A partir du 20 mai, le Pavillon français de la Biennale d’architecture de Venise, conçu par l’agence Muoto, va se mettre à l’heure de toutes les « utopies » en proposant un « laboratoire des identités, des lieux et des imaginaires ».

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Jos Auzende, Yves Moreau, Clémence La Sagna, Anna Tardivel, Georgi Stanishev et Gilles Delalex.

C’est une proposition « expérimentale » et « festive » qui va faire scintiller, du 20 mai au 26 novembre prochains, le Pavillon français de la Biennale d’architecture de Venise. Sous le titre « Ball theater – La fête n’est pas finie », l’agence Muoto, associée à Georgi Stanishev et Clémence La Sagna pour la scénographie, Jos Auzende, commissaire associée, et Anna Tardivel pour la programmation, a conçu un audacieux théâtre hémisphérique, véritable pavillon dans le pavillon, destiné à accueillir toutes les « utopies ».

« “Ball Theater - La fête n’est pas finienous invite à vivre une expérience sensible, celle d’une architecture-théâtre, composition scénographique et sonore, ouverte sur le monde et réceptive à ses préoccupations, qu’elles soient d’ordre écologique ou sociétal », explique Erol Ok, directeur général de l’Institut français, l’opérateur du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et du ministère de la Culture.

Réveiller l’utopie

Ball Theater veut « réveiller l’utopie en nous, comme le résume Gilles Delalex, co-fondateur de l’agence. Le théâtre est un laboratoire des identités, des lieux, des imaginaires. Nous avons imaginé tout un dispositif pour nous projeter dans un ailleurs, ne pas être dans la rétrospective mais la prospective. » Sa forme et sa matière rappelle sans conteste la boule à facette, icône un peu kitsch de la fête. « Ce théâtre a vocation à nous interroger, on aimerait soulever des questions. La boule à facettes nous fait dire que la fête est encore possible », reprend Gilles Delalex.

Ce théâtre hémisphérique sera à la fois un lieu de représentation, de création et d’expérimentation qui accueillera des chercheurs, étudiants, artistes et penseurs pendant toute la durée de l’événement. La mise en scène n’est d’ailleurs pas imaginée comme un face-à-face entre spectateurs et comédiens mais comme un lieu pour tenter des expériences en plaçant les visiteurs au centre d’une scène, les invitant ainsi à l’intervention et à la prise de risque.

Structure légère en acier

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L’équipe a fait le choix d’une structure légère pour voyager facilement grâce à 21 méridiens et 13 parallèles en acier et trois cents segments boulonnés entre eux et une surface extérieure couverte de fines feuilles d’aluminium. La demi-sphère est posée au sol sur une platine circulaire et les réseaux électriques apparents donnent la sensation que le théâtre en encore en construction. « Il ressemble à un vaisseau qui se serait posé, un chantier entamé mais pas achevé, décrit l’architecte et scénographe Georgi Stanishev. L’extérieur est habillé d’une surface réfléchissante. On le contourne et on arrive sur une face creuse avec un micro au centre de la scène. »

Dans une salle attenante, le Ball theater a en effet été équipé d’outils rudimentaires pour écouter, capter, émettre des sons - microphones, haut-parleurs, projecteurs... – mais aussi d’une série d’objets trouvés. On retrouve par exemple un tourniquet sur pylône, une toupie, un enrouleur, un miroir ou un escabeau. « Ces objets ont été construits à partir de jeux d’enfants à la casse qui peuvent revivre et être le support d’expositions joyeuses », poursuit l’architecte et scénographe Clémence La Sagna.

Un soin particulier a été apporté à l’univers sonore de ce théâtre avec « une programmation, un univers fictionnel et mythologique » complète Clémence La Sagna. Le visiteur se trouve en effet plongé dans un environnement fait de bruits, de chants, de murmures, de chuchotements qui rebondissent d’une salle à l’autre. L’espace sonore va évoluer au fil du temps grâce à un dispositif d’intelligence artificielle et un système original de haut-parleurs. De quoi revenir à une démarche d’écoute lente dans un monde saturé de signes et d’images. L’installation a été imaginée par l’équipe son du théâtre, le compositeur Pilooski et les ingénieurs Alain Français et Thomas Fourny.

