Symboles du dynamisme culturel des territoires, les musées en région rivalisent d’imagination – et d’expositions ! – pour être plus proches de leur public. Comme en témoignent en ce moment les propositions de Toulouse, Strasbourg et Nantes, qui ont reçu le label expositions d’intérêt national du ministère de la Culture et de la Communication.
"Les Savanturiers" au muséum de Toulouse : science, collections, aventures
Le museum d'histoire naturelle de Toulouse – deuxième en taille après celui de Paris – s'est fait une spécialité des grandes expositions patrimoniales reconnues « d'intérêt national » Citons « Préhistoire, l'enquête » en 2005-2006 et « Ours, mythes et réalités » en 2013-2014. Aujourd'hui, pour les 150 ans du museum, il présente « Les Savanturiers », en hommage aux premiers collectionneurs qui rapportèrent de leurs voyages les traces de civilisations inconnues. Comment ces expositions, qui font partie de l’ADN de la ville de Toulouse, font-elles pour attirer autant de visiteurs venus d'ailleurs ? Car il faut bel et bien se déplacer jusqu'à elles, comme l'explique Virginio Gaudenzi, directeur adjoint du museum. « Nos expositions ne sont pas prévues pour l'itinérance. Elles sont difficiles à transplanter, car les objets de nos collections sont fragiles, en particulier les objets ethnologiques et les animaux naturalisés. Certains ne sont même jamais sortis du musée, comme Moa, un oiseau géant de Nouvelle-Zélande ». Ici, dans ce cadre splendide, les collections sont chez elles. Elles profitent, en plus, d'un équipement scientifique de pointe – le museum a été refait à neuf il y a huit ans – et d'un important dispositif de médiation, « le cœur du réacteur », selon Virginio Gaudenzi.
« Un hommage aux premiers collectionneurs qui rapportèrent de leurs voyages les traces de civilisations inconnues »
Pour favoriser le dialogue public/collections, ils sont trente médiateurs permanents, tous scientifiques – géologues, botanistes, spécialistes des sciences de l'homme et de la nature. Les idées sorties de ces cerveaux font mouche. En ce moment même, le public peut assister à la phase finale de naturalisation de la girafe Twiga, opération pour laquelle le mécénat participatif a été sollicité ; il a permis de collecter 15 000 euros. Certains animaux font l'objet de dispositifs interactifs extrêmement élaborés, comme un dodo dont le musée possède deux morceaux, ou un lion des cavernes dont il conserve le squelette. « Du squelette du lion, on a tiré un montage ostéologique qui permet de reconstituer sa morphologie réelle ou supposée, mise en mouvement. Nous appelons cela de l'amuséographie ». Citons encore la « vitrine collaborative » qui appelle les visiteurs à déposer un objet de leur quotidien. Un seul critère : ils doivent le choisir représentatif de la société d'aujourd'hui, telle qu'elle sera perçue dans cent cinquante ans. Là aussi, les équipes du museum sont présentes pour guider chaque déposant dans sa réflexion.
"Tristan Tzara" au musée d’art moderne de Strasbourg : stimuler l'imaginaire des visiteurs
Au musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg, l'exposition « Tristan Tzara, l'homme approximatif », reconnue d'intérêt national, éclaire toutes les facettes de l'homme au monocle : père du dadaïsme, poète, écrivain d'art, collectionneur d'art primitif, complice des grands artistes de son temps. Poète, surtout, selon Serge Fauchereau, commissaire général de l'exposition. « Tzara est entré en poésie l'injure à la bouche , à grand bruit, comme tous les adolescents du monde. Mais le miracle est qu'il soit resté à ce haut niveau de révolte jusqu'au bout ». Le mérite de l'exposition est de rendre tangible cette dimension de provocation et d'en faire le « piment » de ses actions pédagogiques, dont l’originalité et la pertinence sont l’un des points forts pour obtenir le label « exposition d’intérêt national ». « Serge Fauchereau a donné carte blanche au service éducatif du musée pour stimuler l'imaginaire et l'inconscient des visiteurs », explique Hélène Fourneaux, attachée de conservation / médiatrice coordinatrice du musée.
