Discours et communiqués de presse
Allocution de Renaud Donnedieu de Vabres,
Réception des "American friends of Versailles"
jeudi 10 juin 2004

Madame la Présidente de l'Etablissement public de Versailles,
Chère Christine Albanel,
Madame la Présidente des "American Friends of Versailles",
Chère Catherine Hamilton,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis de Versailles, Chers amis de la France,


En décernant hier, au Palais-Royal, siège du Ministère de la culture et de la communication, sur le site des jardins que Louis XIV connut en son enfance, à Madame Hamilton, Présidente de l'association "American Friends of Versailles", l'exceptionnelle médaille des grands mécènes, j'ai rappelé combien votre engagement, Mesdames et Messieurs, chers amis de Versailles, donne du sens à l'amitié franco-américaine et au rayonnement international de ce lieu unique et symbolique.

Hier soir, c'était le temps de l'émotion et de l'affection. Ce soir, en ce lieu, c'est vers l'Histoire que je vous demande de tourner un instant vos regards.

J'ai évoqué hier les sacrifices des combattants de la Liberté venus d'Amérique mettre fin à la nuit de l'Europe, avec le soutien de ce peuple des ombres, qui chez nous, est toujours resté fidèle à notre idéal commun.

Il est un fait sur lequel, je veux, ce soir, ici, appeler votre attention.

C'est que, par-delà les soubresauts des évènements, il est une constante, une permanence dans les liens d'amitié entre la France et l'Amérique : aux heures fondatrices de votre histoire, vous nous avez fait confiance, comme nous vous avons fait confiance aux pires heures de notre histoire. Une confiance en la liberté, en la volonté, en la fraternité. Une confiance fondée sur des valeurs communes, sur un courage commun, sur une culture commune : une culture humaniste et exigeante envers la société internationale, comme envers chacun des individus libres et responsables qui la composent. C'est cette vision partagée du destin de l'homme, qui, au long des siècles, a fondé les actions et les engagements décisifs. Ceux qui ne s'oublient pas, parce qu'ils demeurent ancrés au plus profond de notre mémoire.

Et permettez-moi d'évoquer ici la mémoire de Vergennes et de Beaumarchais, fournissant des armes aux Insurgents, comme l'on disait alors. Au début de 1776, comme le congrès américain s'apprêtait à proclamer son indépendance et son enthousiasme pour la cause de la liberté, c'est Silas Deane, riche marchand du Connecticut, qui vint rencontrer l'un des créateurs les plus prolifiques de l'époque – le créateur du droit des auteurs et de cette devise immémoriale, "sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur" – Beaumarchais, pour fonder une compagnie de commerce qui fournît à la révolution américaine ses premières armes et munitions.

Puis, c'est au lendemain de la Déclaration d'Indépendance, un nouvel ambassadeur du Congrès, en mission officielle celui-ci : Benjamin Franklin, une personnalité connue dans les deux mondes, esprit scientifique et pondéré, enfant des Lumières, qui fut, dès son arrivée en France, servi par la sympathie instinctive, la popularité, que lui valut la force de ses convictions, comme son dédain de la perruque, qui, à l'époque, recouvrait le chef de tous les hommes de qualité.

Puis ce fut le jeune marquis de Lafayette, un sous-lieutenant de vingt ans, qui quitta la France, en secret, et que Washington fit soigner comme un fils lorsqu'il reçut sa première blessure. Et il était particulièrement émouvant de les revoir, face à face, il y a quelques jours encore, ici même, dans le cadre de l’exposition Houdon, grâce au concours des musées Getty et la National Gallery, qui nous ont permis de présenter au public, à Versailles, ces deux bustes illustres.

Puis vint le comte de Rochambeau, un vétéran de la guerre de Sept ans.

Et la flotte des Antilles, avec l'amiral de Grasse, qui rejoint la division de La Fayette. La diplomatie fit le reste et l'Espagne se joignit à la France pour préparer, en 1783, le fameux traité de Versailles qui reconnaissait, enfin, l'indépendance des treize Etats.

Et le candélabre de l’Indépendance, œuvre de Thoumire commémorant cet avènement, est aujourd’hui présenté au public dans le bureau de travail du roi à qui il fut offert.

Et les Etats-Unis, le premier Etat libre fondé par des Européens hors d'Europe, se donnèrent en 1787 une Constitution qui, dans ses grandes lignes, est encore en vigueur aujourd'hui.

Je ne reviens pas sur le retentissement considérable de ces évènements en Europe et dans le monde entier : ce sont plus de deux siècles d'histoire, d'une histoire que nous partageons - qui trouvent en ce lieu une incarnation plus que symbolique.

