Conférence de presse
à loccasion de la remise du
rapport de Fabrice Lextrait
19 Juin
2001
Mesdames, Messieurs,
Je voudrais dabord vous remercier de votre présence, mesdames et messieurs les journalistes, artistes, acteurs culturels, responsables dadministration, représentants des ministères de la Ville, de lEquipement, de la Jeunesse et des Sports, de lEducation Nationale, de lEmploi et de la Solidarité, de lAménagement du Territoire...
Toutes présences qui témoignent demblée de limportance et de la singularité de notre sujet.
Dans les objectifs prioritaires que nous nous étions fixés, il y a maintenant une année, figuraient ce que nous appelions provisoirement, comme nom de code en quelque sorte, « les espaces intermédiaires » expression empruntée au titre dun très beau livre dentretiens consacré à Peter Handke.
Je cite Peter Handke :
« Les espaces
intermédiaires où se déroulent mes livres sont très
étroits. Mais je ne vis que de ces espaces intermédiaires,
où lhistoire est comme lorsque deux porte-avions se rapprochent et
ne laissent entre eux quune mince fente... Cest de ces fentes, de
ces regards passant par les interstices que je vis et que
jécris... » dit-il.
Et il ajoute :
« je regarde donc par où puis-je
encore méchapper, mais tout en méchappant, ce qui est
aussi très important, où puis-je susciter un mouvement producteur
dune permanence ou dun projet ».
Il y a, à travers cette affirmation poétique, comme un écho, une correspondance avec les démarches que nous allons évoquer.
Plus concrètement, il sagissait pour nous -partant du constat de la transformation profonde des pratiques, des comportements, des attentes artistiques et culturelles de notre pays, observés depuis une quinzaine dannées- daborder sérieusement, un champ nouveau, foisonnant et complexe, objet -par méconnaissance- de tous les malentendus, à la fois sous et parfois surestimé.
Cest donc dabord pour éclairer ces nouveaux territoires de la culture que jai commandé à Fabrice Lextrait, ancien administrateur de la Friche la Belle de Mai, une mission danalyse qui -je cite la lettre de mission- (elle figure dans les dossiers qui vous ont été remis) « appréhende et rende plus explicite les fondements communs de ces initiatives singulières, leurs déterminants artistiques, économiques, éthiques et politiques ainsi que leur mode dorganisation. Il sagit en effet de construire une approche raisonnée afin que les services du Ministère de la culture puissent mieux les repérer, les écouter et les accompagner sans pour autant les institutionnaliser, les enfermer dans des catégories ou créer (jinsiste) un nouveau label ».
Le rapport est là, résultat dun travail approfondi, conjuguant enquête et conceptualisation, étayé par la réflexion dun groupe dappui de douze personnalités que je remercie chaleureusement, pour leur engagement sans réserve et la qualité de leur production.
Je laisserai à Fabrice Lextrait le soin de présenter, lui-même, son rapport.
Mais, permettez-moi un court instant de revenir sur ce que je crois être un indispensable préalable.
Depuis une année, je sillonne la France, et je vous lassure, sans naïveté idéaliste, jobserve partout une exceptionnelle vitalité, une multiplication dinitiatives, de projets, de propositions actives, une présence intense, vivante des artistes dans la ville qui nouent avec les populations des rapports très nouveaux, les « embarquant » dans laventure de la création à moins que ce ne soit le contraire. Il nest pas un de mes déplacements en Région qui ne me mette en présence dune expérience innovante, passionnante, et ce dans tous les domaines de la culture, y compris patrimonial.
Cest une évidence pour moi, il sagit dun mouvement profond qui brasse les disciplines artistiques, les fonctions (de la production à la formation), les populations, qui transforme les lieux existants et parfois lespace urbain, qui cultive le désir dart autant que luvre achevée. Je le crois, ces espaces de rencontres artistiques sont des laboratoires, grandeur nature, dun nouveau rapport entre lart et la société.
Doù la difficulté à les nommer. Vous lavez constaté dès la découverte du rapport, nous navons pas choisi dappellation et sur la couverture même, sentrecroisent friches, squats, alternatifs, expériences, fabriques, lieux, projets, aventures, expérimentations ...
Ce « non-choix » -qui est tout le contraire dune solution de facilité- traduit de fait une volonté très claire : ni catégorie nouvelle, ni label.
Chaque projet a choisi son nom qui nest jamais neutre.
Lexercice était donc délicat puisquil fallait révéler sans uniformiser, analyser sans isoler, recenser sans ouvrir une catégorie, arrêter limage sans lui ôter le mouvement. Je vais donner immédiatement la parole à celui qui la tenté et, je crois réussi.
* * *
(intervention de Fabrice Lextrait)
* * *
Vous pouvez le constater, nous avons quitté lanalyse de
cas plus ou moins exemplaires pour aborder la compréhension dun
mouvement. Si la trentaine dexpériences étudiées
dessine un contour, le mouvement quelle illustre constitue un formidable
appel dair pour la démocratie culturelle. Ce sont les
caractéristiques et les approches dune action culturelle
rénovée qui sont ici en question... et cest
évidemment à ce premier chef que notre ministère est
concerné.
Les artistes et les acteurs culturels de ces projets
mettent le doigt sur de grandes questions de société. Quelle
ville voulons-nous demain ? Quelle participation des habitants au devenir de
leurs territoires ?
Comment sengager dans la réduction de la
fracture entre lart et la cité, comment, pour le ministère
de la culture, évaluer notre part artistique et culturelle au cur
de projets qui le débordent très largement ?
Ce sont des questions complexes qui nous sont posées
frontalement et qui nous demandent délaborer des réponses
concrètes.
