Discours et communiqués de presse
Discours de Renaud Donnedieu de Vabres prononcé à l’occasion de la remise des insignes de Commandeur dans l'Ordre national du Mérite à Micheline Rozan
mercredi 11 octobre 2006

Micheline RozanChère Micheline Rozan,

Je suis très heureux de vous accueillir aujourd’hui rue de Valois, aux côtés de votre complice de la première heure, Peter Brook, avec lequel vous avez fait des Bouffes du Nord une scène de réputation internationale. Vous êtes une véritable visionnaire, à l’instinct très sûr, et toujours soucieuse de rapprocher les spectateurs du théâtre.

Cet instinct, vous l’aiguisez d’abord avec ce chantre du théâtre populaire que fut Jean Vilar, celui pour qui « assembler et unir » étaient les plus nobles tâches assignées à l’art dramatique. Vous menez, à ses côtés, au TNP, et avec une troupe composée notamment de Gérard Philipe, Maria Casarès, Geneviève Page et Philippe Noiret, une politique audacieuse de relations avec le public, en proposant notamment un système original d’avant-premières publiques. Vous découvrez, explorez et mettez en place, en tant que Secrétaire générale, tous ces rouages qui font d’une entreprise théâtrale un projet unique et innovant. Mais c’est peu de temps après, alors que vous êtes une toute jeune agent artistique chez la plus importante agence française, Cimura, elle-même reliée à la plus importante agence américaine, MCA, et à ce titre représentante en France notamment d’Arthur Miller, que vous assistez, à Londres, à la pièce Vu du pont, d’un metteur en scène qui vous est alors inconnu, Peter Brook. A cette époque, déjà, vous aviez joué un rôle clé dans la création au Théâtre Antoine de l’adaptation des Possédés, de Dostoïevski, par Albert Camus.

Votre rencontre avec l’univers de Peter Brook marque le début d’une très longue et très belle aventure, et d’une complicité rare, forgée par votre passion commune pour le théâtre.

D’agent, vous vous faites collaboratrice, et actrice à part entière de la grande épopée de Peter Brook, du film Moderato Cantabile, avec Jeanne Moreau et Jean-Paul Belmondo, au Centre international de créations théâtrales, en passant par les premières lueurs du Théâtre de la cruauté. Après un voyage de trois ans sur les chemins de France, d’Afrique, et d’Amérique, vous rêvez d’installer votre troupe et de mettre à profit vos recherches dans un même lieu, propre à activer l’imagination du public, dans une salle qui ne maintient pas une frontière artificielle entre le théâtre et le public.

Lorsque vous entendez parler d’un théâtre abandonné, derrière la Gare du Nord, vous emmenez immédiatement Peter Brook visiter ce que vous découvrez alors, derrière une palissade, comme une véritable ruine. « En nous redressant, raconte Peter Brook, dans Oublier le temps nous avions devant nos yeux une carcasse délabrée dont je pressentis aussitôt qu’elle répondait à tous les besoins découverts pendant nos voyages : un espace intime où le public a le sentiment de partager la vie menée sur scène par les acteurs ; un espace caméléon, car il permet à l’imagination de se donner libre cours. […] un espace intérieur et extérieur, tout en un. » Vous êtes tous les deux très enthousiastes, et vous vous efforcez de retenir le bras des ouvriers pour en préserver cet esprit romantique, cet aspect d’« objet trouvé », cette magie pour laquelle vous avez eu, tous les deux, un véritable coup de foudre.

La suite de l’histoire, le monde entier la connaît, vous bâtissez pierre à pierre les Bouffes du Nord, un « théâtre simple, ouvert, accueillant avec un prix de billet unique, aussi bas que possible », un théâtre à la fois exigeant et populaire, depuis Timon d’Athènes, qui déclenche un tonnerre d’applaudissements, faisant revivre ce théâtre abandonné depuis les années cinquante, jusqu’à L’Homme qui. Cette dernière reprise signe votre départ, en 1997. Stéphane Lissner prend votre suite, mais lorsqu’il est invité à diriger la Scala de Milan, Peter Brook rappelle aussitôt celle qui a su l’accompagner tout au long de sa grande carrière.

Vous reprenez le gouvernail, avec la même passion, la même ardeur et la même attention au public, qui vous ont guidée tout au long de votre carrière. Je salue en vous une véritable productrice, qui sait accompagner un projet de sa genèse à sa réalisation, et gagner la confiance, l’estime et l’amitié des plus grands artistes. La présence de Marina Vlady à l’affiche pour cette rentrée, en est l’un des plus beaux témoignages.

Votre annonce de la réouverture le 1er septembre des Bouffes du Nord, fermées pour travaux toute la saison dernière, sonne comme le point de départ d’une nouvelle et très belle aventure, pour laquelle les spectateurs embarqueront avec le même enthousiasme. Et je suis moi-même très impatient d’assister, le 12 décembre prochain, à la représentation de Sizwe Banzi est mort, d’Athol Fugard, dans ce théâtre de légende, baigné de cette atmosphère unique que vous avez su préserver.

Micheline Rozan, au nom du Président de la République, et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Commandeur dans l’ordre national du Mérite.

photo : Didier Plowy/MCC


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