Politique culturelle

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Universalité de la culture et droit des individus, des groupes et des sociétés

Claude Rouot

En 1986, avec la Déclaration sur le droit au développement de l’Organisation des Nations Unies (ONU), figure la mention des « droits culturels » qui donnent, dans le cadre des droits individuels, ceux de l’identification culturelle, à savoir le choix pour chaque individu de sa culture et de sa langue ; et dans le cadre des droits collectifs, ceux qui sont liés au développement des droits culturels des peuples minoritaires.
Mais c’est au sein de l’ONU que l’engagement en faveur de la diversité culturelle s’inscrit comme mandat spécifique de l’Unesco. C’est ainsi qu’en 2001, les États membres décident de faire face aux enjeux de l’accélération des processus de mondialisation en adoptant la Déclaration universelle de l’Unesco sur la diversité culturelle et en préconisant la mise en place d’un Plan d’action.
La Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles adoptée en octobre dernier propose des principes que l’on cherchera dans ce numéro à mettre en perspective avec ceux qui président à la mise en œuvre des politiques culturelles du ministère de la culture et de la communication.


Reconnaître la diversité culturelle et favoriser l’interculturalité

On lit dans le texte de la convention1 que la diversité culturelle « renvoie à la multiplicité des formes par lesquelles les cultures des groupes et des sociétés trouvent leur expression. Ces expressions se transmettent au sein des groupes et des sociétés et entre eux ». Une réflexion n’est-elle pas à engager sur les formes de présence des cultures de groupes ou de sociétés admises ou pratiquées dans un État-Nation qui ne reconnaît en principe que des individus égaux ?
On lit également que les politiques et les mesures culturelles sont « destinées à avoir un effet direct sur les expressions culturelles des individus, des groupes ou sociétés, y compris sur la création, la production, la diffusion et la distribution d’activités, de biens et de services culturels et sur l’accès à ceux-ci »2. Ce qui nous fait un devoir de bien les connaître, mais aussi de travailler à bien distinguer ce qui relève de l’activité des industries culturelles et ce qui relève du service public. Ainsi, on saura mieux quand il convient de développer une politique de soutien aux industries culturelles ou une politique de services culturels, sans écarter la nécessité de favoriser des circulations entre ces domaines.
Quand à l’interculturalité, elle figure comme l’un des objectifs recommandés par le comité de rédaction de la convention. Elle « renvoie à l’existence, à l’interaction équitable de diverses cultures et à la possibilité de générer des expressions culturelles partagées par le dialogue et le respect mutuel »3. Les socio-anthropologues nous le font savoir, si les interactions culturelles, les emprunts, les métissages ne cessent d’opérer, la reconnaissance de l’égalité de principe entre les cultures au sein d’une nation ou entre les nations se présente davantage comme un objectif politique et éthique à atteindre que comme une réalité.


La souveraineté des États en matière de politique culturelle
Rappelons toutefois que l’objectif principal de cette convention est de rétablir un équilibre entre les aspects économiques et les aspects culturels du développement, en considérant que les seules forces du marché ne peuvent garantir la préservation et la promotion de la diversité culturelle. En posant le principe de souveraineté des États au profit des activités culturelles et « la spécificité des biens et services culturels qui, parce qu’ils sont porteurs d’identité, de valeurs et de sens, ne doivent donc pas être considérés comme des marchandises ou des biens de consommation comme les autres »4, la Déclaration universelle de l’Unesco sur la diversité culturelle réaffirme « le rôle primordial des politiques publiques, en partenariat avec le secteur privé et la société civile »5.
Lorsque cette convention, qui s’appuie sur des principes de la Déclaration universelle des droits de l’Homme6, donne une définition des « politiques et mesures culturelles » relatives à la culture et centrées sur elle à un niveau local, national, régional ou international, il ne fait pas de doute qu’elle entre en résonance avec les pratiques et les principes qui ont présidé à quarante années de politique publique de démocratisation culturelle initiée par André Malraux en France.