Pour moi, le rôle des collectivités
publiques est non seulement daccompagner ce mouvement mais de
créer les conditions économiques, juridiques, sociales,
culturelles pour que ces expérimentations puissent avoir lieu.
Créer ces conditions suppose un réexamen profond de nos modes dintervention -car nous ny sommes guère préparés.
Et cependant nous le devons.
Cela suppose au sein même de notre ministère, que nous revoyions pour une part notre approche globale du développement culturel tant dun point de vue central que déconcentré. Derrière la question particulière qui nous est posée par ces nouveaux espaces, cest de la réforme de lEtat dont il sagit, et je renvoie sur ce point aux nombreuses interventions du Premier Ministre, et pour cela nous devons ouvrir tout grand -eu égard à ce quest notre histoire- le champ de lexpérimentation. Nous lavons fait pour la décentralisation avec des protocoles, il nous faut dans ce domaine aussi accepter de réviser des attitudes, des comportements, oser dire que lEtat ne doit pas a priori imposer des normes, quil doit observer le réel dans son mouvement et sa diversité, être à lécoute et comme aux premiers temps de la décentralisation, la décentralisation théâtrale, tout faire pour, encore une fois, accompagner les acteurs daventures stimulantes dans les meilleures conditions, ne pas écrire laventure à leur place mais avec eux.
Il y a là une manière de révolution culturelle.
Que faire, donc, pour amorcer notre engagement ?
La question des moyens au service de cette politique publique se pose en effet. Il est évident, et chacun le comprend, que sil est impossible en cette période de discussion budgétaire de faire la moindre annonce au sens habituel du terme, nous pouvons cependant affirmer que nous nous attacherons à obtenir non seulement la consolidation des financements mais aussi les mesures appropriées nécessaires. Depuis deux ans dailleurs, dans ce ministère, les moyens consacrés à ces initiatives ont cru, certes de façon discrète, mais significative.
Il sagit aussi de diffuser le plus largement possible ce rapport afin de partager avec lensemble des acteurs concernés les enjeux et les potentialités de ce mouvement. Nous assurerons donc sa mise en ligne sur le site Internet du ministère et sa publication à la Documentation Française qui doit intervenir dans les meilleurs délais.
Sensibiliser, expliquer, convaincre.
Nous allons, à lautomne, à travers dix séminaires en région que janimerai moi-même, réunir élus, porteurs de projets, services déconcentrés de lEtat, et travailler à la valorisation de ces expériences.
Je réfléchis à lorganisation dun colloque international au début de lannée 2002, en collaboration avec lAFAA -jen profite pour saluer la présence dOlivier Poivre dArvor, son directeur- qui devrait mettre en valeur le rayonnement de ces initiatives naturellement sans frontières. Cest pourquoi, jai souhaité prolonger la mission de Fabrice Lextrait auprès de moi jusqu'à léchéance de ce colloque.
Renforcer le suivi de ces initiatives au sein du ministère de la culture.
La Délégation au Développement et à lAction Territoriale, bien entendu, assurera un rôle accru de coordination entre les directions -centrales et déconcentrées- ainsi quinterministériel.
Les directions concernées réfléchiront pour leur part avec les inspections de la création artistique sur les modalités de lévaluation.
Les services du Patrimoine, particulièrement ceux de lInventaire, les conseillers pour lArchitecture, les Services Départementaux de lArchitecture et du Patrimoine, parce quils sont en prise directe avec le développement urbain, seront sensibilisés et mobilisés.
La direction multimédia du CNC sera également étroitement associée.
La directive nationale dorientation adressée aux directions régionales des affaires culturelles indiquera tout naturellement la place que ce nouveau champ artistique devra occuper dans lintervention de lEtat.
Mais au-delà du soutien à des expérimentations, il sagit à bien des égards de lexpérimentation dune politique publique innovante. Cest à mes yeux décisif.
Nous sommes persuadés quil nous faut avoir une approche résolument interministérielle. Nos partenaires sont dailleurs très intéressés par ces démarches, quil sagisse des ministères de la Ville et de lEquipement -je men suis entretenu personnellement avec Claude Bartolone et Jean-Claude Gayssot- mais aussi des Affaires sociales, de lAménagement du territoire, de lEducation Nationale, de la Jeunesse et des Sports, ou de lEconomie Solidaire. Leur présence nest pas anodine.
Lensemble des administrations de lEtat sont démunies aujourdhui pour intervenir isolément et je sais, pour avoir été élu local, que beaucoup de collectivités territoriales le sont aussi. Cest pourquoi nous réfléchissons ensemble à la création dune petite équipe opérationnelle, interministérielle, qui serait au service de lEtat déconcentré comme des collectivités territoriales pour dispenser conseils, expertises et mutualiser les savoir-faire. Celle-ci pourrait être installée, cest lhypothèse qui a le plus retenu mon attention, au sein de lInstitut des villes, Groupement dintérêt Public récent, regroupant six ministères, six associations délus et la Caisse des dépôts et consignations. Cette possibilité pourrait être étudiée au premier conseil dadministration de cet organisme, dans les semaines qui viennent. Cest mon souhait.
Toutes les expériences nous montrent, en effet, quil y a un besoin énorme de médiation entre les ministères concernés, les aménageurs, les propriétaires immobiliers, les élus et les porteurs de projets artistiques ou culturels, besoin aussi de renforcer la concertation entre maîtres douvrage, maîtres duvre et usagers.
Il ne sagit surtout pas (jinsiste) de créer un nouvel échelon administratif centralisé ; le suivi, le financement et laccompagnement des projets resteront au niveau déconcentré, sous la responsabilité des préfets. Mais il me semble indispensable de doter les services de lEtat doutils simples et efficaces pour quils puissent accomplir cette mutation culturelle et mettre en uvre une politique publique inventive plus que jamais nécessaire.
Je vous remercie tous de votre attention.