Historique
|
L'attribution actuelle de ce tableau donné auparavant à l'école française du 17e siècle est due à Monsieur J. Foucart. La peinture d'intérieurs d'églises apparut en Flandres vers 1570 avec Steenwick l'Ancien. Ce genre nouveau représente un aspect particulier de la peinture d'architectures, qui prend ses racines dans les réalisations perspectives imaginaires de Hans Vredeman de Vries (1527 - 1606). A côté des vues de villes, d'extérieurs de bâtiments, les intérieurs d'églises sont un type spécifique qui se développa à Anvers, Delft et Haarlem tout au long du 17e siècle. De nombreux peintres, flamands puis hollandais, se spécialisèrent dans ce genre, dont la vogue se répandit en Europe. Les architectures imaginaires de Vredeman de Vries, publiées dans des recueils d'estampes, servirent de source d'inspiration aux peintres d'architectures. Même les grands maîtres comme Dirck van Delen (1604/05 - 1671) utilisèrent ces estampes (Vermet, 1995, p. 33). L'Intérieur d'église de Van Baden est un exemple représentatif de cette pratique : nous avons pu retrouver l'estampe qui servit de point de départ au peintre pour réaliser son tableau. Hans J. van Baden, d'après Vermet, avait été élève de van Delen (Vermet, op.cit., p. 42). Il avait pu ainsi avoir accès aux collections de son maître. Van Delan possédait 388 gravures et 41 livres de dessins et d'estampes, dont il se servait pour exécuter ses tableaux. Parmi cette collection devait figurer le recueil Architectura de Paul et Hans Vredeman de Vries, de 1606-1607, dans lequel van Baden choisit la gravure intitulée Templum Introspicientibus modernum pour peindre son Intérieur d'église (Architectura. Die hooghe en vermaerde conste in viif manieren van Edifitien, La Haye, 1906. Edité en quatre langues). Il reprend dans sa composition la même structure d'édifice que celle de la gravure, à laquelle il apporte peu de modifications, s'inscrivant au plus près de son modèle graphique. On retrouve sur sa toile les trois nefs aux piliers fasciculés fins et élancés, le jubé tripartite en avant du cheur, et le vaste narthex qui contient sur la droite un tombeau monumental et un double escalier. Le peintre s'attache à un rendu minutieux du décor sculpté, et il ajoute des détails comme la chaire et les pierres tombales disposées sur le dallage, ainsi qu'une foule vivante de personnages, dont la présence adoucit la sécheresse de la perspective. Dans un souci de monumentalisation, il modifie dans son tableau les lignes perspectives de la gravure de Vredeman de Vries : il augmente la hauteur par rapport à la largeur, en étirant la longueur des colonnes et des arches, pour accentuer le caractère élancé du style gothique. Il dispose les lignes du carrelage de manière longitudinale, pour accroître le sentiment d'une distance infinie entre le premier plan et le fond du tableau. Il minimise la taille des figures pour donner encore plus d'ampleur à l'édifice. Dans ce tableau, l'espace se développe à la fois en hauteur et en profondeur, van Baden opérant une synthèse entre l'art de Steenwick le Jeune, qui utilise l'effet de la voûte, et l'art de Pieter Neef, qui montre la vue en plan du sol. L'effet de profondeur donné par les rangées de piliers est renforcé par la présence des personnages, dont la taille va en décroissant très rapidement vers le fond, dans une perspective accélérée, contribuant à créer une impression d'infini. Les jeux subtils d'ombre et de lumière sur les voûtes et les colonnes participent à cette organisation spatiale rigoureuse. Le contraste entre les ombres profondes du premier plan et les parties claires des lointains est rendu de manière toute nouvelle, s'adoucissant au fur et à mesure de la progression vers le fond de l'édifice, pour conduire l'oeil du spectateur vers un espace symbolique baignant dans une lumière presque éblouissante, qui décolore les pierres. L'axe de la composition, qui semble partager les deux