Politique culturelle

Intervention de Madame Catherine Trautmann devant le Conseil du Musée de la Radio et de la Télévision
Lundi 11 Octobre 1999


Je suis très heureuse de vous accueillir en France, et d’avoir l’occasion de discuter avec vous tous, qui représentez les forces vives de l’industrie audiovisuelle mondiale. D’autant plus heureuse que vous manifestez, par votre présence au Conseil d’un Musée dont les activités patrimoniales et éducatives sont remarquables, tout comme par les thèmes dont vous avez choisi de parler, que vous ne vous intéressez pas seulement aux aspects économiques. Vous défendez aussi la valeur patrimoniale des contenus audiovisuels, vous êtes aussi sensibles à la spécificité de la culture, en ce qu’elle ne peut être réduite à un simple objet de marché.

Nous ne sommes pas ici dans une arène de négociations internationales, et si certains craignent que je ne me lance dans un exercice préparatoire des discussions de Seattle, je voudrais les rassurer d’entrée de jeu : je ne le ferai évidemment pas. Et la diversité de cet auditoire, composé de présidents de groupes publics, dirigeants de groupes privés, diffuseurs, groupes intégrés, venant de tous les continents rendrait la chose particulièrement difficile. Mais votre pluralité fait l’intérêt de vos débats.

C’est précisément la richesse de la diversité que nous voulons défendre, lorsque, avec seize de mes collègues, réunis à Oaxaca, nous déclarons : « les biens et services culturels, y compris les services audiovisuels, méritent un traitement spécial, car ils sont le reflet des identités culturelles nationales et régionales. Les ministres reconnaissent le droit des Etats et des gouvernements d’établir librement leurs politiques culturelles, ainsi que d’adopter les moyens et instruments nécessaires à leur mise en œuvre ». Il est essentiel de préserver la marge de manoeuvre de chaque pays dans la mise en place et la gestion d’instruments permettant la promotion de la diversité culturelle, notamment par le biais d’un financement adéquat des radiodiffuseurs publics et par le soutien aux industries de programmes.

L’avènement de nouvelles technologies ne change pas fondamentalement cette donne : il rend plus facile et plus rapide l’échange, mais il ne supprime pas, au contraire, la nécessité d’avoir quelque chose à échanger. Quels que soient les supports, quelles que soient les techniques de diffusion, ce qui intéressera les consommateurs, ce qui sera valorisable, mais en même temps ce qui sera transmissible aux générations futures, ce seront toujours des contenus et des programmes. Or, la mondialisation ne doit pas s’accompagner d’une uniformisation de l’offre, elle doit bien plutôt se traduire par l’échange de contenus diversifiés : la richesse ne résidera pas dans la constitution d’une culture mondiale compréhensible par tous parce que totalement appauvrie, d’une culture du « plus petit dénominateur commun » mais dans la coexistence et dans l’échange des diverses cultures.

Vous qui êtes des femmes et des hommes de télévision vous êtes plus sensibles à l’exigence de proximité : la forme culturelle qu’est la télévision est par essence même populaire ; elle n’a de sens que si elle parle du monde et des gens, que si elle est conforme à la vie ; elle n’est regardée par les téléspectateurs que si elle est proche d’eux : elle ne peut être proche de chacun qu’en jouant un rôle politique et social qui légitime la reconnaissance de la capacité des Etats à définir et mettre en œuvre librement leurs politiques réglementaires et de soutien dans le secteur audiovisuel.

Hommes et femmes de télévision, vous êtes au cœur du processus de démocratisation de la culture. Or, qu’il s’agisse de la culture comme création, ou de la culture comme patrimoine, les nouvelles technologies de l’information et de la communication peuvent accélérer ou ralentir cette démocratisation. C’est à nous d’en décider : la technologie rend l’accès aux oeuvres et aux documents plus facile et moins coûteux, elle ouvre des possibilités encore inexplorées de création d’oeuvres réellement multimédia. Mais saurons-nous en profiter ?

Saurons-nous permettre à tous les citoyens, dans tous les pays d’entrer dans la société de l’information ou allons-nous laisser ces technologies accroître les inégalités sociales et internationales ? Saurons-nous créer un nouvel art avec le multimédia, comme cela a été le cas avec la photographie ou avec le cinéma, ou allons-nous nous contenter de copier et d’adapter les oeuvres existantes ? Saurons-nous élargir le champ des connaissances de chaque individu en approfondissant chaque culture dans sa diversité ou allons-nous laisser s’opérer l’uniformisation des cultures, des comportements et des pensées ? Saurons-nous accroître la masse des informations accessibles gratuitement par chacun ou allons-nous laisser tout ce qui était auparavant gratuit devenir payant, de la retransmission sportive à la simple donnée brute ?

Les gouvernements détiennent des clefs de réponse à ces questions, vous en détenez aussi : votre responsabilité est différente, elle n’est pas moins grande que la nôtre, et inversement la notre n’est pas moins grande que la votre : c’est la raison pour laquelle la liberté d’action et la capacité d’initiative des Etats doivent être respectés. Et se rejoignent ici, dans la culture, les intérêts de l’Economique et les intérêts du Politique, chacun de ces termes étant pris dans son sens le plus noble.