Le contexte français
On le sait, ces politiques publiques de la culture ont été très présentes sur le territoire français. Elles se caractérisent par la confiance en l’universalité des valeurs esthétiques et la validité intrinsèque de la culture, qui devait progressivement être partagée par tous, avec comme principe de partage, le souci militant de réduire les inégalités d’accès à la culture. Ces politiques s’appuyaient sur une idée de la culture d’exigence qui va à l’encontre d’une conception de la culture comme moyen d’expression.
Cette vision française est accordée à la définition de la République, société d’individus libres et égaux. Il existe une manière proprement française de considérer la culture comme une force autonome, indépendante, universelle et de destiner les politiques publiques de la culture au renforcement symbolique et concret de l’unité d’un peuple et non à sa diversification7.
Après quarante ans de pratiques et d’analyses de l’histoire culturelle de la France, il paraît juste d’interroger les effets de ces politiques à la lumière des préconisations d’un texte soutenu par la France dans le cadre d’une « bataille internationale » en faveur de la non-marchandisation de la culture.
Que disent les textes relatifs aux mesures destinées à promouvoir les expressions culturelles ? Ils indiquent : « Les parties s’efforcent de créer sur leur territoire un environnement encourageant les individus et les groupes sociaux [...] à créer, produire, diffuser et distribuer leurs propres expressions culturelles et à y avoir accès, en tenant compte des conditions et besoins particuliers des femmes, ainsi que des divers groupes sociaux ; y compris les personnes appartenant aux minorités et les peuples autochtones8. » Cette conception invite à la coconstruction culturelle par les individus, les groupes sociaux ou ce qu’on appelle la société civile9.

Des principes aux pratiques
Mais l’application des principes politiques n’est pas si monolithique, et ne peut se juger à la lumière des principes. Des écarts souvent fructueux se manifestent entre principes et réalisations comme l’illustrent les articles qui vont suivre. Dans la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, avec les droits culturels des minorités, c’est bien de droits culturels des individus mais aussi de groupes10 qu’il s’agit. En France, depuis trente ans, sensible aux revendications intérieures et extérieures de l’Europe en particulier, l’État – et le ministère de la culture qui représente symboliquement bien plus que son secteur d’intervention – s’est trouvé confronté à ces demandes d’élargissement de la notion de culture sur son territoire. C’est ainsi que des politiques de reconnaissance des cultures régionales, communautaires (kurdes, arméniens, juifs...) et d’origine immigrée ont été développées par le ministère sans pour autant que soit renié le primat de l’universalisme sur le communautarisme.
Ce numéro de Culture et recherche s’efforce de montrer comment, malgré une situation paradoxale, la France a à concilier, avec plus ou moins de difficultés, des politiques culturelles visant à l’universalité et à l’autonomie de la culture, ainsi qu’à la reconnaissance de l’identité et des droits culturels de groupes minoritaires.

Claude Rouot
Ministère de la culture et de la communication
Délégation au développement et aux affaires internationales
Mission de la recherche et de la technologie


1. III, article 4, définition 1.
2. Ibid., définition 6.
3. Ibid. définition 8.
4. Déclaration universelle de l’Unesco..., article 8.
5. Ibid. article 11.
6. Article 19.
7. Rappelons que cette conception de la culture comme force indépendante a été contestée dans la « Déclaration de Villeurbanne » du 25 mai 1968 : le philosophe Francis Jeanson et des artistes de renom mirent alors en cause l’universalité de la culture et l’idée d’une certaine efficacité sociale de l’action culturelle, en rendant inconcevable pour eux la possibilité d’un militantisme culturel indépendant d’un militantisme politique.
8. Convention..., IV, article 7 1.
9. Sur l’antagonisme entre principes et pratiques, on se reportera à l’article de Kassimir Bisou dans le n° 29 de l’Observatoire des politiques culturelles (janvier 2006), qui propose cinq chantiers de coconstruction culturelle.
10. Rappelons également que dans les années 1970, en France, les revendications politiques de groupes minoritaires s’expriment à l’encontre d’une conception républicaine d’un espace public laïque neutre conçu comme étant le meilleur garant de la liberté de chacun. Dans le prolongement des mouvements féministes, des minorités – psychiatrisés, prostituées, homosexuels, handicapés, immigrés renvoyés à leur ethnicité – revendiquent leurs droits à la parole. Avec la marche des beurs en 1983, c’est de droits politiques et citoyens qu’il sera question, entre différence et indifférence. Il sera aussi question des droits de l’enfant…









déclaration des droits de l'homme et du citoyen
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, datée du 10 août 1793 (conservée au musée de l’Histoire de France, reproduite dans la base Archim : http://www2.culture.gouv.fr/documentation/
archim/accueil.html
).