Du Ball aux bals

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Pendant six mois, la vie du Ball Theater va alterner entre des temps de contemplation - avec les visiteurs - et d’occupation avec les bals. Ces événements ponctuels permettront de croiser les disciplines et de rapprocher l’art, l’architecture et la recherche. La fête va donc prendre un tour très concret.

Ils s’inspirent de la Ball Culture née à New York dans les années 20 où les balls étaient des lieux d’émancipation et de revendication identitaire, de danse et de fête pour les communautés LGBT afro-américaine et latino en réponse au racisme et à l’homophobie. Dans les années 60 et 70, les ballrooms deviennent des lieux de sociabilité gays et lesbiens. « C’est pendant les fêtes que s’invente le monde. Nous voulions renouer avec cette longue histoire de bal clandestins avec ses revendications », explique la commissaire associée Jos Auzende.

Ces bals prendront la forme de résidences-ateliers. « Ils seront ouverts au public une semaine par mois avec des architectes, chercheurs et artistes qui explorent l’utopie et les futurs désirables. Le public assistera au processus de création », souligne Anna Tardivel, en charge de la programmation. Parmi ces événements, un bal en hommage aux bals de travestissement et au voguing avec deux créatures queer qui reviendront sur l’histoire utopique des bals interlopes, du travestissement et du transformisme depuis le début du XXe siècle. Radio utopia réunira sur ses ondes une équipe de chercheurs sur le son dans un studio ouvert au public. Pendant une semaine, des émissions sont programmées en continu avec des architectes, acousticiens, chercheurs étudiants qui capteront la voix du monde.

Les étudiants des écoles d’architectures sont associés à cette programmation. Ceux de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Étienne vont questionner sous la forme de la radio After the revolution les relations entre l’architecture et les phénomènes révolutionnaires tandis que l’ENSA Bretagne propose de s’immiscer dans le Ball Theater pour en faire le laboratoire « d’un basculement joyeux ritualisé ».

« Ball theater – La fête n’est pas finie » est un projet conçu en partenariat avec l’École nationale supérieure d'architecture de Paris-Malaquais. Il a été réalisé par l'agence Muoto, cofondée par Gilles Delalex, enseignant à l'ENSA Paris-Malaquais et codirecteur du laboratoire LIAT de l’ecole (Laboratoire infrastructure, architecture, territoire) ; 8 étudiants de l ENSA Paris-Malaquais ont participé au projet ; le laboratoire LIAT prendra part aux événements qui animeront le pavillon ; le catalogue du projet est co-financé par l ENSA Paris-Malaquais.

 

Une odyssée post-Biennale

Le projet Ball Theater s’inscrit dans une stratégie bas-carbone en limitant les deux premiers facteurs d’émissions liés à sa fabrication : les déplacements et la production de matériaux. Pour cela, l’équipe lauréate a imaginé un dispositif qui puisse facilement voyager et être réutilisé avec des gradins légers, modulables et démontables construits avec un minimum de matière. Le son et les objets peuvent aussi être mobilisés à part. L’ensemble de l’installation est produit par des artisans de la région vénitienne afin de réduire les déplacements de matière. Enfin le théâtre respecte la logique de réemploi puisque tous les objets et la salle satellite ont été chinés et restaurés sur place. Après la Biennale, l’itinérance se poursuivra avec un objectif : l’acquisition définitive du théâtre par l’une des institutions qui l’accueillera.

L'équipe a enfin imaginé une fiction architecturale qui prend la forme d'un roman-photo. Lorem ipsum est ainsi né de la rencontre entre l'auteur Ugo Bienvenu et les architectes du Pavillon français de la 18e Biennale d’architecture de Venise. Son titre fait référence au texte de remplissage temporaire utilisé dans le milieu du graphisme et de l’imprimerie.