Féminisme, droits de l'homme, stockage sur ADN... les Archives nationales s'inscrivent au cœur des grands enjeux de notre temps.

Riche actualité, ces dernières semaines, pour les Archives nationales ! Cette institution, dévolue à la mémoire et à l’histoire de la Nation, tient, à la disposition de tous, de quoi interroger l’avenir au moyen du passé. Pour ce faire, elle collecte, classe, inventorie, conserve, restaure, communique et met en valeur des archives publiques qui remontent jusqu’au VIIe siècle, sur ses deux sites de Paris et de Pierrefitte-sur-Seine. Retour sur quatre événements récents qui inscrivent l’institution dans une conception résolument moderne de ses missions.

Les archives de Gisèle Halimi (1927-2020)

Comment ne pas saluer leur entrée aux Archives nationales ? La vie, la carrière et l’œuvre de Gisèle Halimi traversent les crises et les problématiques historiques les plus sensibles du XXe siècle, dont les nôtres sont les héritières directes : la décolonisation, le féminisme, la dépénalisation de l’avortement, notamment. Son activité fut, dès ses débuts, celle d’une avocate et son engagement fut celui d’une haute conscience politique. Elle a contribué, avec quelques autres (on songe d’emblée à Robert Badinter et à Simone Veil), à transformer profondément les mentalités et les lois. Elle poursuivit son action dans les instances internationales (ambassadrice auprès de l’UNESCO, conseillère spéciale à la délégation française de l’Assemblée générale des Nations unies). Dossiers d’avocate, archives liées à son association « Choisir », manuscrits, correspondances, photographies, archives personnelles, autant de documents précieux pour l’étude de cette figure de l’histoire, et notamment de l’histoire des femmes, au XXème siècle.

Gisèle Halimi

Le cycle « Les Essentiels »

Au même titre que les cathédrales, certains actes de papier doivent pouvoir être admirés pour eux-mêmes. Les historiens, en effet, ne sont pas les seuls concernés par les archives. La preuve en est que ces dernières s’élèvent parfois avec évidence au rang de véritables trésors nationaux, qu’il convient de valoriser dans une optique patrimoniale. C’est pourquoi le ministère de la Culture et les Archives nationales ont lancé, en septembre 2021, le cycle Les Essentiels.

Il s’agit d’exposer à l’hôtel de Soubise, tous les trois mois, l’un de ces documents uniques et emblématiques de notre histoire. A tout seigneur tout honneur, la version originale de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui, aux yeux du monde entier, désigne notre pays (« la patrie des droits de l’homme »), se devait d’inaugurer le cycle. Elle est exposée jusqu’au 3 janvier 2022, aux côtés de la Constitution de 1791 dont elle formait le préambule. Cette dernière fut gravée sur une plaque de bronze destinée à être placée dans la colonne de la Liberté qui devait être érigée à l’emplacement de la Bastille… mais cette constitution monarchique fut balayée par la journée du 10 août 1792, qui conduisit à la 1ère République. Les révolutionnaires pilonnèrent ladite plaque, ils en firent une compression, du César avant l’heure, qu’on peut voir également à l’hôtel de Soubise.
La prochaine exposition du cycle sera consacrée au décret d’abolition de l’esclavage de 1848. Ensuite, le choix des documents mis à l’honneur sera fait par le public lui-même, sur place et en ligne, à partir d’une liste indicative que chacun sera libre de compléter lui-même.

#Culturecheznous : l'Hôtel de Soubise + présentation de l'exposition "Les Essentiels"

L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert exposée à Dubaï

Avec 190 pays participants, l’exposition universelle de Dubaï, qui a débuté le 1er octobre dernier et bat son plein jusqu’au 31 mars 2022, se présente elle-même comme « la plus grande vitrine de l’intelligence humaine et de ses prouesses ». Elle s’est donnée pour mot d’ordre : « connecter les esprits, construire le futur. » L’occasion était belle, au pavillon de la France, à côté des fleurons nationaux de la recherche scientifique et de l’innovation technique, des champions de notre économie et du meilleur de l’architecture et des artistes contemporains, de montrer la longue tradition de l’esprit des Lumières dans notre pays. Les Archives nationales, à ce titre, disposaient d’un chef-d’œuvre patrimonial unique : l’édition originale de L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, de Diderot et D'Alembert, qui a été choisie pour être exposée à Dubaï.

Pendant vingt ans, de 1751 à 1772, le philosophe et le mathématicien ont travaillé d’arrache-pied à réunir contributeurs et contributions pour ce projet fou : une photographie de tous les savoirs et de toutes les techniques du temps, qui sera diffusée (car le succès fut immédiat) dans toute l’Europe. Cette œuvre de papier manifeste tout l’enthousiasme d’une époque qui voit le progrès enraciné dans l’usage de la raison. C’est peut-être là, sous forme immatérielle, la toute première exposition universelle !

