Discours et communiqués de presse

Discours de Renaud Donnedieu de Vabres

REMISE DES INSIGNES D’OFFICIER DANS L’ORDRE
DES ARTS ET DES LETTRES A PIERRE SANTINI

mardi 6 septembre 2005

 

Remise des insignes d’officier dans l’ordre des Arts et des Lettres à Pierre SantiniCher Pierre Santini,

Je suis très heureux de rendre hommage ce soir, à l’un des grands artistes français et européens qui illustre, par son talent, par sa carrière, par son engagement, le rayonnement des arts du spectacle dans notre pays, et au-delà, puisque vous êtes l’homme de deux cultures, de deux natures, de deux patrimoines artistiques et linguistiques, sans aucun doute parmi les plus riches d’Europe, ceux de l’Italie et de la France.

Vous êtes né à Paris de parents italiens. Votre père, Pio Santini, est artiste peintre. Il vit à Paris, mais sa famille, votre famille, est implantée depuis des siècles dans la campagne romaine, à Tivoli, l’antique Tibur, où vous passez tous vos étés, non loin de la Villa d’Hadrien. Vous incarnerez sur scène, à l’occasion du centenaire de Marguerite Yourcenar, Les Mémoires d’Hadrien, d’après le grand livre qui lui fit connaître la gloire et qui lui fut inspiré par cette phrase de la Correspondance de Flaubert : « Les dieux n'étant plus, et le Christ n'étant pas encore, il y a eu, de Cicéron à Marc-Aurèle, un moment unique où l'homme seul a été. » Et d’ajouter : « Une grande partie de ma vie allait se passer à essayer de définir, puis à peindre, cet homme seul et d'ailleurs relié à tout. » L’artiste est souvent seul. Vous n’avez de cesse, Cher Pierre Santini, de construire ces liens qui permettent de le « relier à tout ». Mais poursuivons avec ce lien d’ascendance.

Si j’ajoute que votre grand père maternel fut directeur du Corriere della Serra avant de devenir le correspondant d’Il Tempo à Paris, chacun comprendra que l’Italie est bien plus pour vous qu’une origine, qu’une lignée. Elle est plus qu’une référence, elle est une présence lumineuse, constante, une source d’inspiration dans votre vie personnelle, comme dans votre travail artistique.

Vous avez tenu à garder la nationalité italienne. Passeur de cultures, très attaché à faire connaître et reconnaître, au théâtre, les auteurs contemporains, vivants, vous avez obtenu un prix de la société italienne des auteurs pour la traduction de Mareshiallo Butterfly, de Roberto Cavosi, que vous avez adapté et mis en scène, sous le titre Le Mariage en Blanc, en suscitant l’émotion et la réflexion, tout à la fois, dans cette pièce qui évoque l’exil, l’éloignement, la solitude. Car le théâtre doit toujours, pour vous, tout en demeurant à la portée de tous, provoquer une réflexion critique, sur la condition humaine, sur la société qui nous entoure.

Il est vrai que vous avez été formé à l’école des plus grands maîtres, celle de Charles Dullin au sein du TNP de Jean Vilar, par Georges Wilson, Jean-Pierre Darras, Alain Cuny, Charles Charras et Jean Vilar lui-même, puis par Jacques Lecoq et Pierre Valde.


Mais pour beaucoup de nos compatriotes, vous êtes, par exemple, le commissaire Massard qui trouve la solution des énigmes policières des Cinq Dernières Minutes. En effet, vous êtes une figure familière du petit écran depuis le grand succès de Rocambole. C’est par la télévision que vous avez acquis une grande popularité auprès du grand public, pour vos rôles dans de nombreux feuilletons, séries et téléfilms français, mais également italiens, anglo-américains et espagnols.

Oui, depuis 1958, vous avez multiplié les succès, de l’écran à la scène et de la scène à l’écran, aussi bien dans les théâtres subventionnés que dans les théâtres privés, ne perdant jamais de vue que les artistes sont aussi les acteurs d’une décentralisation qui a permis de multiplier et d’enrichir l’offre de spectacles sur l’ensemble de notre territoire. Vous participez activement au développement de cette décentralisation, en travaillant dans la plupart des théâtres subventionnés de Paris, de sa périphérie et en régions, mais aussi dans les théâtres privés parisiens, dans le cadre des productions de votre compagnie.

Parmi vos grands rôles, il faut citer Titus Andronicus ou Lear dans le répertoire shakespearien, Alexandre de Medicis dans Lorenzaccio, Cyrano de Bergerac où vous avez assumé le rôle titre dans deux productions différentes. Mais vous n’avez aussi eu de cesse de faire vivre de nombreuses créations d’auteurs contemporains.

Permettez-moi de citer les noms de quelques uns des grands metteurs en scène avec lesquels vous avez travaillé étroitement : Jean Vilar, Roger Planchon, Gabriel Garran, Guy Retoré, Peter Brook, Luca Ronconi ; je n’oublie pas les auteurs Jean-Claude Grumberg, Armand Gatti ou Claude Roy. Il faudrait en citer, bien sûr, beaucoup d’autres.

Vous êtes reconnu comme un grand acteur de théâtre, de cinéma, et de télévision, un grand metteur en scène, un directeur de compagnie qui connaît tous les aléas du fonctionnement du théâtre subventionné, ou non, mais aussi un homme engagé, passionné de la cause des artistes, que vous n’avez de cesse de défendre, en tissant et en retissant de nouveaux liens, en créant aussi de nouveaux lieux.

Plusieurs créations ont marqué votre vie : tout d’abord, celle du Théâtre du Décaèdre en 1975, votre première compagnie, que vous mettez sur pied avec neuf autres comédiens professionnels. Et vous montez Rashômon.

De 1983 à 1991, vous avez créé et dirigé le Théâtre des Boucles de la Marne, à Champigny-sur-Marne, où vous avez produit, mis en scène et interprété une vingtaine de spectacles, en allant au-devant de nouveaux publics.

Puis vous avez fondé, en 1992, la compagnie qui porte votre nom, et que vous dirigez aujourd’hui, où vous produisez, mettez en scène et interprétez des œuvres dramatiques comme : Fausse adresse de Luigi Lunari, Page 27 de Jean-Louis Bauer, Capitaine Bringuier de Pascal Lainé.

J’ajoute que depuis 2003, vous avez à nouveau votre lieu : vous dirigez le Théâtre Mouffetard, où vous passez des contrats avec les compagnies que vous produisez et où vous vous efforcez de faire venir un nouveau public dans ce quartier si parisien, qui fut très populaire.
Tout au long de votre vie professionnelle, vous avez eu à cœur de défendre les intérêts de la profession théâtrale et pendant plusieurs années, vous avez été le représentant français au Conseil Exécutif de l’Institut international du Théâtre.

De 1999, jusqu’au début de cette année, après en avoir été, administrateur, vous avez assumé la présidence de l’ADAMI, où vous vous êtes montré très vigilant sur le respect des droits des artistes-interprètes.

Enfin, vous avez accepté la présidence des « Molières » qui contribuent à la reconnaissance par le plus large public de toute une profession. Dès ma prise de fonctions, j’ai pu apprécier votre volonté de réconcilier toutes les familles du théâtre et d’apaiser les conflits. Je suis très sensible à votre rôle au sein de l’Association Professionnelle et Artistique du Théâtre. C’est toujours celui d’un authentique passeur de cultures, d’un vigoureux créateur de liens.

Pierre Santini, au nom de la République, nous vous faisons officier dans l’Ordre des Arts et des Lettres.


photo : © Farida Bréchemier-MCC


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