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Un donateur en quête d'identité "Le paradoxe mérite d'être souligné. L'exposition organisée par le musée de la lunette vise à raviver le souvenir d'un généreux donateur, en l'occurrence François-Honoré Jourdain qui, en 1877, fit don à sa ville natale, Morez, d'un ensemble de quatre-vingt-cinq tableaux et divers objets d'art. Pourtant, force est de constater que la personnalité de ce "riche propriétaire à Lyon", pour reprendre les termes employés à l'époque, nous échappe totalement. Tout juste sait-on à l'heure actuelle qu'il est né le 7 octobre 1798 et que son père, Laurent Jourdain, était "secrétaire en chef de l'administration municipale du Canton de Morez". Ce constat ne doit pourtant pas surprendre. Les collectionneurs du 19e siècle réellement identifiés à ce jour, ne sont pas légion. Leur histoire reste le plus souvent à écrire. Après Besançon, qui en 1994 a rendu un vibrant hommage à ses illustres donateurs, les musées jurassiens donnent le ton à leur tour. A Lons-le-Saunier, la figure de Jean-Paul Mazaroz [1823-1900] vient tout juste d'être réhabilitée. On sait dorénavant que la passion de cet industriel pour l'art s'est concrétisée à travers une collection de près de six cents tableaux dont une soixantaine furent donnés au musée des Beaux-Arts de la ville, entre 1840 et 1886. Cette démarche visant à une sorte d'encyclopédisme ne peut guère être soutenue, en Franche-Comté, que par l'exceptionnel ensemble collecté par le peintre Jean Gigoux [1806-1894], qui constitue la pierre angulaire des fonds bisontins. Autant l'avouer, François-Honoré Jourdain n'a pas cette envergure mais il serait bien mal venu de négliger son geste qui demeure une aubaine sans pareil pour la ville de Morez. Une découverte encourageante nous a permis de remettre en lumière son portrait, en fait une photographie soigneusement encadrée, récemment identifiée dans les réserves du musée. Souhaitons qu'elle augure des jours meilleurs car les recherches menées aux archives municipales et départementales sont restées vaines pour le moment. Néanmoins, des historiens s'attachent depuis peu à mieux cerner le fécond milieu des collectionneurs lyonnais du 19e siècle, eux peut-être, nous apporteront les données tant attendues. Il n'est pas inutile de signaler que notre donateur a jugé bon de céder un portrait gravé de Lamartine [1790-1869], dédicacé à son attention. Fréquentait-il les salons littéraires, connaissait-il l'écrivain, les questions sont posées. Seuls les tableaux, dont le mode d'acquisition reste inconnu, sont à même de témoigner d'un aspect de sa personnalité. Dans ce domaine, l'érudition a fait son œuvre et les flatteuses attributions des siècles précédents n'ont plus cours. On cherchera donc en vain les originaux de Vernet, Rubens, Coypel, Mignard, Greuze, Carrache, Largillière, qui ont le plus souvent grossi les rangs des copies. Il apparaît que François-Honoré Jourdain avait un goût prononcé pour les paysages. Il en possédait vingt-sept, s'échelonnant du 17e au 19e siècle, mais l'ensemble n'offre guère d'éléments importants, tout au plus quelques compositions habiles, entre autres, le Paysage au grand chêne de Lapito [1803-1874] et le Paysage à l'abreuvoir de Rémond [1795-1875]. C'est dans le champ de la peinture dite d'histoire que ses choix ont été judicieux. Ses Lagrenée, Brenet, Fragonard, constituent indéniablement le versant heureux de sa collection. Celle-ci comporte quelques modestes scènes de genre, on retiendra un intéressant tableau du lyonnais Pierre Bonirote [1811-1981], Jeunes filles à la fontaine, daté de 1837, relégué dans les réserves pour des raisons de conservation. A tout cela s'ajoutent des portraits donnés aux écoles française et hollandaise. Aucune nature morte n'a, semble-t-il, eu gain de cause aux yeux de notre amateur. On est certes loin de la collection de prestige. Ces peintures, de petit et moyen format, données avec un lot pour le moins hétéroclite de gravures, meubles, statues et armes diverses, s' intégraient vraisemblablement dans une sorte de cabinet de curiosités. Ce don est l'expression d'une générosité sans doute liée à un désir de reconnaissance locale, mais, au-delà, la beauté du geste de François-Honoré Jourdain réside dans une volonté à faire partager au plus grand nombre son goût pour la création artistique". Guy Barbier, octobre 2003
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