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La pêche à la morue à bord des doris
Florence Levert
Sur les bancs de Terre-Neuve, la morue est capturée à l’aide de lignes de fond montées quelques jours avant la fin de la traversée : “On distribuait à chaque équipe (…) en moyenne trente-deux pièces de lignes de cent trente-trois mètres, des lignes brutes sans rien dessus (…). Après, on leur donnait des pies (ou pis, en Bretagne on appelait cela des empis ou empiles), on mettait sur la ligne proprement dite un empis, et au bout de l’empis l’hameçon. Il fallait monter sur ces lignes environ 70 hameçons par pièce, ce qui faisait au total deux mille à deux mille deux cents hameçons par doris”.
Une fois sur les lieux de pêche, avant que la pêche proprement dite ne commence, l’appât ou boëtte qui garnira les hameçons est capturé. Adolphe Bellet, président de la Chambre de Commerce de Fécamp, en décrit précisément les opérations dans un rapport intitulé La grande pêche de la morue à Terre-Neuve qu’il publie en 1901 : “ Les doris qui ont été gréées pendant la traversée sont aussitôt mises à la mer ; deux hommes, le patron et son matelot s’y installent, et munis de chaudrettes attachées à de longues cordes et qu’ils ont amorcées au moyen de harengs rapportés de France ; ils commencent la pêche au bulot qui se fait tout près du navire. Tout l’équipage participe à cette première opération et il ne reste à bord que le capitaine et les mousses. Quand la récolte est suffisante, les bulots sont envoyés à bord et broyés dans des moulins spéciaux. On les passe au crible pour les séparer des morceaux de coquilles auxquels ils adhérent et l’on commence le boëttage des lignes, c’est à dire à garnir les haims avec la chair de ces mollusques ”. Notons qu’un autre type de boëtte fut également utilisé par les pêcheurs fécampois : il s’agit de l’encornet que l’on capturait du bord du bateau à l’aide d’hameçons spéciaux nommés turluttes.
Une fois la quantité de boëtte jugée suffisante, débute une longue période dont les jours sont rythmés par les allées et venues des doris.
Les lignes sont mises à l’eau le soir et c’est la nuit que le poisson mord à l’hameçon : “ Ce qui berçait les hommes, c’était de savoir que les lignes étaient mouillées un peu partout autour du bâtiment. Les lignes travaillaient toutes seules pendant la nuit ”. La procédure de mise à l’eau des lignes se répète chaque jour à l’identique. Le couple de dorissiers quitte le navire et s’en éloigne en restant face à lui : ils nagent en marche arrière. Après avoir parcouru quelques dizaines de mètres en ayant pris soin de respecter leur aire de pêche à l’aide du compas, le patron met à la mer l’ancre reliée à la bouée par l’orin sur lequel est également attachée la ligne proprement dite qu’il mettra progressivement à l’eau. Courbé au-dessus d’un baril en bois où la ligne est lovée, il en saisit une partie et, tout en se redressant, la jette à la mer. Pendant ce temps, le second continue de nager, et ce, jusqu’à ce qu’elle soit entièrement tendue. “ Il fallait à peu près deux heures pour allonger par beau temps, plus si le temps était mauvais ”, précise Michel Desjardins. Une fois la ligne fixée par une deuxième ancre et sa localisation marquée par une seconde bouée, les dorissiers font route vers le navire où ils passeront la nuit.
Chaque matin, les hommes de l’équipage entendent la voix du capitaine : “" Hors ! A déborder les doris ". (c’est) l’ordre de mettre les doris dehors puisqu’ils (ont) été embarqués à leur poste à bord la veille”.
Les doris s’éloignent du navire dans l’aire qui leur a été assignée la veille. Le second est à l’avant, le patron à l’arrière. Ils nagent face au navire, dépassent la première bouée, parcourent une distance équivalente à celle de la ligne allongée et atteignent enfin les confins du territoire de pêche. La bouée est hissée à bord. L’orin et l’ancre sont remontés à l’aide du davier. Ce dernier est fiché dans le plat-bord à la place d’un tolet, qui lui, n’aura, tant que durera la remontée de la ligne, aucune utilité. Durant cette opération, la mise en mouvement du doris n’est plus issue de l’action des dorissiers sur les avirons mais des efforts conjugués des deux hommes qui, ensemble, tirent sur les lignes pour récupérer les morues prises aux hameçons. La mise en pratique de ce principe a aussi, idéalement, pour avantage de faire tenir au doris la bonne direction.
Les morues sont jetées dans le fond du bateau et les lignes dont les hameçons sont libérés sont lovées dans la baille en bois, à mesure que le doris avance et se remplit. L’ancre et la seconde bouée embarquées, il reste au doris à maintenir son cap pour bientôt rejoindre le navire. Une fois qu’ils y sont arrivés, “ les dorissiers envoient, à l’aide des piqueux, la morue sur le pont en la comptant une par une, sous le contrôle du second, du saleur ou souvent du capitaine ”. La totalité du poisson à bord, ils se hissent sur le pont du navire pour travailler le poisson ; mais, ils redeviendront dorissiers avant la fin de la journée.