).
Pour célébrer l’ouverture du pavillon de la France à la Foire du livre de Francfort, le 11 octobre, Wajdi Mouawad fera, aux côtés de la comédienne allemande Judith Rosmair, une lecture performance sur « l’hospitalité des langues ». Qu’entendez-vous par cette expression ?
Le mot « hospitalité » s’est imposé à nous pour plusieurs raisons. La proposition faite à la France d’être invitée d'honneur d'un rendez-vous de l’édition de cette envergure est pour le moins hospitalière. Qui plus est, elle nous est adressée par un pays - l'Allemagne - dont nous sommes historiquement le plus proche en Europe. L’histoire entre la France et l’Allemagne est tragique, mais elle est aussi faite de résilience et d’hospitalité entre nos deux cultures. Si cette invitation est placée sous le signe de l’hospitalité, cela a aussi tout à voir avec la question de la traduction. Traduire, c’est un geste hospitalier envers la langue de l’autre. C’est de cette hospitalité des langues entre elles que naissent les échanges culturels, les traductions, et, par là-même, une sorte de langue commune. Enfin, l’hospitalité est un enjeu du monde dans lequel nous vivons. Les questions de la crise migratoire, de la peur de l’Autre, sont posées de façon très vive aujourd’hui dans le débat contemporain. Pour toutes ces raisons, l’hospitalité me semble un mot particulièrement désigné pour figurer les enjeux tout à la fois culturels, éditoriaux et littéraires de cette invitation.
Traduire, c’est un geste hospitalier envers la langue de l’autre. C’est de cette hospitalité des langues entre elles que naissent les échanges culturels, les traductions, et, par là-même, une sorte de langue commune
Comment cette hospitalité se décline-t-elle dans la programmation du pavillon français ?
Elle se déclinera du début à la fin de la manifestation. Dès le premier jour, des rencontres et des tables rondes réuniront écrivains français et allemands autour du thème de l’hospitalité. Par ailleurs, nous avons souhaité que le pavillon avec ses inscriptions dans plusieurs langues porte lui-même ce message du multilinguisme. Enfin, ce n’est pas la France, mais la langue française qui est invitée à la Foire de Francfort sous la bannière de « Francfort en français ».
La notion d’hospitalité renvoie plus largement à l’accueil de l’autre. Sous l’intitulé « les écrivains s’engagent » un texte a été signé par de nombreux auteurs.
Il nous semblait important que cette invitation ne soit pas confinée dans son cadre protocolaire, institutionnel et commercial. Avec ce texte autour de la reconnaissance de l’Autre, nous avons voulu, modestement, lui donner une forme de manifeste, qui résonne avec des angoisses et des incertitudes contemporaines. Comment pourrait-on plaider pour des échanges littéraires et commerciaux accrus si on ne tenait pas fermement à cette idée de se porter vers l’Autre, de lui accorder de l’intérêt même s'il est démuni et loin de nous ? Toute civilisation s’est transmise dans ce regard porté sur l’Autre, dans la façon qu’elle a eue de l’accueillir.
Cette préoccupation particulièrement brûlante résonne d’une façon très particulière...
L’Allemagne a proposé à la France d’être l’invitée d’honneur de la Foire du livre de Francfort il y a deux ans, à un moment où les morts d’hommes, de femmes et d’enfants en Méditerranée se comptaient par milliers, et où, dans le même temps, face au flux de migrants qui arrivaient, ce pays a eu un geste d’accueil fort. Nous ne pouvons pas nous détacher du monde dans lequel nous vivons et des questions qui le traversent. C’est du reste une autre dimension de cette invitation. Nous avons travaillé sur la langue française qui se déploie dans le monde entier. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’il y a des langues françaises, mais à n’en pas douter, il y a aujourd’hui une langue française multiple, diverse, qui traverse le monde, et notamment des pays touchés par ces questions de pauvreté, de migration. La langue française est un lieu où ces tensions existent.
À quoi jugerez-vous de la réussite de cet événement ?
Je vois d’ores et déjà deux premiers éléments de réussite. Au début, nous ne prévoyions d’inviter qu’une soixantaine d’auteurs. De ce point de vue, nous avons été débordés de façon extrêmement heureuse, puisque aujourd'hui, ce sont plus de 180 auteurs qui feront le déplacement à Francfort ! Par ailleurs, l’accueil réservé à cette invitation par les éditeurs allemands m’a beaucoup surpris. Tous ont été extrêmement enthousiastes. Ils nous ont tout de suite aidé. De nombreux auteurs, par exemple, sont invités non seulement dans le pavillon, mais également dans toute l’Allemagne par leurs éditeurs.
L’action du Centre national du livre en faveur de la traduction
L’action du CNL en faveur de la traduction et de l’action internationale représente 19,4% de son budget annuel. Quatre aides concernent la traduction et les traducteurs : les aides à la traduction du français vers les langues étrangères ; les aides à la traduction des langues étrangères vers le français ; les bourses de séjour aux traducteurs du français vers les langues étrangères ; les bourses de séjour aux traducteurs des langues étrangères vers le français. Dans le cadre de l’invitation de la France à la Foire du livre de Francfort 2017, le CNL a souhaité développer les traductions de et vers l’allemand. Il a été décidé en octobre 2015 de mettre en place un accompagnement exceptionnel jusqu’à 70 % des coûts de traduction.
Par ailleurs, le Centre national du livre consacre 3M d’euros à l’action internationale. Le CNL est engagé aux côtés du Bureau International de l’Édition Française et de l’Organisation internationale de la Francophonie pour l’organisation de la participation d’éditeurs francophones d’Afrique et d’Haïti à la Foire du livre de Francfort.