Société d'ethnologie française

La SEF



Colloques et journées d'étude

Plantes toxiques et psychotropes :
des discrètes et des bavardes



Journées d'étude S.E.F - laboratoire ISOR (Images, Sociétés, représentations) de l'Université Paris I
Sous le parrainage du CNRS (laboratoires CETSAH et LAHIC), de la revue Alcoologie-Addictologie, de la Société Française d'Alcoologie, de la Fédération d'Addictologie, et de l'ANIT (Association Nationale des Intervenants en Toxicomanie)
Paris
5 et 6 décembre 2005

responsabilité scientifique : Corinne Boujot, Didier Nourrisson, Patrick Prado, Jean-Jacques Yvorel


Argumentaire

Appel à communictions pour la journée du 5 décembre

Renseignements

 



Argumentaire

Ces journées aborderont sous deux formes spécifiques la question de nos relations aux substances toxiques et psychotropes. Tour à tour diabolisées et banalisées, légalisées et interdites, certaines ont connu une indiscutable célébrité, consolidée par des discours contempteurs ou enthousiastes, d'autres sont restées dans l'ombre, poursuivant un développement discret mais durable. Faire parler scientifiquement les unes et les autres sera le propos principal de ces deux journées. Au cours de la première nous nous demanderont en quoi ces plantes sont des révélateurs de zones critiques des sciences de l'homme et de la société. Nous consacrerons la seconde à l'étude d'un cas prégnant, le Cannabis.

5 décembre : plantes du soi, plantes de l'autre

Les comparaisons avec d'autres aires culturelles mettent en lumière, dans le domaine de l'ethnologie, une différence de traitement des plantes " à poison " domestiques et exotiques. Celles-ci seront sollicitées au cours de cette journée comme opérateurs critiques des cinquante dernières années de l'anthropologie rurale autant qu'urbaine et des enquêtes sur les pharmacopées traditionnelles et modernes. L'historicisation semblant avoir les mêmes vertus que l'exotisation, il s'agira d'analyser la production d'un type différent de discours selon qu'il porte sur le proche ou le lointain, rendant ces substances discrètes ou bavardes et mettant en question l'expertise scientifique dans l'anthropologie du soi et l'anthropologie de l'autre

Parmi les premières propositions :
-Champignons (les psilocybes, l'amanite et le soma védique)
- le datura de Castaneda, le stramoine français et le Jilgré breton
- la saupe méridionale et l'embue d'Estramadoure (cigüe)
- la salvia avant et après internet

6 décembre : le cannabis en représentation

La question de l'usage des drogues est d'abord une question anthropologique et socio-culturelle, inscrite dans la dynamique géopolitique de l'offre et de la demande, bien avant de constituer une problématique prioritairement clinique. Depuis deux siècles, il s'est créé un ensemble sédimenté et stratifié de représentations idéologiques, sociales et culturelles à propos des drogues.
Cette seconde journée sera consacrée au cannabis et plus particulièrement aux représentations de cette substance, de ses usages, de ses effets, et de ces usagers hier et aujourd'hui. Nous traiterons de l'évolution des discours scientifiques et médicaux, des représentations de l'usager de cannabis dans divers média (cinéma, presse, BD, chanson etc.) et en littérature, mais aussi des pratiques concrètes de consommation et de l'évolution sociologique des consommateurs.

 


Appel à communictions pour la journée du 5 décembre

Un récent numéro d'Ethnologie française, " Des poisons, nature ambiguë " (n°3 juillet-septembre 2004), avait pour objet de réunir un premier corpus, européen, sur les relations aux formes de vie toxiques présentes dans l'environnement afin d'explorer ce qu'induisait cette toxicité, les modes de perception auxquels elle se prêtait, les usages qui lui étaient trouvés. Il permit d'interroger l'ambiguïté des relations entretenues avec les poisons d'origine biologique, persistante oscillation entre fascination et répulsion, crainte et convoitise, mais aussi entre besoin d'expérimenter et besoin symbolique. Ce travail a fait valoir un paradoxe : la présence soutenue de pratiques variées liées à des toxiques et, en regard d'une exploration assidue de celles-ci en milieu " exotique ", ­ principalement, il faut le noter, dans le domaine végétal - leur faible représentation dans les travaux ethnologiques conduits sur l'Europe. Il ressort, à l'analyse, que dans la perspective d'établir sur ce sujet des comparaisons avec d'autres aires culturelles, la question de la différence de traitement de l'anthropologie du soi et de l'anthropologie de l'autre doit être posée. Aussi, l'entrée " poison " est-elle ici à nouveau sollicitée, cette fois comme opérateur critique des cinquante dernières années de l'anthropologie rurale autant qu'urbaine et des enquêtes sur les pharmacopées traditionnelles et modernes.

