Action emblématique du partenariat Culture-Justice, « Des cinés, la vie ! » est un dispositif national d’éducation à l’image pour les jeunes pris en charge par la Protection judiciaire de la jeunesse. Sa dernière édition, qui s’est terminée le 28 mars à la Cinémathèque française, avait pour thème : le lien. C’est précisément en écho à ce thème que s’est tenu un atelier sur « Le dialogue amoureux ». Notre reportage sur cette séquence passionnante.

« La collection de la Cinémathèque française est l’une des plus riches au monde », explique Clary Demangeon, responsable du secteur initiation du service pédagogique de la Cinémathèque française, aux jeunes du dispositif « Des cinés, la vie ! ». Une manière de souligner que cette collection est aussi une des plus propices à nourrir le dialogue avec eux. Les jeunes ne s’y trompent pas, qui multiplient les références à l’histoire du cinéma : « Chaplin ! », « les frères Lumière ! ». Et qu’en est-il du « dialogue amoureux », thème de l’atelier auquel ils sont venus participer ? Clary Demangeon répond à cette question par une autre question, lançant les débats : « Comment fait-on comprendre ses sentiments à l’autre ? »

Comment fait-on comprendre ses sentiments à l’autre ?

De fait, d’un bout à l’autre de l’atelier, au gré des quatre extraits de films choisis pour illustrer le sentiment amoureux – L’esquive d’Abdellatif Kechiche, À bout de souffle de Jean-Luc Godard, Conte d’été d’Eric Rohmer, Peau d’âne de Jacques Demy – l’échange entre la conférencière et les adolescents, filles et garçons âgés de 15 à 18 ans, est vif, précis – très souvent drôle, aussi. « Ils sont filmés en gros plan, assis, parfois dans le même cadre », commente un jeune à propos de la scène où Krimo se déclare à Lydia dans L’Esquive.  « Elle veut un couple comme Roméo et Juliette », poursuit un autre au sujet du personnage joué par Jean Seberg dans À bout de souffle. À l’invitation de la conférencière, qui met en lumière ce que les choix de mise en scène soulignent ou révèlent de la psychologie des personnages, les interventions s’enchaînent. À l’évidence, ces jeunes ont des bases solides. C’est que, depuis quelques mois, ils n’ont cessé d’exercer leur œil, en découvrant les films sélectionnés pour cette édition de « Des cinés, la vie ! ».

Le personnage joué par Jean Seberg dans À bout de souffle ? « Elle veut un couple comme Roméo et Juliette », analyse un jeune !

Mise en place en 2006, « Des cinés, la vie ! » est une opération destinée à sensibiliser à l’image les jeunes pris en charge par la Protection judiciaire de la jeunesse. Pendant plusieurs mois, accompagnés par leurs éducateurs et des professionnels du cinéma, ils voient une sélection de films et en débattent. Chaque jeune vote ensuite pour le film qu’il a préféré, l’ensemble des votes donnant lieu à l’attribution du prix « Des cinés, la vie ! » au réalisateur du film plébiscité au cours d’une journée à la Cinémathèque française. Cette année, la sélection est riche : Une biche de Noémie Merlant, Quand passe le train de Jérémie Reichenbach, Pépé Le Morse de Lucrèce Andreae, Retour à Genoa City de Benoît Grimalt, J’mange froid de Romain Laguna, Copier-cloner de Louis Rigaud, Benidorm de Raphaëlle Tinland, Yuyu de Marc Johnson, Train de vie de Lisa Matuszak, Derrière le nuage de Baer Xiao, Les Indes Galantes de Clément Cogitore, Nuit debout de Jean-Charles Paugam. Fiction, documentaire, animation, les douze films retenus pour cette édition sur le thème du lien n’ont pas dérogé à la règle d’une sélection variée en termes de genre, de durée, de diversité géographique, d’approche et de sensibilité des réalisateurs. Difficile d’imaginer meilleure préparation avant l’atelier sur le dialogue amoureux.

Le sentiment amoureux est un sujet intime mais que tout le monde connaît

« J’ai tout de suite senti leur intérêt. Ils comprenaient très bien ce qui était en jeu dans l’extrait et arrivaient parfaitement à exprimer et à analyser les sentiments entre les personnages. Cela a rejailli dans ce qu’ils ont repéré et identifié dans la mise en scène. Le sentiment amoureux est un sujet intime mais que tout le monde connaît. Même si certains n’avaient pas vraiment envie de s’exprimer directement, je percevais une très grande attention sur les visages », observe Clary Demangeon.

« Les extraits étaient très bien choisis, on a appris beaucoup de choses sur la réalisation », confirme Matyssa de l’Unité éducative en milieu ouvert (UEMO) d’Ajaccio. Une opinion partagée par son camarade Emmanuel. « On sait quel but les personnages poursuivent, du coup, on se sent proches d’eux. Il y a différentes façons de montrer ses sentiments à quelqu’un. C’est ce que nous montraient les différents extraits », conclut-il.

Jeunes, techniciens, réalisateurs… ils sont tous très impliqués dans « Des cinés, la vie ! »

Projections, visites, rencontres… sous la houlette de l’association Passeurs d’images, qui pilote le dispositif pour les ministères de la Culture et de la Justice, le programme de la 13e édition de « Des cinés, la vie ! », qui s’est tenue les 27 et 28 mars, n’a jamais été aussi riche. « C’est la première fois que les journées de valorisation à Paris se déroulent sur deux jours. Nous en sommes très heureux. Hier, quatre-vingt jeunes venus de toute la France ont participé aux ateliers de notre « parcours images » organisés à la Maison du geste et de l’image, à la bibliothèque François Truffaut, à l’École des Gobelins, au Forum des images, et à l’Agence du court métrage. J’ai pu constater à quel point les jeunes étaient impliqués. Huit réalisateurs ou membres des équipes techniques des films sont présents pour la remise du prix. Là aussi, c’est une première. Notre démarche a consisté à les impliquer dès le début. Des rencontres avec les jeunes ont ainsi étaient organisées pendant toute la durée de l’opération », se félicite Santiaga Hidalgo, chargée de l’opération à la coordination nationale de Passeurs d’images. À l’heure de la remise du prix, devant une salle Henri Langlois enthousiaste, c’est J’mange froid de Romain Laguna qui est récompensé. Le réalisateur et son interprète, le charismatique rappeur toulousain Melan, se prêtent volontiers au jeu des questions réponses pour le plus grand plaisir des jeunes. « C’est un très bon choix, même si j’aimais beaucoup aussi Train de vie », se réjouit Axel de l’UEMO d’Ajaccio.