Je vois dans cette histoire les racines de notre profond attachement commun à Versailles. Et je tiens à vous dire, Mesdames et Messieurs, chers amis, que nous retrouvons les échos glorieux de cette histoire dans le développement du mécénat et particulièrement du mécénat américain. Ici l'action rejoint la vision. L'une se nourrit de l'autre.

Ce mécénat permet aux rêves qu'incarnent la révolution américaine et la révolution française, ces rêves de liberté et de grandeur, de prendre corps aujourd'hui et à cette profonde permanence, décrite notamment par Tocqueville, permanence de l'Etat, permanence de l'histoire, permanence des valeurs, d'unir ces rêves pour les porter, au-delà de notre imaginaire, dans les pierres, dans les salons, les galeries et les appartements, dans les jardins et les bosquets de Versailles, dans ce patrimoine vivant que nous avons en partage et en héritage.

Car c'est un patrimoine commun, un bien commun des hommes, le patrimoine de l'humanité. Un patrimoine fragile, soumis à l'usure du temps, aux fluctuations des volontés, aux atteintes de la folie des hommes, qui choquèrent John D. Rockfeller au lendemain de la première guerre mondiale, mais aussi, plus récemment, des tempêtes qui dévastèrent le parc en 1990 et en 1999, suscitant une mobilisation nouvelle, de part et d'autre de l'Atlantique, et un regain d'intérêt pour le génie de Le Nôtre, pour son regard porté vers l'horizon, vers l'infini, vers ce qui surpasse Versailles.

Et pour ce qui est de Versailles, Versailles retrouvé, Versailles embelli, Versailles rayonnant, je veux ici devant vous rappeler ce que nous devons aux femmes et aux hommes de culture, aux grands mécènes et à tous ceux d'entre vous qui se sont engagés, au fil des ans, pour rendre accessible à tous les visiteurs du monde entier qui convergent ici, mais aussi à la postérité, la féerie et la magie de ces lieux uniques au monde.

Je veux rendre hommage, parmi les artisans de cette longue chaîne des générations, de la générosité et de la culture, à la mémoire de John D. Rockfeller, qui oeuvra à Versailles bien sûr, mais aussi à Fontainebleau et à Reims, pour réparer les outrages du premier conflit mondial au patrimoine commun de l'humanité.
Ses petits-enfants et arrière-petits-enfants suivent son exemple.

Je salue aussi l'action de la Versailles Foundation, créée en 1970 par Gerald Van der Kemp, et continuée par Madame Van der Kemp.
Merci, Madame, pour votre engagement.

A deux jours du grand moment de l'inauguration du Bosquet des Trois Fontaines, qui renaît grâce à vous, Madame Hamilton, je tiens à rendre un hommage tout particulier à la mobilisation de l'association que vous avez créée, American Friends of Versailles.

J'associe à cet hommage la société des Amis de Versailles et son président, Olivier de Rohan.

Je veux aussi souligner les mérites, les talents et l’énergie créatrice de Christine Albanel, Pierre Arizzoli-Clémentel, Pierre-André Lablaude et toutes les équipes de l'établissement public et des entreprises qui ont mis leur savoir-faire au service de cette renaissance.

Je tiens enfin à remercier les mécènes français ici présents, qui savent mener une action novatrice, comme M. Antoine Zacharias, à la tête de la société Vinci.

Je me réjouis, que la France se soit dotée, avec la loi du 1er août 2003 d'une législation qui figure parmi les plus incitatrices d'Europe, en faveur du mécénat et des fondations d'entreprise.

Je suis convaincu que l'action de l'Etat en faveur du patrimoine sera d'autant plus efficace qu'elle recevra le soutien des collectivités et de la société civile, laquelle ne connaît pas de frontières. Car toutes ces forces s'additionnent et se complètent. Au service d'une même ambition. D'un même sentiment.

Car ce qui nous réunit tous ici, c'est l'amour. L'homme de connaissance, l'homme de culture, disait l'un de mes illustres prédécesseurs, venu porter à New York, il y a plus de quarante ans, le message de fidélité et de confiance et de la France, l'homme de culture est toujours "lié à des témoignages particuliers du passé". Et André Malraux poursuivait : "Mais peu importerait qu'il fût l'homme qui connaît ces témoignages, s'il n'était d'abord l'homme qui les aime".

Oui, nous aimons Versailles, parce que nous aimons notre patrimoine commun, pour le transmettre aux hommes à venir.

Et nous y retrouvons le souffle qui inspira les plus puissants mouvements historiques, dont beaucoup se jouèrent ici.

Thanks to all of you, Versailles was never as grand as it is today. I wanted very much to tell you this and to thank you again, in the name of France.

[Grâce à vous tous, Versailles ne fut jamais aussi grand qu'aujourd'hui. Je tenais à vous le dire et à vous en remercier, au nom de la France.]



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