Dans cette perspective, nous proposons, pour cette journée d'étude, d'approfondir les questions relatives à " l'information " (transmission / diffusion / rétention) à différentes étapes de son traitement, depuis la collecte jusqu'au rendu, textuel ou autre. Comment l'ethnologue découvre-t-il ces pratiques, comment l'information lui est-elle délivrée, et, à son tour, comment la traite-t-il ? En effet, l'une des expressions de l'ambiguïté qui caractérise les rapports aux toxiques est le " secret ", la confidentialité (relative, en tout cas orientée) des savoirs et pratiques liés à leurs usages, notamment dans les communautés de paysans ou de pêcheurs traditionnels, en France comme en Europe. La discrétion semble de mise, mais elle marque aussi bien les acteurs utilisateurs que les sociologues et ethnologues, chacun contribuant à en faire " un secret bien gardé ".

Pourtant, il suffit de traiter semblables usages par l'exotisme pour les voir parfaitement " fonctionner ", et au-delà même de toute attente scientifique. Conjointement à l'existence de substances secrètes, discrètes et muettes, il en est de très bavardes. L'aventure exemplaire de Carlos Castaneda avec " l'herbe du Diable ", la " petite fumée ", jusqu'au " sorcier " Yaqui, objets et acteurs d'un théâtre académique qui se poursuivit pendant des dizaines d'années aux États-Unis comme en Europe, est là pour nous rappeler que l'exotisation a été un modèle dominant de nos sciences humaines pendant des générations, que ce soit par relégation dans le lointain géographique, dans le passé ou dans le mythe. Le datura, la stramoine, le loto, le jilgré, n'ont pas du tout la même signification et la même valeur, et on ne leur porte pas du tout le même intérêt, selon qu'ils sont respectivement mexicain, français, odysséen, breton. De même pour le soma et l'amanite tue-mouche, selon qu'il est sibérien, védique ou qu'elle est issue de nos familières campagnes. De même pour les psilocybes, la mandragore des Carpates, la " nivrée " estrémeigne, etc., les exemples abonderaient, y compris dans le champ animalier, du serpent du paradis aztèque à celui de l'enfer chrétien.

Voilà de quoi interroger non seulement la place et le statut des poisons dans les diverses sociétés observées, mais aussi et par conséquent la pratique de l'ethnologie. L'instrument " toxiques " devrait en effet permettre d'aller voir plus avant ce dont l'ethnologie française des sociétés exotiques traite réellement, et comment elle en traite. Il s'agira bien en même temps d'étudier les conditions de réalisation d'une ethnologie du proche. La question se pose d'autant plus sérieusement qu'elle émerge dès que l'ethnologue se penche sur les savoirs naturalistes et ceux relatifs à la santé, ou qu'il engage une monographie détaillée. Cette circonspection qui semble frapper l'ethnologie dès qu'elle se fait " proche " recouvre-t-elle les interdits passés comme leurs avatars contemporains, alimentée par le soupçon d'archaïsme qui rendrait discrets autant les acteurs utilisateurs que les sociologues et ethnologues, chacun en faisant une zone d'occultation par peur de paraître les premiers socialement stigmatisés, les seconds professionnellement égarés. L'éloignement, temporel ou spatial, semble donc revêtir pour les poisons un même caractère " habilitant " (l'Histoire ­ y compris l'histoire moderne - est en la matière plus prolixe que l'ethnologie), sauf à ce que les pouvoirs publics désignent une fraction de ces pratiques, les conduites addictives, comme " problème de société ". La sociologie et l'anthropologie historique principalement mais l'ethnologie également ont, à cette enseigne, pu développer des travaux qui ont largement contribué à ouvrir des perspectives fécondes. Le caractère illicite (en France notamment, mais aussi dans la plupart des pays européens) de l'usage non contrôlé par l'État des substances toxiques, quel qu'en soit le dessein : ivresse bien sûr, mais aussi pharmacie, pêche, chasse, agriculture, etc., le faisceau des interdits légaux, donc, doit entrer en considération dans ce jeu de censure de l'information tel qu'il s'exerce à tous les niveaux.