L’encyclopédie de Diderot et d’Alembert

Une première mondiale : des archives gravées sur des brins d’ADN

On l’a compris, l’archive n’est pas qu’un simple dépôt. L’archive, comme la lampe d’Aladin, enferme du génie. Mais elle demeure encombrante. Sous forme de papier et de dossiers, elle occupe des kilomètres linéaires de rayonnage. Et le stockage numérique, on commence à s'en apercevoir, se révèle, lui aussi, très embarrassant ! L’archive numérique est en effet plus fragile (il faut la remplacer tous les 5 à 7 ans !), plus volumineuse (la totalité des « data centers » dans le monde occupe un espace une fois et demi supérieur à la surface de Paris), et énergivore (2% de la consommation électrique mondiale). Son empreinte carbone est supérieure à celle de l’aviation civile. De plus, les capacités actuelles de stockage diminuent !

Alors pourquoi ne pas utiliser une forme toute naturelle de stockage de données : l’ADN, le support de l’information génétique ? L’idée est dans l’air depuis la fin des années 1950. La première démonstration significative d’un tel usage date de 2012. La méthode, sur le papier, est très simple : transformer les données numériques binaires (0 ou 1) en données quaternaires. Pourquoi « quaternaire » ? Parce que l’ADN et sa double hélice fonctionnent avec quatre briques, les « nucléotides » (l’adénine, la thymine, la cytosine et la guanine). Une fois qu’on a généré de telles séquences, il ne reste plus qu’à les synthétiser chimiquement sur de petits fragments d’ADN. Il suffisait d’y penser.

Une fois réussie cette opération délicate, on dispose, pour le stockage de l’information numérique, d’une solution durable (l’ADN reste stable pendant des millénaires – rappelons-nous le génome complet obtenu à partir d’une défense de mammouth d’un million d’années !), non énergivore (l’ADN demeure stable à température ambiante sans apport d’énergie), et extrêmement compacte (450 millions de To par gramme d’ADN, ce qui signifie que l’intégralité des données mondiales occuperait le volume d’une tablette de chocolat).

Bref, une technologie promise à un grand avenir, mais en proie à des difficultés techniques et financières qui la rende encore problématique. C’est pour lever une part de ces difficultés que Stéphane Lemaire et son équipe du CNRS (Laboratoire de biologie computationnelle et quantitative du CNRS/Sorbonne Université) ont ajouté une nouvelle révolution à cette technologie déjà révolutionnaire : délaisser la technologie de stockage basée sur des méthodes chimiques, physiques et mathématiques, pour passer à des méthodes directement biologiques. La lecture, la copie, l’édition, la correction des erreurs, l’amplification du signal, etc. sont, en effet, des opérations qui existent déjà dans le vivant ! Reste donc simplement, et là aussi il suffisait d’y penser, à domestiquer et adapter ces processus naturels pour les mettre au travail du stockage de données.

Afin de prouver l’acquisition maîtrisée de cette nouvelle technologie dite « DNA Drive », Stéphane Lemaire s’est rapproché des Archives nationales et leur a proposé d’enregistrer officiellement, première mondiale pour une institution publique, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (rédigée par Olympe de Gouges en 1791). Le projet a été également mené en partenariat avec Twist Bioscience, entreprise américaine spécialiste de la synthèse d’ADN, et Imagene, entreprise française spécialiste de la conservation à long terme de l’ADN.

Les capsules contenant les deux DNA Drive ont été exposées lors de la conférence de presse du 23 novembre 2021, et officiellement été enregistrées par les Archives nationales comme premières archives sous forme ADN. Elles sont désormais conservées dans l’Armoire de Fer, qui contient les plus précieux documents des Archives nationales.

Livret ADN - DDHC.pdf

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Archives de la guerre d’Algérie : accès avancé de 15 ans

La ministre de la Culture vient de le rappeler sur BFMTV : « On ne construit pas un roman national sur un mensonge. » Certes, le roman n’est pas le récit, scientifiquement fondé, d’un historien, mais il incombe au roman d’être dans le vrai, et chacun y est extrêmement sensible. Ainsi, qu’on le veuille ou non, seule la vérité historique peut infuser un roman national qui fasse consensus. 

Mais combien de temps faut-il laisser vieillir les archives avant de pouvoir les étudier en historien ? La réponse du législateur a peut-être perdu un peu de sa pertinence aujourd’hui, notamment au sujet de la guerre d’Algérie, qui s’est terminée il y a soixante ans. Il est temps d’ouvrir ces archives, afin de disposer d’une part considérable d’éléments qui manquent aux chercheurs.

L’enjeu est de partager cette connaissance, et de lever l’hypothèque qui pèse encore trop souvent sur la conscience de chacun, des deux côtés de la Méditerranée.