parties de façon parfaitement symétrique est très légèrement décent ré vers la droite, ce qui permet à la lumière de pénétrer plus largement à travers des baies élargies. Exprimée par des tons de bruns et de gris argentés raffinés, qui distinguent l'art de van Baden de ses modèles flamands, l'ambiance lumineuse du tableau, presque surnaturelle, caractérise au mieux la particularité des églises des Pays-Bas à cette époque, qui faisaient l'admiration des voyageurs de passage : " On a un très grand soin de laver les vitres plusieurs fois dans l'année : celles mêmes qui sont les plus élevées et qui touchent aux voûtes, ce qui fait que les églises ne sont point obscures, mais toujours très claires ; à quoi ne contribue pas peu encore la blancheur des murailles ... "(Lemaître, [1681], p. 232). L'artiste anime les sévères lignes perspectives en plaçant une multitude de petites figures, qui entrent et circulent dans l'édifice pour se livrer à leurs dévotions ou pour bavarder entre amis, pour se promener, pour mendier, voire pour s'amuser, comme ce petit garçon debout près d'un pilier, qui s'apprête sans doute à dessiner des graffitis sur la pierre. Cette église imaginaire, qui emprunte quelques éléments à l'architecture gothique de la cathédrale d'Anvers, a perdu ici son caractère de lieu de recueillement et de silence et semble faire partie intégrante de la vie quotidienne des paroissiens de toutes les couches de la société. Dans les Pays-Bas du Nord, les églises gothiques, dépouillées de leurs ornements, servaient au culte protestant. Actif dans la Hollande protestante, van Baden retrace ici l'atmosphère des temples " pour les hérétiques " décrite par les voyageurs français : " Nous y entrâmes sans aucune cérémonie, et nous trouvâmes qu'en celuy cy comme dans l'autre on s'en servit de rendez-vous pour s'y entretenir en compagnie de tout ce que l'on trouve à propos de dire ; nous y vismes là environ dix ou douze personnes assemblées [.] le chapeau sur la teste, lesquelles parloient ensemble de tout ce qui leur plaisoit ".(Lemaître, op. cit., p. 280). Les scènes de genre étaient fréquentes dans les tableaux d'intérieurs d'églises flamands et hollandais, et van Baden prend plaisir ici à animer le premier plan d'une petite scène où se mêlent cocasserie et gravité. La présence des chiens dans les églises n'était pas rare, bien qu'interdite, puisqu'il existait des " rabatteurs de chiens " chargés de chasser les chiens de l'église. Sur un tableau d'Emmanuel de Witte (Hambourg, Kunsthalle), un rabatteur de chiens poursuit un enfant avec son bâton ! Le motif de la tombe ouverte, avec un crâne déposé sur le rebord, motif qui se retrouve chez Emmanuel de Witte (Intérieur d'église avec tombe fraîchement ouverte, 1668, Rotterdam, Museum Boijmans van Beuningen) introduit une note sombre et grave, rappelant à chacun la présence obligatoire de la mort, orientant la réflexion du spectateur vers des valeurs spirituelles. La touche précise et minutieuse du peintre, alliée à un coloris précieux et délicat, confère à cette composition une élégance rare. Ce tableau est très proche de celui conservé au musée du Louvre et peut être daté entre 1635 et 1645. A côté des intérieurs d'église, van Baden peignait des vues de palais et des scènes de théâtre.(Parmi les rares oeuvres datées et signées de ce peintre : Intérieur d'église, 1636, coll. Peltzer, Cologne. On ne connaît pas d'intérieur d'église de van Baden daté après 1645 ; Galerie de palais, 1636, Amsterdam, vente Peltzer, 26-27 mai 1914, n° 43.) Son oeuvre est encore peu répertorié et peu connu, car le genre de la peinture d'architectures a suscité peu d'études depuis l'ouvrage fondamental de Jantzen, qui fait encore référence aujourd'hui.(extrait d'un mémoire de Thèse de Françoise Liey-Pernon Langlois : Roanne-Musée Déchelette- Catalogue des tableaux des écoles du Nord XVIIe et XVIIIe siècles)
En rapport avec : Gravure d'un intérieur d'église
|