Dans ce panorama, peut-on dégager des facteurs d'ordre culturel orientant la faculté d'observation jusqu'à pouvoir l'occulter ? Il faut considérer le statut des savoirs associés aux substances actives potentiellement dangereuses ou pensées telles, une part du secret pouvant ne pas être liée à l' interdiction légale, au moins ne pas l'être dans un rapport de causalité simple. Quelles sont les modalités et les mobiles des diverses précautions oratoires qui entourent la transmission de ces informations, comment s'inscrivent-elles au nombre des autres précautions qui entourent ces pratiques (précautions de manipulation, par exemple) : peut-on discerner à leur égard quelque chose qui soit propre au caractère toxique ?
Nombre des pratiques qui nous intéressent parce qu'elles attestent d'une familiarité ancienne avec des substances toxiques, dans des contextes inattendus, qui éclairent donc un pan important de notre culture des poisons, sont en passe de devenir obsolètes au moment même de leur observation. La présence familière du toxique, du vénéneux dans la vie quotidienne des sociétés paysannes traditionnelles en France et leur valeur de marqueur territorial le démontre. Un constat similaire se dégage du côté de certaines pratiques alimentaires de pêcheurs méditerranéens. On est donc amené à s'interroger plus avant sur ce qui ressort de ces observations et de ces analyses. Comment recueillir, analyser, travailler ces savoirs et pratiques qui se dérobent et semblent révolus, et qui pourtant se signalent encore à l'observateur ?
Peut-on comparer des pratiques traditionnelles, parfois même obsolètes ou en voie de le devenir, qui nous sont contemporaines lors même qu'elles renvoient plutôt à l'ère préindustrielle avec des conduites émergentes référant davantage à l'ère post-industrielle, observées les unes et les autres dans une même aire géographique et au même moment historique ?
Car à l'opposé de cette discrétion, de cette confidentialité, de ces éclipses, bref : de ces dérobades de l'objet " poisons " sur des scènes culturelles multiples, on observe une autre forme de bavardage, non plus exotique cette fois, mais bien domestique quoique international, à la fois local et global, glocal donc. Il peut prendre la forme d'un prosélytisme assidu dans la diffusion massive et confuse d'informations concernant l'art d'employer champignons, plantes et animaux aux propriétés psychotropes, sur le Web par exemple comme sur d'autres scènes culturelles qui s'affichent comme post-industrielles, post-modernes, etc.(ainsi la Salvia divinorum, ces temps-ci à l'honneur).
Comment ces attitudes apparemment diamétralement opposées éclairent-elles la place du poison dans nos sociétés? Comment l'ethnologue se situe-t-il aujourd'hui, dans ces différents contextes, pour la saisir et l'analyser ?

L'objectif de cette journée d'étude est de constituer un groupe de travail autour des toxiques et de la toxicité afin de poursuivre l'analyse de leur place dans notre culture et d'engager un travail de comparaison transculturelle, double objectif que vient servir, ici, la mise en perspective épistémologique.

En confrontant l'expérience de chercheurs ayant observé des pratiques déjà anciennes ou émergentes mettant en jeu des substances potentiellement toxiques présentes dans la nature, en Europe et dans d'autres aires culturelle, certains ayant rencontré ce type de pratiques voire parfois un même toxique en différents lieux ou à différentes époques -, nous souhaitons développer une réflexion d'où se dégage à la fois des caractères propres à l'objet, dans l'espace culturel où il est observé, et des caractères propres à l'exercice de l'ethnologie sur cet objet, suivant l'espace où il est observé. Une approche critique des contraintes, selon qu'elles sont ou non " habilitantes ", qui pèsent sur l'observation ethnologique et qui l'orientent apparaît nécessaire. Il est temps de revisiter les conventions académiques qui cernent le proche et le lointain, le paysan aussi bien que le shaman et/ou le consommateur moderne. Il est temps, avant l'extinction de certaines pratiques existantes, devant l'émergence de nouvelles, de prendre au sérieux ce qu'on nous en dit, et, pour les plus anciennes, ce que nous en ont dit les folkloristes jusqu'à nos jours, en relisant ceux-ci avec la plus grande attention. Les poisons peuvent servir d'outils pour une relecture critique des paradigmes de l'anthropologie, pour une analyse des méthodologies de l'enquête de terrain et des idéologies concernant les relations de l'homme à son environnement.


Renseignements :

Pour la journée du 5 décembre, les propositions de communications peuvent être envoyées par courrier à :

-Société d'ethnologie française / <journées plantes>, MNATP, 6, Avenue du Mahatma Gandhi, 75116 Paris.

ou par Email :

cboujot@club-internet.fr
prado.patrick@free.fr

Pour la journée du 5 décembre, les propositions de communications peuvent être envoyées par courrier à :

-ISOR/CREDHESS, 17, rue de la Sorbonne, 75211, Paris, Cedex 05

ou par Email :

didier.nourrisson@lyon.iufm.fr
jjyvorel@wanadoo.fr

 



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