Discours et communiqués de presse

Discours de Renaud Donnedieu de Vabres
Remise du Prix Roland Dorgeles 2005
(Association des Ecrivains combattants)

mardi 14 juin 2005

Remise du Prix Roland Dorgeles 2005 Remise du Prix Roland Dorgeles 2005

Monsieur le Président de l'association des écrivains combattants,
Monsieur le Délégué général à la langue française et aux langues de France,
Cher Georges Pernoud, Cher Jacques Pradel,
Mesdames, Messieurs, Chers amis,


Je suis très heureux de vous accueillir ici ce soir pour décerner le prix Roland-Dorgelès. C’est une tradition bien établie et c’est pour moi la deuxième fois. Je m'en réjouis, parce que cette réunion nous permet aussi, en fêtant nos heureux lauréats, de fêter notre langue. Le prix Roland-Dorgelès, qui célèbre déjà ses dix ans, cher Michel Tauriac, puisque votre association l'a créé en 1995, récompense en effet deux professionnels, l'un de la radio, l'autre de la télévision, qui se sont particulièrement distingués pour la qualité de leur contribution à la langue française.

Conformément à l’esprit humaniste qui éclaire votre prix et votre association depuis leur création, un prix qui s’adresse aux professionnels de la communication audiovisuelle, mais aussi, à travers eux, aux journalistes dans leur ensemble, qui sont aujourd’hui, partout dans le monde, des combattants de la démocratie, de la liberté, si chères à Roland Dorgelès, du pluralisme, de nos valeurs, je veux, d’abord, témoigner de notre joie, de notre immense joie, de voir votre consœur, Florence Aubenas, et son accompagnateur, Hussein Hannoun, enfin libérés, enfin de retour. Permettez-moi de leur dédier tout spécialement cette cérémonie.

Le prix Roland-Dorgelès a été institué selon la volonté même de Madeleine Dorgelès, l'épouse de l'écrivain : il faut ici lui rendre hommage pour son intelligence. Elle avait compris que c'est par l'audiovisuel que passe maintenant le combat pour notre langue : la radio, la télévision sont nos compagnes quotidiennes ; si c'est une banalité de dire qu'elles ont envahi notre vie, avec elles, pour la première fois dans l'histoire, c'est la même langue parlée qui est entendue sur tout le territoire. Dans notre pays, où la primauté revenait depuis des siècles à la langue écrite, le français oral - qu'on s'en félicite ou qu'on le déplore - devient une référence universelle, par le canal des chaînes de radio et de télévision. Quelle nouveauté, par exemple, pour notre patrimoine linguistique et quel corpus extraordinaire de la langue parlée les archives de l'Institut national de l’audiovisuel offriront-elles aux chercheurs de l'avenir ! Ils y retrouveront tout le fourmillement de la langue, un témoignage précis de son état à telle époque, de ses variétés et de ses accents aussi, le tout constituant un patrimoine du français parlé, qui s'ajoutera au séculaire patrimoine vivant de notre culture écrite et de notre littérature : c'est ainsi que nous nous consolerons de ne jamais connaître la voix de Diderot en écoutant celle de Gide, et si nous ignorons comment la Champmeslé déclamait les vers de Racine, nous pouvons apprécier les enregistrements de Sarah Bernhardt ou de Maria Casarès ; nous n'avions des accents de France que la transcription écrite d'un Molière ou d'un Marivaux dans leur théâtre, et aujourd'hui nous pouvons constituer de véritables corpus oraux de nos variations linguistiques.

Les médias audiovisuels sont aussi un formidable instrument pour diffuser la créativité du français. Je ne pense pas seulement au style personnel de chacun, mais à la capacité des médias à faire connaître la nouveauté, à la répandre dans le public. A peine le mot "courriel" avait-il été dûment officialisé par sa parution au Journal officiel qu'on l'utilisait à Radio France : cette anecdote illustre parfaitement la vigilance des journalistes et leur souci de notre langue. Puis-je saisir cette occasion pour inviter les professionnels de l'audiovisuel à systématiser cet effort, et à contribuer à moderniser notre langue en aidant le service public à mieux diffuser auprès du public la terminologie officielle, comme ils l'ont fait avec bonheur pour des mots aussi répandus aujourd'hui que baladeur, monospace, internaute ou logiciel ? Ce n’était pas gagné d’avance et ces exemples montrent l’importance de votre rôle, et, plus généralement de celui des médias audiovisuels dans leurs rapports avec la langue. Chacun peut l'entendre, les médias audiovisuels ont fait sortir le français du champ étroit du "bel usage", pour lui donner une variété de styles, d'inventions et d'accents qui n'avaient jusque là tout simplement pas droit de cité : la radio et la télévision ont permis d'instaurer une langue à la fois correcte et souple, qui laisse la place à la variété, à l'invention, sans déroger à la correction qui sied à notre langue. Ces médias ont accompagné sa dynamique créatrice, entre la précision des règles, et la richesse de la diversité des expressions du français.

Au risque de surprendre, peut-être, quelques-uns d’entre vous, je n’hésite pas à me féliciter de la qualité du français employé sur les ondes ! Par-delà les prescriptions d'emploi du français qui découlent de la loi et des obligations des opérateurs, je suis heureux de constater l'attention portée par nos médias à employer une langue variée, mais régulière, un français moderne et inventif, mais respectueux de ses principes fondamentaux, capable de s'adapter souplement aux exigences du réel, sans perdre la rigueur qui caractérise notre langue.

Et dans ce satisfecit global, qui va évidemment à l'encontre d'une opinion répandue, et qui n’affaiblit en rien notre détermination, notre exigence, notre vigilance, je tiens à rendre un hommage particulier à la qualité personnelle des grands professionnels, qui ont su marquer de leur propre style, et depuis des années, les émissions qu'ils proposent au public. Je pense naturellement aux lauréats du prix Roland Dorgelès et tout spécialement à ceux de cette année, que je tiens à féliciter, très chaleureusement et très sincèrement.

Merci, cher Jacques Pradel, pour le charme et la précision de votre expression, qui font une grande part de votre succès ! Merci, cher Georges Pernoud, pour le long voyage que vous nous proposez dans Thalassa, pour les étonnantes et merveilleuses escales que nous avons découvertes dans votre sillage ! Puis-je vous faire un aveu ? Il m'arrive, en vous écoutant l'un et l'autre, de rêver à ce que pourrait être, sur nos écrans, une grande émission qui serait à notre langue ce que Thalassa est à la mer : une sorte de Thalassa de la langue française ! Je ne sais si un tel rendez-vous peut aujourd'hui se concevoir, mais comme des millions de téléspectateurs sans doute, je le souhaite ardemment.

Je vous remercie.

photos : Didier Plowy/MCC


[ Discours et communiqués ]