Dans le cadre de sa résidence dans une école du Var, la jeune sculptrice Anna Tomaszewski a choisi d’avoir pour partenaire le chorégraphe Eric Minh Cuong Castaing, artiste associé au Ballet national de Marseille. Suite de notre série de portraits consacrée aux artistes du dispositif de résidences artistiques à l’école Création en cours (6/8).

« L’idée de participer à Création en cours est venue de notre rencontre, de notre envie commune de déplacer nos pratiques respectives, la sculpture et la danse, et de travailler avec les enfants ». Anna Tomaszewski, diplômée depuis 2014 de la Villa Arson, en résidence à l’école élémentaire Pierre Brossolette de Garéoult, petite commune au cœur de la Provence Verte, dans le Var, veille d’emblée à associer son partenaire sur ce projet, le chorégraphe Eric Minh Cuong Castaing. Venant du cinéma d’animation et s’intéressant à la question des nouvelles technologies, celui-ci a l’habitude de croiser les disciplines : « Je voulais continuer à aller vers davantage de porosité entre la danse et les arts visuels, et me pencher notamment sur la sculpture, une pratique que je ne connaissais pas. En outre, cette résidence est dans la continuité de mon travail sur l’enfance. Depuis 2013, celui-ci tourne autour d’une question précise : qu’est-ce que faire danser les enfants à travers une expérience artistique ? »

Sculpture/danse, immobilité/mobilité, image/mouvement, le travail que les deux artistes mènent avec les enfants joue subtilement de l’alternance entre ces notions duelles. « Avant le début de la résidence, j’ai demandé aux enfants de récolter des fragments d’objets fragiles, abîmés, proches de déchets, dont la forme les intéressait et portant en eux une trace de vécu, de complexité. Je leur ai également donné une contrainte de taille : il fallait que ce soit de petits objets entre 1 et 5 cm. Puis j’ai installé plusieurs micro-espaces d’exposition, avec une architecture très spécifique, des sols, des textures et des couleurs très différents, et je leur ai demandé d’y installer les objets, de faire des assemblages en jouant sur les équilibres et les formes », explique Anna Tomaszewski.

Une demande qui fait directement écho à la pratique, très influencée par la question des espaces et des rapports d’échelle, de la jeune sculptrice, lauréate du Prix de la jeune création contemporaine de la ville de Nice en 2014. Celle-ci se trouve directement interrogée par les enfants dont le corps, le regard, redimensionnent l’environnement autour d’eux. « Le fait de prendre des petits objets leur plaît beaucoup. Ils se projettent très facilement, créent très vite un imaginaire autour de ces objets que, une fois assemblés, je leur ai demandé de photographier, ce qui était une façon de poursuivre la réflexion sur les changements d’échelle. Le point de vue que l’on adopte pour prendre la photo crée un effet de trompe l’œil, donne l’impression que ce sont des espaces à l’échelle 1, une impression encore accentuée quand les photos sont cadrées au niveau du sol. Dans ce cas, elles  intensifient le degré de projection personnelle des enfants et les entraînent de manière psychique à l'intérieur de ces espaces qu'ils ont inventés ».

La danse prend ici le relais. « Je souhaitais que les enfants puissent comprendre l’immobilité et habiter la perception qu’ils en avaient. D’où un travail sur la visualisation inspiré de la danse buto [une pratique chorégraphique traditionnelle au Japon NDLR] par lequel dans une forme d’écoute du monde extérieur et d’apprentissage de la lenteur, ils entrent dans un état du corps différent de leur corps d’enfant. L’enfant a un rapport au temps et au corps très différent de nous. Sa façon d’assimiler les informations est beaucoup plus directe, son rapport au corps désinhibé. Il va plus facilement être en empathie avec son environnement et plus à même de créer des paysages très ralentis », explique Eric Minh Cuong Castaing. Un travail qu’il a conduit avec les élèves de CM2 participant à la résidence mais aussi, dans le cadre d’un geste fédérateur – « chorégraphier une cour de récréation » – avec l’ensemble des classes et, par extension, l’école toute entière. 

L’intrusion de la création dans une école change les règles. Cela dessine une sorte de constellation, une imprégnation à différentes échelles

En ligne de mire pour les deux artistes, une performance dans un centre d’art où les enfants, grâce à une projection des photos agrandies de leurs maquettes, danseraient au milieu de leurs propres sculptures. Mais aussi un projet de film. Anna Tomaszewski et Eric Minh Cuong Castaing, soucieux de ne rien précipiter et de tirer pleinement profit de l’expérimentation avec les enfants – l’atelier se terminera en juin – travaillent sur différentes hypothèses de scénographie, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’école.  « L’intrusion de la création dans une école change les règles. En outre, sur ce projet, nous sommes deux. Cela dessine une sorte de constellation, une imprégnation à différentes échelles, un rapport naturellement très étroit avec les classes dans lesquelles nous intervenons, un rapport plus périphérique avec les autres, mais toute l’école est concernée », constate Eric Minh Cuong Castaing.

Depuis le début du projet, l’enthousiasme des deux artistes ne se dément pas. « L’équipe pédagogique est très mobilisée, tout est parfaitement organisé, cette résidence est vécue par tous comme une chance », déclare Anna Tomaszewski. « Les enseignants ont à cœur de prolonger notre présence, si nos pratiques pouvaient se distiller dans leurs enseignements, ce serait formidable. Je les encourage à faire des maquettes représentant une scène de théâtre, à organiser des lectures poétiques autour de la métamorphose, à lire des poèmes autour de la sensation, à montrer des dessins autour de la morphologie », poursuit Eric Minh Cuong Castaing.

Surtout, les enfants ne cessent de les émerveiller : « Ils sont à un âge où ils pensent par eux-mêmes et ont une incroyable faculté de concentration que favorise peut-être le calme et la nature autour d’eux. Ils sont aussi à l’aise dans les deux pratiques et parfois ont une approche quasiment professionnelle. On les sent profondément joyeux de vivre cette expérience, cela crée une dynamique qui va se ressentir dans la forme que l’on va épouser. C’est la première fois que je travaille avec des enfants et je ne cesse d’apprendre à leurs côtés », conclut Anna Tomaszewski.