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Dès le début de son activité picturale, Claude Pasquer s'est délibérément placé dans la lignée des artistes modernistes de l'art construit. Reprenant à son compte la définition historique d'une peinture dans laquelle les variations qu'autorise la mathématique se substituent à l'imagination de l'artiste, sa position hérite à la fois des mouvements de l'abstraction concrète, (ordre, géométrie, jeu des permutations, sérialisme) mais aussi des expériences du process art et de l'art conceptuel des années soixantes. Selon les dogmes orthodoxes de l'abstraction, toute composition repose sur une logique combinatoire et l'oeuvre est exécutée à partir d'un protocole prédéfini. S'en tenant strictement aux formes géométriques et à la ligne droite, (orthogonales ou diagonales) il limite sa palette au noir et blanc et aux trois couleurs fondamentales, jaune, rouge et bleu. A partir de ces données réduites, il établit des chartes de trames compositionnelles qui constituent une oeuvre potentiellement sans limites. Dans la stricte logique de l'effacement du geste, la peinture de Claude Pasquer est appliquée au rouleau de façon à éliminer tout effet subjectif de touche. Les surfaces sont traitées en aplats. La totalité de la surface du tableau - chants inclus - est prise en compte. La conception du tableau comme un ensemble de châssis indépendants - considérés comme autant de modules - permet de poursuivre la composition de façon complexe en reportant la permutation sur la fragmentation du tableau en polyptyque. Si les modules sont en continuelle recomposition, les séries projettent toujours de nouvelles combinaisons plastiques. Par conséquent, l'oeuvre engendre sa propre dynamique. Elle est en perpétuel devenir. Qu'importe alors si, de toutes les séries pensées, préméditées, calculées, dessinées et répertoriées, seules quelques figures ou agencements de figures trouvent l'opportunité d'être mises en oeuvre. Le visiteur comprend très vite qu'il entre dans un jeu qui sollicite à la fois le regard et l'esprit. Ainsi se développe une esthétique de la satisfaction logique, dans laquelle l'affect et le sensible sont indexés sur la complexité de la pensée et sur une absolue simplicité de la facture. La perfection picturale s'adresse ici simultanément à l'esprit et au sensoriel. Mais le jeu des permutations, si riche soit-il, finit par s'émanciper de ses prémisses historiques et de ses modèles tutélaires. une mutation déterminante s'opère dans l'oeuvre par le procédé du recouvrement. Progressivement le jeu combinatoire des couleurs va se voir enfoui sous une couche de peinture noire et dense, appliquée en aplat, ouvrant la voie à une esthétique de l'occulté, de l'entrevu, du deviné, du résiduel. Dans un premier temps les permutations colorées ne sont que partiellement recouvertes d'un noir intense. C'est la série des "Partition" dans laquelle les trois couleurs sont encore présentes en résidus linéaires sur la face du tableau, donnant à lire un rythme coloré qui n'est pas ordonné par l'artiste mais par le protocole qu'il exécute. Ainsi des traits verticaux de trois couleurs apparaissent comme inscrits sur fond noir, alors qu'il s'agit des interstices laissés par le recouvrement. La pratique du recouvrement va ensuite se radicaliser, occultant toute la face du tableau. Nous sommes passés à la phase des "Silence". Oblitération symbolique éloquente, le noir absorbe toutes les couleurs. Le tableau se charge d'une retenue intérieure, de l'intensité d'une lumière ensevelie. A première vue, l'oeuvre revêt alors l'aspect d'une simple combinaison de monochromes noirs. Mais la technique de l'aplat neutre permet de laisser pressentir, par le relief, la présence de couches enfouies et de ce fait, de deviner le glissement des couleurs dont ne subsistent que des indices périphériques. Le jeu est désormais masqué sous l'évidence d'une réalité physique opaque et frontale. Mais surtout, on peut lire encore sur la tranche des tableaux qui reste intacte le sys tème de composition colorée qui a présidé à sa création. Au fur et à mesure qu'il avance dans cette série des "Silence", Claude Pasquer va simplifier encore sa pratique : la conception du tableau elle-même s'est modifiée. Chaque oeuvre est un ensemble repositionnable, donc recomposable de modules carrés, désormais monochromes, totalement recouverts de noir, et dont seul le chant coloré indique la couleur d'origine. L'oeuvre ne repose donc plus que sur l'agencement des modules entre eux et sur ce qu'on peut percevoir de leur chant. L'espace ménagé entre chaque élément équivalant à l'épaisseur du châssis. Pourtant et presque paradoxalement, la couleur continue à s'imposer, comme par émanation, comme par résonance, par l'interaction d'un chant sur l'autre et par le reflet vibrant qu'elle diffuse sur la blancheur du mur. Hubert Besacier.
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