« Chacun, dans ce parcours, doit pouvoir chausser son propre monocle de poésie »
Manifestement, le mot d'ordre a inspiré la douzaine de médiateurs, dont six permanents, aguerris aux techniques de médiation. « Les étudiants en architecture ont réalisé un superbe défilé de costumes et se sont initiés au charleston au cours de la Nuit des étudiants, précisémentintitulée « A dada », raconte Hélène Fourneaux. Elle-même a inventé un dispositif didactique qui permet d'aimanter, sur la tête de Tzara, les têtes de ses amis artistes et une liste de mots du vocabulaire surréaliste. Les médiateurs travaillent sur l'identité du poète : « Chacun, dans ce parcours, doit pouvoir chausser son propre monocle de poésie. Nous voulons révéler dans chacun sa capacité à être un lecteur de poésie, voire un poète lui-même ». Un bon moyen est de réinventer son propre nom, comme le fit le jeune Samuel Rosentock qui, à dix-sept ans, prenait le nom de Tzara – il signifie « triste en son pays ». Sur une grande fiche A3, des élèves du primairerécupèrent ici une bouche dans un tableau de Kandinsky, là un nez de Picasso, et composent au fur et à mesure de la visite un personnage hétéroclite, « le masque totem du petit poète qu'on aura révélé ». Les « grands » aussi peuvent fabriquer des collages, pompes à nuages à la Jean Arp, poèmes dada, cadavres exquis à la André Breton...
"Tromelin" au Château des ducs de Bretagne de Nantes : histoire romanesque, fait scientifique
Au Château des ducs de Bretagne de Nantes, l'exposition « Tromelin, l'île des esclaves oubliés », joue, quant à elle, de manière 100% pédagogique sur deux tableaux. Elle raconte un fait historique : l'histoire du naufrage, en juillet 1761, de quatre-vingts esclaves malgaches lâchement abandonnés sur une île déserte de l'Océan indien. Huit survivants seront sauvés quinze ans plus tard par le commandant Tromelin. En parallèle, elle raconte également un fait scientifique : l'histoire des quatre campagnes de fouilles terrestres et maritimes – c’est l’un des rares exemples où celles-ci ont été menées simultanément – entre 2006 et 2013. Elles permettent de comprendre comment ces six femmes – et le bébé Möïse – ont survécu. Pour Pierre Chotar, chef de projet de l'exposition, « cette histoire terriblement romanesque et triste résonne dans la mémoire de la ville, qui fut au 18e siècle la première ville négrière française. Le musée, habitué de cette thématique, sait raconter ce genre d'histoires ».
« Cette histoire terriblement romanesque et triste résonne dans la mémoire de la ville, qui fut au 18e siècle la première ville négrière française »
Le musée sait aussi développer des dispositifs d'appropriation qui entraînent irrésistiblement le visiteur dans cette histoire. Comme ce logiciel cartographique, par exemple, qui décompose les moments clés du naufrage. Ou les visites adaptées, « Au plus près de Tromelin », agrémentées d'expériences tactiles et sensorielles. Ou ce parcours expérimental inventé par le musée, qui permet au visiteur de se mettre dans la peau d'un personnage – l'archéologue Max Guérout, un marin, une captive – et de suivre ainsi l'exposition à travers son regard. Autre support inattendu de l'exposition : une bande dessinée de Sylvain Savoia qui sert à « marquer » le parcours. Pour Séverine Billot, responsable de la médiation du musée, « cette BD permet des ouvertures intéressantes. L'auteur a fait partie d'une des missions de fouilles. Il raconte la fouille de l'intérieur en redonnant la parole aux esclaves. Tout est fait du point de vue de la conscience des esclaves, avec un souci de vérification historique et scientifique poussé ». L'exposition a vocation à voyager en France et dans l'Océan indien.
Colmar : renaissance du musée d’Unterlinden
Mondialement connu pour abriter le Retable d’Issenheim, un saisissant chef d’œuvre de la Renaissance allemande signé Matthias Grünewald, le musée d’Unterlinden, à Colmar, possède aussi, on le sait moins, de passionnantes collections d’art moderne. Celles-ci répondent aux maîtres anciens, les Cranach et Holbein, dans un étourdissant jeu de mises en perspectives. Pour mieux les mettre en valeur, les espaces du musée ont été entièrement repensés par les architectes Herzog & Meuron au cours des trois ans de travaux . Résultat : lors de la réouverture du musée, qui sera inauguré le 23 janvier 2016 par le Président de la République, François Hollande, et Fleur Pellerin, la surface totale du musée aura presque doublé (elle passe de 4000 à 7 900 m2), avec notamment l’ouverture d’une nouvelle aile destinée aux collections modernes. On pourra y admirer notamment un splendide ensemble de Dubuffet, mais aussi des Soulages, Poliakoff, Nicolas de Staël, ainsi qu’une tapisserie de 7 m de long réalisée en 1976 d'après Guernica de Picasso. Après ces travaux de réhabilitation d’un montant total de 44 millions d’euros dont 17 millions à la charge de la ville de Colmar, le musée d’Unterlinden espère attirer chaque année 350 000 visiteurs, contre 200 000 auparavant, ce qui en ferait l'un des musées les plus fréquentés en régions.